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Actualités - REPORTAGE

Le procès traîne depuis 2001 et ne semble pas prêt d’être clôturé Les inculpés de Denniyé réclament leur libération au même titre que celle de Samir Geagea (photos)

Dès qu’on veut faire peur aux Libanais, c’est eux qu’on pointe du doigt, ces groupes dits de Denniyé, jamais réellement identifiés, mais accusés de tous les maux et premiers suspects déclarés dans tous les attentats. Depuis le 31 décembre 1999, alors que le pays plongeait dans les délices du réveillon du siècle, ils commençaient à faire parler d’eux, faisant basculer, en quelques heures, le Liban dans l’enfer d’une nouvelle guerre. Rapidement circonscrits, mais au prix fort pour l’armée libanaise, les événements de Denniyé reviennent ces jours-ci au cœur de l’actualité. D’abord parce que leur procès traîne en longueur et que la remise en liberté des suspects est devenue un enjeu électoral et ensuite parce que leur existence alimente la tension dans certaines régions du pays. Retour sur un dossier qui pourrait de nouveau s’imposer sur la scène locale. Surtout que la piste islamiste est retenue dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Des événements de Denniyé, les Libanais, dans leur grande majorité, n’ont gardé qu’un vague souvenir. D’ailleurs, au moment où ils se déroulaient, bon nombre d’entre eux se réveillaient à peine des limbes d’un réveillon bien arrosé. Ils n’ont sans doute pas saisi le véritable contenu des premières informations faisant état de «combats acharnés entre les soldats libanais et des groupes armés, dans le jurd de Denniyé». Ils pensaient aussi que ces combats, s’ils étaient réels, ne pouvaient qu’être rapidement circonscrits. Car nul ne pouvait mesurer l’ampleur de ce mouvement et la férocité des combattants islamiques. Et puis le Liban se sentait à l’époque préservé d’un mouvement islamique qui semblait pourtant gagner du terrain dans toute la région. Trois jours durant, les combats ont fait rage dans le jurd de Denniyé et les villages avoisinants, chrétiens pour la plupart, comme pour mieux mettre en danger l’unité nationale. Les événements de Denniyé ne se sont d’ailleurs pas limités à des affrontements armés avec les soldats libanais, il y a eu aussi une prise d’otages par les éléments armés d’un officier, dont le corps, mutilé, a été retrouvé par la suite. Bref, ces événements ont obligé les Libanais à revivre pendant un court laps de temps, la période de la guerre, mais sous un jour encore plus violent, puisque sur fond d’islamisme. Deux versions contradictoires et des rafles dans les milieux islamiques Grâce à l’aide de l’armée syrienne et de ses services de renseignements, selon les rapports officiels et les correspondants de la presse étrangère, les affrontements ont pu être rapidement circonscrits et l’armée, qui a perdu près de onze soldats et officiers dans la bataille, a pu procéder à des rafles importantes dans les milieux islamistes. Selon ces milieux, qui ont violemment dénoncé ces pratiques, il s’agissait seulement de permettre à l’État libanais de justifier les rafles effectuées auparavant dans les milieux chrétiens, sous prétexte que l’État traite tous les citoyens de la même manière. Plus tard, et au hasard des arrestations, la justice a pu reconstituer les faits et l’acte d’accusation établi par le juge d’instruction, publié le 10 juillet 2000, a mis en cause un groupe armé qui relève d’el-Qaëda, qui avait planifié d’attaquer l’armée libanaise dans le but de renverser le pouvoir au Liban pour le remplacer par une formule islamique. Le procès s’est ouvert, devant la Cour de justice, la plus haute instance juridictionnelle libanaise, au début de 2001. Mais en raison du nombre d’inculpés (plus d’une trentaine), ainsi que de la complexité de leur discours et de leurs références islamiques qui donnaient du fil à retordre aux magistrats, les interrogatoires prenaient beaucoup de temps et la stratégie de la défense n’était pas vraiment claire. De report en vacances judiciaires, le procès se poursuivait en septembre 2001, au moment où se sont produits les attentats islamistes aux États-Unis. À ce moment-là, tout le monde a compris qu’un événement gigantesque s’était produit et qu’il fallait du temps pour comprendre toutes ses implications. La Cour a péniblement repris ses audiences, mais les inculpés sont revenus sur leurs aveux afin d’éviter tout amalgame potentiel entre eux et le groupe d’el-Qaëda, auquel pourtant, ils se référaient au cours des premières audiences, méprisant de critiquer Oussama Ben Laden. Gagner du temps était alors devenu le mot d’ordre des deux parties. Mais à mesure que les États-Unis avançaient dans leur guerre contre le terrorisme à visage islamiste, les inculpés dits de Denniyé – bien qu’ils soient pour la plupart originaires de Tripoli ou de Saïda – commençaient à être plus combatifs, conscients que la rue musulmane se rapprochait de leurs vues. Le box des accusés, lors des audiences du procès, devenait ainsi une tribune rêvée pour faire passer leur message et c’est la Cour de justice qui commençait à se trouver en difficulté. À plusieurs reprises, les inculpés se sont rebellés contre les magistrats en pleine audience, et les soldats de la moukafaha, en charge de la sécurité du procès, ont été contraints de vider la salle du tribunal et de demander à la Cour la levée de l’audience pour pouvoir maintenir le calme. C’est dire que le procès se déroulait dans des conditions difficiles pour la justice libanaise, qui ne voulait pas d’incidents, mais en essayant de rester impartiale, tout en évitant de provoquer la colère et la frustration de l’assistance acquise aux inculpés et au climat islamique. La guerre d’Irak a modifié la