Rechercher
Rechercher

Actualités

La Békaa vit ses premières heures sans la présence des troupes de Damas Pour les habitants de Deir el-Ahmar, tous les miracles sont désormais possibles(photos)

Les troupes syriennes ont quitté définitivement la Békaa, mais ce n’est pas pour autant que les habitants de la plaine oublieront les brimades et les humiliations qui ont duré près de trente ans. À Deir el-Ahmar, on regarde désormais vers l’avenir, l’on tente d’évoquer avec un détachement certain les années d’injustice que le temps ne parviendra pas facilement à effacer et l’on évoque spontanément l’été 1976 quand les troupes syriennes sont entrées au Liban. Hier, la plaine de la Békaa était vide de toute présence militaire syrienne, notamment dans les terrains situés au bord de l’autoroute menant de Zahlé à Baalbeck ainsi que la route principale menant de Éiat à Deir el-Ahmar. Presque plus rien ne témoigne des trente ans de présence syrienne. Les guérites qui abritaient les soldats syriens ont vite été repeintes aux couleurs du Liban. Les statues et les portraits de l’ancien président syrien Hafez el-Assad et de ses fils Bachar et Bassel ont complètement disparu. Dans les terrains multicolores de la plaine, les bouches des canons syriens n’existent plus. Le regard peut désormais s’attarder sur les vignobles, les champs de blé verts clairsemés de coquelicots rouges. C’est samedi dernier que les troupes syriennes ont évacué leur dernière base de lance-missiles air-sol à Éiat ainsi que leur point de contrôle situé à l’entrée des villages de Chlifa et de Deir el-Ahmar. Hier, l’armée libanaise a pris possession des lieux, accrochant des drapeaux, plantant des arbres et repeignant la guérite en rouge, vert et blanc. La permanence des services de renseignements syriens située à Deir el-Ahmar, localité de la Békaa exclusivement maronite et majoritairement FL, avait été évacuée, il y a une quinzaine de jours, le dimanche 10 avril. Les habitants de Deir el-Ahmar n’avaient pas attendu le départ des camions syriens pour faire la fête. Des moutons ont été égorgés et la fanfare a joué ses airs joyeux à la place du village, alors que les Syriens rangeaient toujours leurs affaires. Hier, ce sont les drapeaux du Liban et des FL ainsi que les portraits de Samir Geagea qui décoraient les rues de Deir el-Ahmar. « Avant le départ des troupes de Damas, quand quelqu’un collait un portrait de Geagea sur un mur, les SR syriens m’emmenaient à moi à leur permanence, me demandaient de déchirer l’image. Je ne me suis jamais exécuté », indique Ibrahim, l’un des moukhtars de la localité. « Tout a changé maintenant, c’est désormais le temps des miracles », dit-il. Et le temps des miracles pour les habitants de Deir el-Ahmar se traduit aussi par le retour, lors des deux derniers week-ends, de dizaines de personnes originaires de la localité qui n’avaient pas mis les pieds au village depuis 1976. Rien ne peut effacer de la mémoire des habitants cet été de 1976, lorsque le village avait été encerclé et bombardé par les Syriens. Ils se souviennent même de chaque endroit qui était la cible de tirs, où tel et tel habitant du village a saigné à mort ou a péri sur-le-champ. « Avec leurs alliés, les Syriens voulaient que l’on quitte Deir el-Ahmar, que l’on s’installe tous à Beyrouth, indique Riad. Durant trois ans, j’ai passé mes nuits sur l’une des collines, en pleine nature. Ils m’en voulaient parce que j’ai défendu mon village en 1976 », se souvient-il. « Depuis 1976, nous n’avons pas respiré la liberté et nous étions la cible de toutes les injustices. Mais voilà, rien ne dure éternellement et c’est la vérité qui triomphe toujours », renchérit Tony. Au cours de l’été 1976, les habitants de Deir el-Ahmar s’étaient battus, faisant des prisonniers dans les rangs des Syriens. Ils ne les avaient pas liquidés, les remettant à la Croix-Rouge. En 1982, quand les positions syriennes du village avaient été bombardées par l’aviation israélienne, les hommes de Deir el-Ahmar avaient aidé les troupes syriennes à se cacher, coupant du bois pour dissimuler les tanks. Les femmes, elles, avaient préparé à manger aux soldats syriens qui manquaient de ravitaillement. « Nous ne nous pavanons jamais devant les faibles, au contraire nous les protégeons... Il faut que l’ennemi soit à notre mesure pour qu’on le combatte », expliquent Riad et d’autres habitants, un brin de fierté dans la voix. C’est que les habitants de Deir el-Ahmar ont un peu préservé les vieilles traditions des tribus arabes. Avec le départ des troupes de Damas, aucun ouvrier syrien n’a été malmené à Deir el-Ahmar. Abou Alaa, un boulanger syrien raconte : « Au début, quand j’ai vu l’atmosphère de liesse au village, j’ai eu un peu peur. Ensuite, les propriétaires de la boulangerie sont arrivés pour me soutenir. Ils ont égorgé un mouton et j’ai mangé à leur table. » « Que Dieu pardonne tous les injustes », lance Samir, l’un des moukhtars de la localité, qui se dit heureux d’avoir vu « les Syriens rentrer sains et saufs chez eux ». Pour lui, comme pour beaucoup d’autres personnes de son village, c’est désormais l’avenir qui compte : de prochaines élections libres et la libération du chef des FL, Samir Geagea. Ghassan, blessé à Beyrouth lors de la guerre et cloué sur une chaise roulante, est rentré dans son village en 1995. Il n’en veut pas aux soldats syriens qui ont investi Deir el-Ahmar. « Après tout, toutes les armées d’occupation se ressemblent et les soldats ne sont que des individus qui reçoivent des ordres, dit-il. Nous n’allions pas faire des histoires, si les soldats syriens nous prenaient des paquets de cigarettes ou de l’argent sur leurs points de contrôle. Nous sommes beaucoup plus grands que cela, ajoute-t-il. Ce qui me gênait le plus c’était de voir le drapeau syrien flotter à côté de la maison et d’entendre les soldats de Damas me dire que la frontière de la Syrie se termine au pied de la montagne du Mont-Liban », dit-il. Ghassan marque une pause, regarde l’horizon, sourit et indique : « On a l’impression que tout a changé. Les Syriens sont partis et les arbres sont en fleurs. C’est comme si nous vivions pour la première fois le printemps. » Il reprend la même phrase que beaucoup d’habitants de son village répètent sans se lasser : « C’est un miracle et que Dieu ait pitié de l’âme de Rafic Hariri. » Il soupire encore, et conclut, rayonnant de bonheur : « Tout est désormais possible. » Patricia KHODER

Les troupes syriennes ont quitté définitivement la Békaa, mais ce n’est pas pour autant que les habitants de la plaine oublieront les brimades et les humiliations qui ont duré près de trente ans. À Deir el-Ahmar, on regarde désormais vers l’avenir, l’on tente d’évoquer avec un détachement certain les années d’injustice que le temps ne parviendra pas facilement à effacer et...