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Actualités - OPINION

Génération Jean-Paul II

Par Carole H. DAGHER Un juste vient de nous quitter, qui a fait de sa vie un don de soi au service de Dieu et de l’humanité. « Totus Tuus » : ayant dédié sa vie à Marie depuis qu’il était évêque de Cracovie, l’ange blond venu de Pologne s’en est allé la veille du dimanche nouveau, après Pâques, dans la sérénité du travail accompli jusqu’au dernier souffle. Soudain, le monde est orphelin, et le vide est grand sur la scène internationale, mais aussi dans nos vies, nous la « génération Jean-Paul II », de tous âges, et de toutes races et nations. « Le pèlerin de la liberté », « le champion de Dieu », « l’homme en blanc »a posé son bâton de marcheur infatigable. Et pour nous, Libanais, la station qu’il fit au Liban durant son marquant pèlerinage sur terre demeure une source à laquelle nous buvons encore l’eau fraîche de l’espoir. Pourtant, nous avons toutes les raisons d’avoir le cœur lourd. L’année 2005 s’inscrit déjà dans nos annales comme une année de deuils. Cette place au cœur de Beyrouth, où le Saint-Père a salué et béni une foule immense vibrant de joie un jour de mai 1997, abrite aujourd’hui la sépulture de Rafic Hariri, à l’égard de qui le pape manifestait une sollicitude marquée. La voix forte de Jean-Paul II continue néanmoins de résonner dans la conscience de notre temps : « N’ayez pas peur ! » Dans ce centre-ville arrosé du sang des martyrs du Liban, où l’écho des cantiques de la messe papale 1997 se mêle aux refrains de l’indépendance 05, les murs de la peur sont bien tombés. Au cœur de l’hiver a jailli le printemps. Et jamais les paroles de Jean-Paul II, prononcées en ce jour béni du 11 mai 97, n’ont été plus prophétiques : « Nous avons confiance : l’Esprit Saint renouvellera le visage de votre terre (...) Les souffrances des années passées ne seront pas vaines ; elles fortifieront votre liberté et votre unité. » Nul, pas même lui, ne se serait douté qu’aux « souffrances des années passées » devait encore s’ajouter un ultime épisode au calvaire libanais. Il aura fallu le martyre de Rafic Hariri et de ses compagnons pour que « les murs édifiés pendant les périodes douloureuses de l’histoire de (notre) nation » tombent enfin véritablement et que les jeunes du Liban construisent des ponts entre eux et « posent des gestes de réconciliation ». « Les changements auxquels vous aspirez sur votre terre nécessitent d’abord et avant tout des changements dans les cœurs. » Jamais cette phrase n’a autant été d’actualité, et jamais les jeunes du Liban n’ont mieux mérité d’être la « génération Jean-Paul II ». Le Liban, frère de la Pologne elle aussi la proie des appétits de ses voisins à travers son histoire, elle aussi éprise d’une liberté chèrement payée ? L’Église du Liban, réplique de l’Église résistante de la Pologne ? Si le parallèle fut bien présent à l’esprit du Saint-Père et de ses proches collaborateurs, ce destin commun du Liban et de la patrie de Jean-Paul II est un privilège que seule l’histoire cautionnera. Hommage soit rendu à ce grand pape qui a accompagné le peuple libanais dans ses années de calvaire, avec sa sollicitude et ses mots de réconfort, ses appels pour l’indépendance, la souveraineté et le dialogue entre Libanais, et qui a déployé des efforts considérables pour maintenir notre pays en tête des préoccupations des grands de ce monde ! Il a réuni un synode pour le Liban et a canonisé deux des trois saints du Liban, Rafka et Nehmétallah Hardini. Le chemin de Rome, que de Libanais l’ont fait sous Jean-Paul II pour participer à tous ces événements majeurs ! Le nom de Jean-Paul II restera associé à la renaissance du Liban, lui qui a tracé dans son cœur, ses écrits et ses prières la route de l’espérance pour notre pays ! La résistance spirituelle Si Jean-Paul II fut si sensible au sort tragique du Liban, c’est parce que lui-même avait affronté le nazisme et le totalitarisme, et connu les affres de la dictature et de l’occupation dans son propre pays. Évêque de Cracovie, il annonce la couleur en déclarant que « l’État est au service de la nation, et non l’inverse », et que « toute atteinte à la liberté de la part de l’État constitue une violation de l’ordre moral et social ». Son pontificat s’est caractérisé par une défense inlassable des droits de l’homme, de la valeur de la vie humaine, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais la résistance qu’il prônait était d’abord une résistance spirituelle aux totalitarismes de toute sorte. « Ne perdez jamais la liberté d’esprit qui rend libre l’homme », disait-il. Guidée par la force morale et le verbe salvateur de ce grand berger incontesté de la fin du XXe siècle, la « génération Jean-Paul II » est celle qu’il a prise par la main pour la mener, pacifiquement mais fermement, des geôles de l’oppression aux rivages de la liberté. Sur le rôle qu’il a joué dans la chute du communisme et du mur de Berlin, dans la réunification de l’Europe qui, selon lui, « ne peut respirer sans ses deux poumons », dans la défense de la démocratie, dans l’ouverture et l’échange entre les peuples et les religions, on a beaucoup écrit. Il a fait tomber bien des murs, construit les ponts du dialogue, instauré la loi inhabituelle du repentir et du pardon dans la vie internationale, introduit la notion de la « purification de la mémoire » dans le langage des nations. Lorsqu’il avait accédé au trône de Pierre, l’Église occidentale traversait une crise grave, le christianisme était « passé de mode ». « Ouvrez