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Actualités - OPINION

Vers un nouveau pacte national ?

La course au gigantisme des manifestations témoigne d’un intérêt sans précédent de la population libanaise à l’égard de la politique. Longtemps désabusés et persuadés de ne pas pouvoir « changer les choses », les Libanais découvrent un sentiment nouveau, celui de pouvoir agir sur les événements. Même si chacune des deux parties se défend de diriger sa manifestation contre l’autre, ce discours ne convainc personne. Deux camps s’opposent bel et bien, et chacun tente, à travers cet étalage de force, d’imposer à l’autre ses priorités et ses objectifs. L’attitude du Hezbollah est-elle guidée par les seules pressions syriennes ? La manifestation du mardi 8 mars organisée par le Hezbollah sur le thème de la fidélité à la Syrie visait à impressionner plusieurs parties. D’abord l’opinion publique occidentale, en montrant qu’une grande partie des Libanais ne vouent aucune hostilité à la Syrie, le régime syrien ensuite en l’assurant que le retrait de son armée ne conduira pas à affaiblir le flanc ouest de la Syrie, les loyalistes également, dont le Hezbollah devient d’office la principale composante, et enfin l’opposition qui, ne voulant pas se laisser démoraliser, a organisé un rassemblement qui se veut très marquant. Si elle s’était déroulée avant le samedi 5 mars, date du discours tant attendu du président Assad, cette manifestation aurait peut-être pu dérouter les instances internationales qui réclament le retrait des troupes syriennes du Liban. Son timing montre qu’elle constitue plutôt un message d’adieux. Probablement sans regrets d’ailleurs, puisque, dans son discours, sayyed Hassan Nasrallah n’a à aucun moment réclamé le maintien des troupes syriennes au Liban. Outre son impact médiatique, cette manifestation a modifié l’équation politique locale. Le conflit qui opposait jusqu’alors la population au pouvoir et à la présence syrienne a pris, dès lors, un nouveau tournant. Il a mis face à face une opposition plurielle et un camp loyaliste, devenu essentiellement chiite. Loin de désarmer, l’opposition tient à montrer sa capacité de mobilisation, faute de quoi elle perdrait tout crédit auprès des instances internationales qui exercent une pression croissante sur la Syrie. Des divisions à surmonter Le retrait de l’armée syrienne laisse les Libanais face à eux-mêmes. Le système politique basé sur le confessionnalisme ayant lamentablement échoué, il devient nécessaire d’organiser un débat de fond sur la nouvelle structure politique à donner au Liban. L’accord de Taëf, qui laisse plus de zones d’ombre qu’il ne donne de précisions, peut donner lieu à de multiples interprétations, notamment sur des questions telles que la suppression du confessionnalisme politique, de la décentralisation administrative, du nouveau tracé des mohafazats, etc. Ces enjeux n’ont certes pas échappé aux différents protagonistes, et c’est probablement dans cette perspective que se déroulent les manifestations actuelles. Le retrait syrien semble à présent inéluctable, et la manifestation du 8 mars a imposé le Hezbollah comme interlocuteur incontournable, d’envergure nationale, susceptible de représenter la communauté chiite. Pourquoi le Hezbollah se démarque-t-il de l’opposition ? De nombreux ténors de l’opposition ont accusé les services de renseignements syriens et libanais d’avoir organisé l’attentat contre le député Marwan Hamadé en octobre 2004 et l’exécution de l’ancien chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, en février 2005. Que cette accusation soit fondée ou non, il est évident que les enquêtes judiciaires n’ont pas été menées avec le sérieux qu’elles méritent. Un gouvernement dominé par l’opposition aurait donc toute la latitude de démettre de leurs fonctions les responsables des services de sécurité libanais pour motif de négligence. Il pourrait également dévoiler des informations fort embarrassantes, soit sur les enquêtes susmentionnées, soit sur le système sécuritaire mis en place au Liban au cours des dernières années. La Syrie y perdrait alors au mieux la face, au pire ses outils libanais. En insistant dans son discours sur la phrase « Le Liban n’est pas l’Ukraine ! », sayyed Hassan Nasrallah a tenté de renflouer un