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Actualités - REPORTAGE

Reportage « Dévots » ou « fous », les pénitents ensanglantés n’entrent pas dans l’église

Comme chaque année avant Pâques, le sang a coulé à Verbicaro, village catholique calabrais du sud de l’Italie où se perpétue la tradition des flagellants dans la nuit du jeudi au vendredi saint. Objet de curiosité parmi les dizaines de processions pascales commémorant la Passion du Christ dans la péninsule, les pénitents de Verbicaro se frappent les jambes jusqu’en haut des cuisses avec des morceaux de liège hérissés de pointes acérées. Au nombre de huit cette année, la tête baissée en signe de contrition, les jambes couvertes de sang sous un short et T-shirt rouges, ils se sont élancés pieds nus après minuit à travers les rues du village. Aucun chant, pas de prières, pas de plaintes, ni de musique. Seul le regard interdit de nombreux curieux postés sur leur parcours avec des appareils photo les accompagne dans ce calvaire, hérité du Moyen Âge. À Rome, le chemin de croix, commémoration de la crucifixion du Christ, se déroule le vendredi saint au soir près du Colisée. Et, cette année, pour la première fois en plus de 26 ans, le pape Jean-Paul II, empêché par la maladie, n’y participera pas en personne. Verbicaro compte deux églises pour 4 000 habitants, mais les flagellants, dont la tradition remonte au XIIIe siècle, n’y entrent pas. Ils se contentent de se prosterner sur le seuil, en se claquant et en se meurtrissant bruyamment les cuisses entre deux signes de croix furtifs. « Ils sont fous », murmure une dame. « Dégoûtant », juge un carabinier, tandis que quelqu’un passe la serpillière sur les marches de l’église, maculées de sang. « Ils le font pour eux-mêmes, par dévotion. Il faut beaucoup de force intérieure », affirme Francesco, un jeune élève ingénieur de 23 ans. Tolérés par le clergé local, les pénitents de Verbicaro sont tenus à bonne distance des autels, contrairement à Nocera Tirinese, autre localité calabraise où les flagellants font partie intégrante de la procession du samedi de Pâques. À Verbicaro, « ils n’ont pas le droit d’entrer à l’église car ils salissent et car on doit rappeler la doctrine », affirme Franco Tufo, un séminariste de 28 ans. « L’Église souhaite une conversion sincère alors que là, il y a un aspect spectaculaire qui laisse songeur », dit-il. L’Église a bien tenté ces dernières années de décourager ces pratiques aux relents de paganisme, jugées trop cruelles ou exhibitionnistes. « Les interdire, c’est une bataille perdue d’avance », explique Don Ernesto, le curé de Verbicaro, car « ils font cela pour participer à la douleur du Christ, par fidélité à un serment personnel ou tout simplement pour maintenir la tradition ». Les intéressés, quant à eux, entretiennent le mystère. « C’est quelque chose de familial, je ne peux pas en parler », explique avec réticence Francesco, la cinquantaine. Son grand-père se flagellait et ses fils, à leur tour, participent à ses côtés à cette expiation collective. « Deux ou trois fois, j’ai eu des problèmes avec les carabiniers, ils disaient qu’on faisait peur au gens... mais on le fait parce qu’on sent quelque chose », souffle-t-il, après un silence pesant. Selon Mattia, un de ses amis, étudiant en sciences politiques de 22 ans, derrière cette manifestation de dévotion populaire, se cache « un mode de contestation politique dans la lignée des luttes paysannes et ouvrières ». « C’est pour cela qu’ils sont peu appréciés du clergé », dit-il. Le vieux cellier, où Francesco accueille ses amis avant la procession pour une grande ripaille de salaisons et fromage, arrosée de vin nouveau, semble lui donner raison : il est constellé d’affiches frappées de la faucille et du marteau et tout croyant qu’il est, il milite pour la Refondation communiste. Claudine RENAUD (AFP)

Comme chaque année avant Pâques, le sang a coulé à Verbicaro, village catholique calabrais du sud de l’Italie où se perpétue la tradition des flagellants dans la nuit du jeudi au vendredi saint.
Objet de curiosité parmi les dizaines de processions pascales commémorant la Passion du Christ dans la péninsule, les pénitents de Verbicaro se frappent les jambes jusqu’en haut des...