vos portes au Christ », s’est-il exclamé dès les premiers jours de son pontificat. Donnant l’exemple, il ouvrit tout grands les portes de l’Église catholique aux jeunes du monde entier et s’en alla à la rencontre des pauvres, des petits, des faibles, des souffrants, des vieux. Par la force immense de l’amour, il les réhabilita dans leur dignité humaine. « Il n’y a pas de progrès sans la dignité de l’homme », écrivait dans l’une de ses premières encycliques, Laborem Exercens, celui qui fut proche du monde ouvrier dans sa jeunesse et qui réaffirmait à chaque occasion les exigences de la justice sociale. Son arme la plus efficace fut sans conteste la prière. Tous ceux qui l’ont vu s’agenouiller sur son prie-Dieu, en public ou dans sa chapelle privée devant la Vierge noire de Czestokowa ou devant le Crucifix, ont pu constater avec émerveillement l’état de ravissement dans lequel il plongeait. Ce passionné de Dieu, qui entrait en conversation avec le Seigneur au point d’oublier tout autour de lui, a réappris au monde à prier. Il ne serait pas excessif de dire que Jean-Paul II a restauré le règne de Dieu dans un monde qui était désenchanté avant qu’il apparût au balcon de Saint-Pierre, le jour de son élection. « Là où Dieu est absent, l’homme est absent, affirmait-il. Vouloir exclure le Christ de l’histoire de l’homme est un acte contre l’homme. » Ces mots, il ne cessa de les marteler tout au long de son pontificat, que ce soit à l’encontre du système soviétique qui tenait la moitié de l’Europe en otage, ou du monde capitaliste rongé par le matérialisme et l’individualisme, ou, plus récemment encore, à l’intention d’une Europe réunifiée ignorant, dans l’élaboration de sa Constitution, son passé et son héritage chrétiens. En canonisant des centaines d’hommes et de femmes donnés en exemple au reste de l’humanité, en nous rappelant cette part divine qui existe en chacun de nous en notre qualité de « fils de Dieu », Jean-Paul II a réintroduit le sacré dans nos vies et dans les concepts philosophiques de notre temps. Dans sa bouche, les mots de l’Évangile avaient un retentissement nouveau, presque révolutionnaire. Il faut l’avoir entendu, dans un compact disc produit pour Radio-Vatican, déclamer le texte des Béatitudes pour réaliser l’impact du verbe et son actualité brûlante dans nos vies, en particulier pour nous Libanais ! « Heureux les affamés et les assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés » (Matthieu 5, 3-12) Pour prêcher l’Évangile, cet homme n’a guère hésité à recourir aux moyens de communication les plus modernes. Par son éloquence et son charisme, il a drainé les foules. Même vieillissant, « il papa » a continué à exercer un ascendant unique sur les jeunes du monde entier qu’il a su mobiliser lors de ces grandes fêtes que sont devenues les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ). En présence des jeunes et des enfants, le visage fatigué du Saint-Père s’illuminait alors d’un sourire heureux. De cet amour que la « génération Jean-Paul II » lui rendait bien... On a pu lui reprocher de ne pas savoir s’adapter au monde, sans comprendre que cet homme si présent au monde refusait de se plier à une sorte de realpolitik préconisée par certains, notamment pour les questions de société telles que le mariage chrétien, le sacerdoce, l’avortement, le préservatif. Il préférait plier les événements à sa vision et à sa foi pour ne pas avoir à affadir le message de l’Église ou, pire, à le rendre « ambigu » (*). Par quelle magie ce pape taxé de « conservateur » avait-il paradoxalement l’oreille des jeunes, races et pays confondus ? C’est que la jeunesse du monde entier n’était pas insensible au message du Saint-Père l’exhortant à se tourner vers les valeurs spirituelles, seules capables de donner un véritable sens à toute vie et à tout combat. Un combat que Jean-Paul II a mené jusqu’au bout de ses forces, réhabilitant la vieillesse et la souffrance sous les yeux d’un monde qui refuse l’idée de la vieillesse et de la souffrance, à l’heure des débats sur l’euthanasie qu’il récusait, condamnant ce qu’il appelait « la civilisation de la mort ». Jusqu’au bout, « l’athlète de Dieu est devenu, avec l’âge et la maladie, un athlète de la volonté », aux dires de son porte-parole Joaquin Navarro-Valls. Le pape aux multiples encycliques, exhortations apostoliques et constitutions apostoliques, qui présida à l’élaboration du Nouveau catéchisme de l’Église catholique, le pape théologien, philosophe et poète, influencé par la pensée de saint Jean de la Croix mais aussi par le Russe Dostoïevski et le Polonais Norwid, a incarné dans, sa vie autant que dans ses écrits, ce en quoi il croyait. Un puissant message de vie et de don de soi pour la « génération Jean-Paul II ». Un juste nous a quittés, qui, tout au long de son apostolat, a relié la terre au ciel : dressé entre l’humain et le divin, intercesseur rappelant inlassablement le divin en l’homme et l’humain en Dieu. « Il avait la stature des Apôtres », comme l’écrivit son ami André Frossard, de l’Académie française. En cela, il fut véritablement le « vicaire du Christ » sur terre. (*) « Le Figaro Magazine » du vendredi 3 octobre 2003.
Par Carole H. DAGHER

Un juste vient de nous quitter, qui a fait de sa vie un don de soi au service de Dieu et de l’humanité. « Totus Tuus » : ayant dédié sa vie à Marie depuis qu’il était évêque de Cracovie, l’ange blond venu de Pologne s’en est allé la veille du dimanche nouveau, après Pâques, dans la sérénité du travail accompli jusqu’au dernier souffle.
Soudain, le...