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Actualités - CHRONOLOGIE

Le politologue a inauguré un cycle de conférences académiques à Jamhour Samir Frangié : « Le changement à effectuer doit être radical » (photo)

D’aucuns estiment qu’il est l’une des rares figures de premier plan au Liban capable de saisir l’ampleur d’un événement et de théoriser immédiatement, et d’une manière pour le moins pertinente, des phénomènes encore tout frais. Un fait est bien établi : Samir Frangié est loin d’avoir, comme Brassens, mauvaise réputation, et cela a une explication. Ce n’est donc pas un hasard si le Centre culturel et sportif du collège de Jamhour l’a choisi, lui qui est un ancien du collège, pour inaugurer son cycle de conférences-débats de nature académique, portant sur des sujets de sciences politiques, notamment les différentes vagues de réformisme au Liban. Et c’est, comme d’habitude, une intervention de très haut niveau que M. Frangié a donné cette semaine au Collège Notre-Dame de Jamhour, sur le thème : « Y a-t-il une voie arabe vers la démocratie ? », posant des questions cruciales pour l’avenir du Liban et abordant largement le phénomène du printemps de Beyrouth sous un angle académique. M. Frangié a commencé par souligner qu’« à la surprise générale », la réaction populaire à l’assassinat de Rafic Hariri « ne s’est pas exprimée d’une manière violente, mais s’est traduite par l’apparition d’une opinion publique fondée sur l’émergence d’une conscience individuelle, autonome, qui n’est plus liée au groupe social, communautaire, familial ou régional auquel appartient l’individu. C’est là un fait extraordinairement nouveau dans un pays où les particularismes de tous genres ont toujours bloqué l’émergence d’une conscience citoyenne », a-t-il indiqué. « La manifestation du 14 mars à laquelle a participé le tiers de la population libanaise a exprimé ce changement. C’est la première manifestation non partisane dans l’histoire libanaise. Les partis politiques y ont certes participé, mais la majorité de ceux qui, ce jour-là, sont descendus dans la rue l’ont fait sur base d’une décision individuelle. Ils ne sont pas venus entériner un choix que d’autres avaient pris, mais ont considéré être partie prenante, chacun à sa mesure et à sa manière, dans la bataille en cours », a noté M. Frangié. « L’apparition d’un individu autonome qui n’est plus lié dans ses choix politiques par ses multiples appartenances sociales, communautaires ou culturelles est la condition nécessaire à l’émergence de la démocratie. Nous assistons au Liban à une véritable “révolution” qui place toutes les formations politiques, y compris celles de l’opposition, devant une situation tout à fait nouvelle. Leur légitimité ne peut plus continuer à se fonder sur le passé, le passé de la guerre pour ceux qui y ont activement participé ou le passé de l’avant-guerre pour ceux qui s’accrochent à la tradition. Elle est désormais fonction de leur capacité à défendre les intérêts réels des citoyens, de tous ceux qui, le 14 mars dernier, ont décidé du sort de la bataille en cours », a-t-il estimé. « Cela signifie en clair que le changement à faire doit être radical et que le Liban de demain doit être refondé sur de nouvelles bases. Comment ? En œuvrant pour un État de droit qui mette fin au système clientéliste, en procédant à une réforme de l’Administration libérée des pesanteurs communautaires qui entravent son fonctionnement, en jetant les bases d’une réforme de la justice, en assurant la participation des citoyens au pouvoir à travers les structures déjà prévues par l’accord de Taëf », a-t-il poursuivi. Le printemps de Beyrouth, un modèle ? « Le mouvement qui a été déclenché après la mort du président Hariri peut-il servir de modèle de référence pour le monde arabe ? » s’est ensuite interrogé Samir Frangié. « Le premier fait à noter est que les événements du Liban ont été très largement répercutés dans les médias arabes. Dans plusieurs pays, en Égypte, en Tunisie, en Syrie, les revendications démocratiques ont été dynamisées par les images de la place des Martyrs diffusées à longueur de journée et par les débats qui ont mis face à face opposants et loyalistes sur les écrans des chaînes satellitaires », a-t-il indiqué. « Le deuxième fait important est que le changement en cours n’a pas été perçu comme un phénomène “importé”. L’opposition n’est pas venue dans les bagages d’une armée d’occupation. Ses dirigeants sont connus dans le monde arabe. Rafic Hariri avait, il ne faut pas l’oublier, une dimension panarabe