pouvoir au bord de la faillite politique. Le service rendu au pouvoir, mais également à la Syrie, est énorme. La fidélité à la Syrie n’est pas un vain mot. Les revendications chiites Depuis l’accession du Liban à l’indépendance (en 1943), deux revendications reviennent fréquemment dans le discours politique des leaders chiites. La première concerne la participation de leur communauté au pouvoir exécutif. En effet, le pacte de 1943 a octroyé à celle-ci la présidence de l’Assemblée nationale, mais l’a privée d’un rôle moteur dans l’Exécutif, dominé par un président de la République maronite et par un Premier ministre sunnite. La deuxième revendication se rapporte au développement des régions à majorité chiite. En effet, l’État libanais a toujours consacré ses ressources au développement des infrastructures de la capitale et de quelques banlieues. Dans une moindre mesure, Tripoli et le Mont-Liban ont bénéficié de quelques aménagements durant les années 50 et 60. Les régions sunnites et chrétiennes ont donc tiré profit des dépenses publiques, tandis que d’autres, comme la Békaa, le Sud ou le Hermel, ont connu un très faible développement. Le terme « opprimés », leitmotiv de l’imam Moussa Sadr, fut souvent dénigré par les leaders des autres confessions. Il n’était pourtant pas totalement injustifié… L’enrichissement de Beyrouth et du Mont-Liban durant les années fastes contrastait honteusement avec l’appauvrissement des régions périphériques où la présence de l’État se résumait souvent à la répression de quelques trafiquants. Les années de guerre ont aggravé le fossé politique. Les régions chrétiennes et, dans une moindre mesure, Beyrouth-Ouest et Tripoli, ont souffert de la double occupation syrienne et palestinienne. Les habitants de ces régions n’ont pas encore oublié les bombardements de 1978, 1981, 1984, 1989, etc, ni les exactions commises dans la capitale par les milices palestiniennes ou libanaises soutenues par la Syrie. Loin du théâtre de ces combats, le Liban-sud et la Békaa-ouest ont souffert à leur tour d’une occupation, celle de l’armée israélienne. Confronté à des exactions ignorées ou même justifiées par les États-Unis, avec l’indifférence de la communauté internationale, le Hezbollah mena une résistance courageuse de 1983 à 2000. L’appui non désintéressé de l’Iran et surtout de la Syrie lui permit d’organiser ses troupes, de les équiper et d’accroître l’efficacité de ses opérations. Le Hezbollah a donc des raisons de vouer à Damas une reconnaissance légitime. De ce fait, pour le mouvement chiite, les puissances occidentales deviennent suspectes de complicité et de bienveillance à l’égard d’Israël. Leur regain d’intérêt subit pour le Liban ne peut donc qu’être louche. Il faut reconnaître qu’à ce niveau, l’exemple de la Palestine n’est guère encourageant. Le Liban se retrouve, comme en 1943, partagé entre deux tendances : l’opposition d’une part, forte de l’appui occidental et qui cherche à instaurer une vraie démocratie, incompatible avec une présence syrienne, le Hezbollah d’autre part, qui, grâce à la Syrie, pouvait garder les armes mais se méfie viscéralement des États-Unis. À présent que les armées étrangères sont sur le point d’achever l’évacuation du territoire libanais, il ne fait pas de doute que les communautés chrétienne et sunnite d’un côté et chiite de l’autre, mais également celles que je n’ai pas citées, tiennent toutes à l’indépendance du Liban et à sa souveraineté. Elles auront bientôt à ouvrir un dialogue visant à s’entendre sur de nombreux points, notamment le sens à donner aux « relations privilégiées ». Pour cela, elles doivent placer leurs pions sur l’échiquier local. C’est sur tous ces points que le dialogue devra porter. En 1943, deux négations (ni panarabisme ni protection occidentale) avaient abouti à un État fragile et divisé. Saurons-nous, dans ce moment historique, profiter des leçons de l’histoire ? Edmond CHIDIAC

La course au gigantisme des manifestations témoigne d’un intérêt sans précédent de la population libanaise à l’égard de la politique. Longtemps désabusés et persuadés de ne pas pouvoir « changer les choses », les Libanais découvrent un sentiment nouveau, celui de pouvoir agir sur les événements.
Même si chacune des deux parties se défend de diriger sa manifestation contre...