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Actualités - ANALYSE

Analyse L’internationalisation, un débat sur le sexe des anges

Il y a une quinzaine d’années, un célèbre journaliste américain de droite, Arnaud de Borchgrave, croyait pouvoir résumer le comportement politique du monde arabe par la formule lapidaire suivante : « Les Arabes sont une société verbale. Lorsqu’ils affirment que quelque chose s’est produit, par le seul fait de l’avoir affirmé, ils en concluent que cela s’est effectivement produit. » Les généralisations, les formules prêtes, les raccourcis sont toujours détestables. Ils témoignent d’une vision plutôt raciste, sectaire ou du moins simpliste du monde. Et on ne réussira jamais, avec des clichés, à saisir dans toute sa complexité la vérité d’un individu, d’un groupe ou d’un peuple. Il n’empêche : des tonitruantes « victoires » égypto-syro-jordaniennes de juin 1967 à ce jour d’avril 2003 où un ministre irakien de la « Propagande » affirmait que les Américains n’étaient pas dans Bagdad alors qu’ils y étaient – pour ne citer que ces deux exemples –, les dirigeants du monde arabe ont souvent semblé vouloir confirmer les observations de M. de Borchgrave en faisant du verbe l’ennemi irréconciliable du fait avéré. Mais cette forme d’incompatibilité entre les mots et la réalité, propre à toutes les sociétés régies par un pouvoir à caractère totalitaire ou même autoritaire, n’est pas unique sous nos cieux. Chez nous, le mot est en guerre permanente contre la vérité, mais il l’est aussi contre d’autres mots. Slogan contre slogan, telle est la trame basique de la vie politique orientale. Et, par conséquent, libanaise. De cette double dichotomie naît souvent l’absurde. En s’éloignant de la réalité, le verbe comme arme de guerre finit par prendre aussi ses distances vis-à-vis de sa propre signification. Au point où les discours s’opposent, s’entrechoquent, s’assassinent mutuellement, donnant l’impression d’un débat animé autour de choix politiques concrets, pendant que, dans la réalité, les événements suivent leur cours, imperturbable, loin des pugilats oratoires des uns et des autres. Le 3 septembre 2004, le Conseil de sécurité de l’Onu adoptait la résolution 1559. Sept mois plus tard, la classe politique locale continue à discuter âprement de l’opportunité ou non d’une internationalisation de la question libanaise. Naturellement, il y a divers degrés d’internationalisation. Le vote d’une résolution à l’Onu est une chose ; l’envoi de forces militaires internationales en est une autre. Mais le débat en cours au Liban ne porte pas sur le point de savoir à quel niveau devrait s’arrêter une internationalisation en marche. Essentiellement, toute la discussion relève d’un mouvement de balancier entre les tenants de la tutelle syrienne et ceux qui, par conviction et/ou désormais par intérêt, ont fait leur deuil de cette tutelle. Un diplomate étranger en poste à Beyrouth a relevé la semaine dernière que si la 1559 avait donné « une dimension » internationale au problème libanais, l’assassinat de Rafic Hariri a achevé de l’internationaliser. Il est même allé jusqu’à prédire l’avènement de troupes internationales si le Liban officiel – quel que soit celui qui le gouverne à l’heure actuelle – ne fait pas ce qui lui est demandé par la communauté internationale, à savoir former un gouvernement le plus vite possible, organiser les élections législatives dans les délais prévus et stopper la série des attentats « ambulants ». Dans son légitime souci de rassurer le Hezbollah, Walid Joumblatt qui, pourtant, évoquait il y a quelque temps un « mandat » international sur le Liban, s’emploie actuellement à réfréner les velléités de recours au monde extérieur. Sauf pour ce qui est de l’enquête sur le meurtre de Hariri. Mais, justement, celle-ci, si elle est menée jusqu’au bout, ne sera-t-elle pas la boîte de Pandore de laquelle sortiraient non seulement une manière de « mandat » international sur le Liban mais aussi des risques majeurs pour la stabilité – voire la pérennité – d’un certain régime « frère » ? Autre absurdité : l’épineuse question du désarmement du Hezbollah. Tout le monde ou presque au sein de la classe politique libanaise convient aujourd’hui qu’il s’agit – qu’il doit s’agir – d’un problème intérieur à régler entre Libanais. Même la communauté internationale a quelque peu cédé sur ce point en faisant savoir à plusieurs reprises qu’il n’est pas pour le moment en tête de ses priorités. Pourtant, une évidente question se pose : comment des armes qui – de l’aveu même du Hezbollah – sont tournées exclusivement vers l’extérieur peuvent-elles être un sujet proprement intérieur ? Il est certain que, pour de nombreux Libanais, le remplacement d’une tutelle étrangère par une autre est loin d’être la panacée, d’autant que l’expérience irakienne est là pour prouver que même la plus grande puissance mondiale peut parfois se tromper, sinon dans les objectifs, du moins dans les détails, et que cela peut coûter cher. Très cher. Il est tout aussi clair que beaucoup de Libanais, quelle que soit leur aversion, leur rancune, voire leur haine à l’égard de trente ans d’écrasante hégémonie syrienne sur leur pays, savent que les deux peuples voisins sont tôt ou tard condamnés à s’entendre, dans leur propre intérêt. Mais tout cela n’excuse en rien l’impertinence et le ridicule de ceux qui fustigent les « ingérences étrangères » dans les affaires libanaises – celle par exemple d’un David Satterfield – alors qu’ils continuent de recevoir leurs instructions à Damas, Téhéran ou ailleurs. Rassurer est une nécessité. L’opposition a bien raison de le faire. Mais rassurer n’est pas excuser. Le Hezbollah, quant à lui, a le droit de penser ce qu’il veut des États-Unis et de l’Occident en général. Cela ne l’autorise pas pour autant à systématiquement diaboliser, comme il le fait, les intentions de la communauté internationale vis-à-vis du Liban et, surtout, à toujours tenir pour « suspects » ceux qui, parmi ses concitoyens, rejettent cette diabolisation. L’objectif d’un Liban qui se gouverne enfin par lui-même, dans l’ouverture, la coopération et même une certaine agressivité positive et créative en direction de son environnement immédiat et du monde, n’a jamais été aussi peu fictif qu’aujourd’hui. Cet objectif est bien entendu loin d’être une réalité encore. Celle-ci, il faudra la bâtir, pierre par pierre, à partir de presque rien. Mais s’il existe à l’heure actuelle un contexte international propice à cette construction, ce serait folie de le bouder, sous prétexte d’attendre l’arrière-garde. L’internationalisation de la question libanaise est un fait avéré. Elle peut être positive, servir d’élan pour un décollage du Liban, tant qu’elle reste une brise d’Occident. Si un jour la brise devient tempête, il ne faudra pas en accuser l’opposition, mais un ministre libanais de la Défense qui affirme que l’armée libanaise n’est pas en mesure de remplacer les troupes syriennes dans la Békaa. N’appelons pas de troupes étrangères à la rescousse. Mais ne restons pas non plus les bras croisés à attendre le prochain attentat à la voiture piégée. Élie FAYAD

Il y a une quinzaine d’années, un célèbre journaliste américain de droite, Arnaud de Borchgrave, croyait pouvoir résumer le comportement politique du monde arabe par la formule lapidaire suivante : « Les Arabes sont une société verbale. Lorsqu’ils affirment que quelque chose s’est produit, par le seul fait de l’avoir affirmé, ils en concluent que cela s’est effectivement...