dont les Libanais n’avaient pas conscience », a-t-il poursuivi. « Le troisième fait est que cette “révolution” démocratique parle l’arabe, c’est-à-dire qu’elle véhicule des idées et des concepts dans la langue même qui structure le psychisme arabe. Aucun effort de traduction ou d’adaptation n’est nécessaire. Le débat est un débat interne, un débat entre Arabes », a-t-il relevé. « Le quatrième fait à noter est que les événements du Liban surviennent à un moment de très grande déstabilisation dans le monde arabe. La guerre de l’Irak a en effet marqué la fin d’une longue période historique. Le monde arabe qui vivait depuis la fin de la guerre froide en marge du monde avec des dirigeants uniquement préoccupés d’assurer leur survie a commencé à émerger de ce long sommeil et à prendre de plus en plus conscience des dommages considérables occasionnés par ce régime d’autarcie politique dans lequel il avait été maintenu. Le Liban lui offre un modèle de changement pacifique, non violent, démocratique, auquel participent – fait nouveau dans le monde arabe – chrétiens et musulmans, hommes et femmes, jeunes et vieux, pauvres et riches », a-t-il souligné. Le Liban, un apport déterminant Et de poursuivre : « À un niveau plus théorique, l’apport du Liban peut être déterminant dans la définition d’une voie arabe vers la démocratie parce qu’il est en mesure d’assurer une transition douce entre la structure holiste des sociétés arabes, marquée par la priorité accordée au groupe sur l’individu, et une structure plus démocratique qui reconnaît à l’individu une autonomie par rapport au groupe. Car la légitimité de l’État au Liban ne se fonde pas uniquement sur une volonté citoyenne, elle est également liée à sa capacité à préserver la convivialité entre les Libanais, “le vouloir-vivre en commun” entre les communautés. Elle prend donc en considération l’existence au sein de la société de groupes sociaux et ne prétend pas les dissoudre ou les intégrer dans une structure plus vaste. » « Cette conception de la légitimité implique donc la reconnaissance de deux types d’appartenance concernant les Libanais : une appartenance nationale basée sur la citoyenneté et dont le fonctionnement est déterminé par la loi, et une autre, communautaire, régie par le Pacte national, a expliqué Samir Frangié. Elle œuvre à “normaliser” les rapports entre ces deux appartenances en assurant leur séparation et en empêchant que l’une d’elles, en l’occurrence l’appartenance communautaire, n’accapare l’ensemble du champ politique et social au détriment de l’autre. C’est ainsi que la gestion de l’État est déterminée par le choix des citoyens (...), l’appartenance communautaire ne devant jouer aucun rôle à ce niveau, alors que les communautés obtiennent un droit de regard concernant non pas la gestion de l’État, qui doit nécessairement répondre à des critères d’efficacité et de rendement, mais les choix essentiels que l’État est chargé de mettre en application. Ces choix essentiels n’ont de légitimité que s’ils ne remettent pas en cause la convivialité entre les communautés religieuses. » Et de conclure en affirmant que « cette réflexion sur la relation entre groupe et individu est à la base de la recherche à faire sur une voie arabe vers la démocratie. Elle doit répondre à deux questions essentielles : – Quelle harmonie faut-il établir entre l’individu et le groupe pour pouvoir vivre tous ensemble égaux et différents dans le respect d’une loi qui n’accorde de droits qu’aux individus tout en ménageant aux groupes les garanties qu’ils réclament ? – Quelle harmonie faut-il trouver entre l’affirmation de l’autonomie et le maintien du lien, tenant compte du fait que la brisure du lien que procure l’adhésion au groupe peut briser l’existence ? » Un débat a suivi après l’intervention de M. Frangié, notamment sur des questions de fond comme l’appartenance identitaire du Liban, la possibilité d’une hiérarchisation des identités partielles, la gestion du pluralisme et l’aspect civique du phénomène de la place des Martyrs. Lundi soir, ce sera au tour de l’écrivain Carole Dagher d’intervenir sur le thème de « la relève politique après l’intifada de l’indépendance ».
D’aucuns estiment qu’il est l’une des rares figures de premier plan au Liban capable de saisir l’ampleur d’un événement et de théoriser immédiatement, et d’une manière pour le moins pertinente, des phénomènes encore tout frais. Un fait est bien établi : Samir Frangié est loin d’avoir, comme Brassens, mauvaise réputation, et cela a une explication. Ce n’est donc pas un...