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Actualités - OPINION

Une tente appelée Liban

Certains au Liban se sont peut-être permis de mettre en doute ou de sous-estimer les luttes du peuple libanais sous l’occupation ottomane ou le mandat français, pour des raisons idéologiques, religieuses ou critiques se fondant sur une lecture superficielle de l’action des résistances libanaises face à l’influence étrangère. Ces mêmes personnes ou d’autres se sont peut-être permis d’utiliser ces lectures pour les adapter aux symboles de l’action résistante et aux places qu’elle occupe, notamment la place des Martyrs. La réponse la plus percutante, la plus éclatante à ces esprits sceptiques et qui n’ont aucune conscience du passé ou du présent, est le phénomène qui se déroule actuellement à la place des Martyrs. Cette place a acquis des symboliques supplémentaires dont la synthèse représente désormais le Liban dans toute son acception et la refonte du concept du témoignage au service du pays, du patriotisme, mais aussi du martyre pour le Liban. Elle s’est transformée en espace accessible à tous, avec tout ce que cela signifie au niveau de la représentation, et dans le respect de toutes les règles de la diversité. La place des Martyrs n’a jamais autant mérité son nom, qui lui revient désormais de droit. Ce dont elle témoigne actuellement – qui est plus proche dans le temps et donc plus fort que son histoire pour ce qui est de l’expression des revendications et de la lutte contre la falsification – exprime un exemple vivant des combats du peuple libanais à travers la vision, l’action et la pensée de ses jeunes d’abord, mais aussi de ses moins jeunes. Une expérience civique Pour ne pas tomber dans la prose poétique, il est possible d’exprimer un certain nombre d’observations qui résument ce qui vient d’être dit. D’abord, les jeunes réunis à la place de la Liberté ont réussi à donner l’image en miniature d’un vouloir-vivre en commun. Cette volonté de vie commune ne s’est pas exprimée à travers une présence permanente, mais par des objectifs, des aspirations et une action communs, dans la conscience et la reconnaissance de la différence de style, et parfois même de priorités et de programmes entre les manifestants. C’est pourquoi il s’agissait d’une rencontre exceptionnelle, qui s’est déroulée sur des bases pragmatiques, lesquelles ont transcendé la paralysie qui a dominé la vie politique libanaise, confisquée aux Libanais depuis trois décennies. Par ailleurs, les jeunes ont réussi à entraîner d’autres catégories d’âge et d’autres fractions politiques et partisanes, à les rallier à leur logique afin qu’ils puissent former ensemble, au mieux, une assise commune à l’action de l’opposition, comme l’ont affirmé bon nombre d’opposants. Ils ont été, c’est le moins qu’on puisse dire, efficaces et écoutés, dans la mesure où ils ont réussi à se frayer un chemin décent sur la scène politique libanaise. Et, partant, cela a constitué une entrée en matière pour la redéfinition des différents contours de la politique libanaise dans son ensemble. En outre, les actions qui ont accompagné le climat du sit-in « pacifique par excellence » étaient toutes nouvelles dans le champ de l’action politique et civique au Liban : processions de cierges, drapeau humain, chaîne humaine, écritures de « la vérité » avec des bougies... Chacune de ces actions peut-être considérée comme une école en soi de contestation, par l’intermédiaire d’images dépassant les frontières de la description. Au moment où le pays bouillonnait, les jeunes ont réussi à ramener le calme et l’équilibre dans l’action... par le silence, la patience souvent, la détermination aussi. Là était la plus importante leçon à tirer de ce phénomène, qui devrait servir de tête de chapitre à ce livre d’histoire du Liban sur lequel les polémiques s’éternisent. L’important est que tout ce qui s’est produit place des Martyrs n’est et ne sera pas une étape quelconque dans l’histoire de la vie politique et sociale du Liban, parce qu’il aura de toute manière constitué un pilier fondamental pour modifier la scène politique libanaise et redessiner les lignes principales de l’action politique et sociale pacifique. Une action fondée sur une pratique et une pensée qui ont reflété la portée de l’enracinement de la paix dans l’esprit des Libanais, et qui ont surtout assuré que les leçons de la guerre ont été tirées par toutes les parties politiques et confessionnelles du pays. Par cette action profonde, transparente et l’on ne peut plus civique, ils ont agréablement surpris, même les plus optimistes. Comment expliquer cette réponse à la violence, à la provocation, au chantage et même aux attentats et aux meurtres par l’hymne national continuellement repris en chœur par les protestataires ? Comment expliquer cette volonté de faire face à l’assassinat de Rafic Hariri et de ses compagnons par cette cohésion interlibanaise, manifestée par la chaîne humaine ? Comment comprendre et interpréter cet attachement au drapeau libanais face aux drapeaux de la discorde, aux fantômes de la sécurité et aux drapeaux de la terreur qui se tiennent au-dessus des sites des attentats pour indiquer l’emplacement des corps ? Il est impossible de répondre à ces questions, sauf si ceux qui sont perplexes et qui sous-estiment la portée de l’événement abandonnent leurs illusions. Des illusions qui ont résumé la dynamique libanaise et la lutte du peuple à une vision étriquée, oscillant entre le crime tragique et le ridicule clownesque. Il est impossible de comprendre le Liban d’aujourd’hui sauf si l’on comprend, sauf si l’on fréquente le groupe qui habite sous le toit de cette tente qui ne hisse qu’un seul drapeau et qui s’appelle « Liban ». Tel est le Liban de la place des Martyrs qui tient désormais de la poésie et du folklore. Mais ce Liban exprime, en profondeur, une réalité qui est à la portée de celui qui veut réellement la voir, la toucher du doigt, la vivre. Et il ne tient plus qu’à lui, ensuite, d’y croire ou de retourner à ses illusions en restant à l’écart de cette « tente libanaise », et ce même s’il possède une carte d’identité et un millier de maisons au Liban. À ceux qui croient que semer la terreur en plantant des explosifs dans les souks et entre les demeures des Libanais pourra déstabiliser cette « tente libanaise », il leur faut comprendre que l’explosion populaire pacifique de ce « lundi de l’indépendance » a été et reste plus forte que les grenades de la haine, faites d’ignorance et de captivité. Pour le reste, qui vivra verra. Okab SAKR Journaliste
Certains au Liban se sont peut-être permis de mettre en doute ou de sous-estimer les luttes du peuple libanais sous l’occupation ottomane ou le mandat français, pour des raisons idéologiques, religieuses ou critiques se fondant sur une lecture superficielle de l’action des résistances libanaises face à l’influence étrangère.
Ces mêmes personnes ou d’autres se sont peut-être...