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Un conflit de génération en perspective... (Photo)

Depuis le séisme du 14 février, le Liban vit une période de profonds bouleversements. L’assassinat de Rafic Hariri a constitué un véritable séisme et aura des conséquences immédiates et graves, notamment au niveau du tissu social libanais. Si beaucoup de nos élites pensaient que ces changements étaient inévitables, force est de reconnaître que la vitesse à laquelle les événements se succèdent laisse peu de temps de réflexion aux intellectuels qui prophétisaient, un peu à la Coué, les transformations que « devrait » connaître la société libanaise. Au fait, ces changements n’ont-ils pas atteint aussi ces élites ? Et comment l’intelligentsia libanaise ferait-elle face au populisme ambiant ? Entre espoir idéaliste et analyse rationnelle de l’évolution des nations, les élites libanaises ne cessaient de prôner le changement sur tous les toits, convaincues dans leur grande majorité que le « citoyen libanais » – l’Arlésienne de notre superbe pays – finirait bien par naître un jour. Ces élites souhaitaient reconstruire le pays selon les principes universels des droits de l’homme, de la démocratie et de la tolérance. Mais avant de se pencher sur les motivations de ces élites, tentons de leur donner une définition globale qui aiderait à comprendre leur comportement. Traditionnellement, « élite » rime avec « éducation », « culture » et éventuellement « fortune ». Jusqu’aux années soixante-dix, ces paramètres étaient en majorité du ressort des communautés chrétiennes libanaises (et surtout leurs composantes laïques et, à un degré moindre, religieuses), avec quelques exceptions musulmanes dont la majorité était influencée par les courants régionaux laïcs et religieux (al-Azhar pour les sunnites, le clergé irakien et iranien pour les chiites, le courant national arabe pour les laïcs et les mouvements de gauche...). Ces élites, aux antipodes l’une de l’autre culturellement et politiquement, n’ont pas réussi à éviter au Liban la guerre qui vient juste de se terminer... Tentant d’imposer leurs points de vue par la force ou en ayant recours à la rue, leur déroute a été totale en raison de leur incapacité à établir un vrai dialogue intellectuel, chaque partie comptant sur ses coreligionnaires fanatiques – donc armés – afin d’imposer « par la force des choses » ses règles du jeu. La guerre, plus sanglante et incontrôlable que les élites ont pu l’imaginer, a remis en question les théories défendues jadis par les « élites » libanaises. Face au lourd impact de la guerre, de sérieuses révisions « internes » propres à chacune des communautés ont eu lieu depuis 1990, date de l’arrêt des combats fratricides dans le pays. Tout en incorporant – en temps réel, tellement l’histoire s’est accélérée depuis la chute du mur de Berlin en 1989 – les données mondiales et régionales dans leurs analyses, les élites ont compris l’importance d’un Liban uni, regroupant tous ces citoyens sur un pied d’égalité. Le travail de fond des prélats maronites et l’œuvre de Mohammed Mehdi Chamseddine ainsi que celle de Mohammed Hussein Fadlallah montraient déjà le chemin à suivre. À noter sur ce plan l’absence quasi totale d’un travail intellectuel provenant de la communauté sunnite libanaise, qui a quand même perdu un mufti et deux chefs de gouvernement pendant les années de guerre, sans compter l’un des religieux les plus prometteurs sur le plan intellectuel : Sobhi el-Saleh. Reste le travail des élites laïques qui agissent, soit au niveau d’une multitude d’associations de la société civile, soit dans le cadre de séminaires. À en juger par les résultats, aujourd’hui, le travail accompli est prometteur mais inachevé et surtout dépassé par le soulèvement populaire des dernières semaines. Si l’occasion de créer une société civile libanaise laïque n’est pas encore tout à fait perdu, il y a fort à craindre que cet élan national causé par un drame aussi profond que l’assassinat de Rafic Hariri pourrait être « récupéré » par les forces politiques traditionnelles, dont l’action a beaucoup laissé à désirer par le passé. Le défi s’annonce donc énorme, et les « élites » traditionnelles doivent composer dorénavant avec les « nouvelles élites », souvent étudiantes, qui sont apparues sur la scène politique et qui manifestent dans la rue depuis le 14 février. Ces jeunes intellectuels, professionnels, étudiants ou malheureusement chômeurs, ont un choix critique à faire : soit ils décident de réintégrer leurs bases communautaires, investir les partis « historiques » et les changer de l’intérieur, soit ils font table rase du passé, fondent de nouvelles entités politiques « nationales » au vrai sens du terme, et travaillent d’arrache-pied pour une laïcisation méthodique et sérieuse du Liban. Pour ce faire, ces nouvelles élites devraient s’assurer une couverture médiatique efficace, un appui sans faille de la « société civile » dont elles sont issues, et surtout un appui financier désintéressé (ce qui est plutôt une chimère...). Dans tous les cas de figure, les nouvelles élites auront à confronter tôt ou tard les « caciques » du régime et de la classe politique actuelle. Si une majorité de politiciens actuels ne jure que par le « nouveau Liban », nous n’avons aucune preuve que l’unité, la liberté et l’indépendance ont le même sens pour eux que pour la jeunesse libanaise. Un conflit de génération et de mentalité succédera sans doute au conflit politique présent. Cherchons ensemble les « voix de la raison », les nouvelles élites crédibles – « crédibilité » est le concept-clé – qui baseraient leur action sur l’éthique, la transparence et un sincère dévouement au Liban. L’enjeu est énorme, les espoirs aussi, et le jeu en vaut vraiment la chandelle... Omar MOMTAZ Ingénieur civil
Depuis le séisme du 14 février, le Liban vit une période de profonds bouleversements. L’assassinat de Rafic Hariri a constitué un véritable séisme et aura des conséquences immédiates et graves, notamment au niveau du tissu social libanais. Si beaucoup de nos élites pensaient que ces changements étaient inévitables, force est de reconnaître que la vitesse à laquelle les événements...