donne Cette atmosphère tendue s’est encore aggravée avec le début de la guerre américaine en Irak, et il devenait de plus en plus difficile de contenir la rue musulmane de plus en plus favorable aux thèses islamistes. Tous ces facteurs ont poussé la Cour de justice à retarder autant que possible le cours de la procédure. C’est pourquoi quatre ans après l’ouverture du procès, on en est encore à l’interrogatoire des inculpés, dont le nombre a d’ailleurs augmenté, puisqu’il y a eu d’autres arrestations dans la région du camp de Aïn el-Héloué, où une partie de la cellule islamiste s’est réfugiée. En vérité, tout indique que la Cour de justice – dont la composition a changé trois fois pendant ce procès en raison du départ à la retraite des présidents du CSM, qui occupent de facto la fonction de président de la plus haute instance juridictionnelle – n’est pas pressée d’émettre son jugement, sans recours, dans ce dossier épineux, surtout dans une période aussi cruciale pour le Liban. Car aujourd’hui plus que jamais, et notamment à cause de la guerre américaine en Irak, les thèses islamistes ont une grande audience dans les milieux musulmans. Et le groupe dit de Denniyé est en fait implanté à Tripoli, dans les quartiers pauvres de Bab el-Tebbané. En période préélectorale, il est particulièrement risqué de remuer ce terrain miné. D’ailleurs, à Tripoli et dans ses environs, toutes les factions politiques ménagent à tour de rôle ces milieux, qui constituent un vivier électoral important. Au point que, dans un récent communiqué, les proches des inculpés de Denniyé, appuyés par des chefs religieux, ont posé l’équation suivante: si le chef des FL, Samir Geagea, est libéré, les accusés de Denniyé – qui selon la loi libanaise risquent la peine de mort pour attaque contre l’armée et tentative de créer un groupe armé visant à déstabiliser le pays – doivent l’être aussi. C’est dire que les positions se radicalisent et que les inculpés de Denniyé sont revenus au cœur de l’actualité. Leurs partisans se sont d’ailleurs organisés et structurés et ils se sont dotés d’un média, la revue al-Amane, qui évoque en long et en large ce dossier. Selon cette revue, les islamistes n’auraient jamais eu pour objectifs de renverser le régime libanais ou d’affronter la troupe. Mais c’est cette dernière qui les aurait surpris, avant de les agresser alors qu’ils se trouvaient en plein camp de réflexion et de méditation (avec des armes?) dans le jurd de Denniyé. Naturellement, cette version n’est pas vraiment crédible, car d’où seraient sorties toutes les armes et à quoi servaient-elles s’il s’agissait réellement d’un camp de réflexion? De plus, bien que ne faisant pas partie du Hezbollah ni d’aucune milice reconnue, les militants du groupe se sont avérés être armés et entraînés, ils se sont opposés de façon sanglante aux rafles menées par les militaires, au Nord et dans les alentours du camp palestinien de Aïn el-Héloué où certains de leurs chefs se sont réfugiés. Les proches des gens de Denniyé accusent l’État de monter une histoire Un des chefs de ce groupe, qui était répertorié par les services américains, comme occupant un poste important dans la nébuleuse el-Qaëda, a d’ailleurs été tué au Liban. Pourtant, les proches des inculpés continuent à nier l’existence d’un complot lié à el-Qaëda et visant à renverser le régime libanais. Selon eux, cette histoire aurait été montée de toutes pièces par les officiels libanais pour conforter leur emprise sur la rue sunnite et pour tenter de redorer son blason auprès des Américains. Cette version n’explique pas pourtant comment ces groupes ont été armés et quelle est la nature de leurs liens avec les extrémistes palestiniens de Isbat al-Ansar et de Isbat el-Nour, qui organisent régulièrement des attentats antiaméricains et dont le nom est souvent évoqué lorsqu’il s’agit de parler d’une cellule d’el-Qaëda au Liban. Ils sont ainsi revenus sur le devant de la scène lors des incidents de Majdel Anjar. Et sans que l’on ne sache exactement quelle est leur force réelle, ils sont présents dans tous les scénarios sécuritaires, comme un potentiel de déstabilisation. Ne voulant pas radicaliser encore plus la rue dans les quartiers où le courant salafiste a une certaine audience (à Tripoli et à Saïda en particulier), les forces de l’ordre évitent de les affronter, tout en les surveillant. Dans le climat tendu qui règne actuellement dans le pays, l’affaire des détenus de Denniyé, qui réclament ouvertement leur remise en liberté, provisoire ou non, ou une loi d’amnistie générale dont ils pourraient bénéficier, pourrait revenir sur le tapis. C’est connu, les extrémistes et les marginalisés constituent l’instrument idéal de toute manipulation. Et dans un scénario du pire, ils pourraient bien obtenir un rôle de premier plan. Déjà, ce qui s’est passé à Tripoli, à la suite de la démission du gouvernement de M. Omar Karamé, donne un avant-goût de ce que pourrait devenir le paysage politico-sécuritaire si des groupes qui ont de grandes raisons d’en vouloir à l’État et aux autres composantes de la société libanaise étaient livrés à eux-mêmes. Surtout après l’évocation au début de l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri d’une éventuelle piste islamiste. Vraie ou fausse, cette piste n’est pas faite pour calmer les esprits des proches du groupe de Denniyé… Scarlett HADDAD

Dès qu’on veut faire peur aux Libanais, c’est eux qu’on pointe du doigt, ces groupes dits de Denniyé, jamais réellement identifiés, mais accusés de tous les maux et premiers suspects déclarés dans tous les attentats. Depuis le 31 décembre 1999, alors que le pays plongeait dans les délices du réveillon du siècle, ils commençaient à faire parler d’eux, faisant basculer, en...