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Actualités - ANALYSE

ÉCLaIRAGE Des impacts et des urgences de l’après-5 mars

Parce que Bachar el-Assad a finalement compris, même bien tard, qu’il est dans l’intérêt de son propre pays d’abord d’entretenir, d’État à État, de peuple à peuple, les relations les plus saines et les plus normales qui soient avec le Liban ; parce qu’en reconnaissant que des erreurs avaient été commises, par le biais de ses complices locaux, par la Syrie au Liban, parce qu’il a abondé dans une heureuse autocritique, inespérée sous ses latitudes, et parce qu’il a signifié, d’une manière certes particulièrement floue mais solennellement, et devant le monde entier, la fin d’une présence syrienne que ces 10 452 km2 n’ont que trop supporté, son discours du 5 mars a été et restera non seulement historique, mais aussi particulièrement positif. Et ce malgré les mines qui le parsèment et sur lesquelles le maître de Damas a jugé bon s’apesantir longuement et lourdement. Il est évident que ce discours-là influera directement sur la scène libanaise dans le très court terme, qu’il a immédiatement généré des urgences. Et ce sont justement ces différents impacts, le respect ou non de ces impératifs, qui permettront de confirmer – ou d’infirmer – la volonté syrienne de tourner définitivement et radicalement la page de sa tutelle sur le Liban, ou d’y cloner son régime et ses moeurs sécuritaires. Le très court terme, c’est d’abord, bien entendu, la réunion aujourd’hui à Damas du Conseil supérieur mixte. Indépendamment du fait de savoir si les membres d’un Exécutif démissionnaire sont habilités, constitutionnellement, à être partie prenante à un tel niveau, c’est la nature même de cette équipe qui pose un problème fondamental. La question qui se pose aujourd’hui avec insistance est légitime : de quelle crédibilité, de quelle impartialité peut bénéficier le tandem Lahoud-Karamé et leurs ministres – tous installés ou réinstallés au Liban sur exigence syrienne et, donc, clairement redevables à Damas –, pour fixer les modalités d’un retrait tel que le souhaitent les Libanais ? C’est-à-dire un départ définitif de l’ensemble des troupes et, surtout, de l’ensemble des moukhabarate syriens avant le rapport Annan et avant les législatives 2005. En espérant que « la force de la Syrie et son rôle au Liban ne dépendent pas de ses soldats » (Bachar el-Assad dixit), ne soit pas une allusion directe à ces SR. Selon des sources autorisées (lire par ailleurs), il est prévu au cours de cette réunion de laisser aux deux gouvernements le soin de fixer les détails de la deuxième étape du retrait, celle qui emmènera les troupes de Damas par-delà la frontière libanaise. Cette bonne nouvelle impose néanmoins une nécessité : que ces mesures soient négociées par un gouvernement libanais absolument neutre. Neutre et non pas, pour l’instant, d’union nationale (et encore moins présidé, de nouveau, par Omar Karamé), puisque l’opposition plurielle a annoncé au cours de ses dernières réunion plénières, et sans ambiguïté son refus de participer à un tel cabinet tant que la vérité sur l’assassinat de Rafic Hariri ne se sera pas imposée à tous, et tant que Adnane Addoum et les patrons des six services de sécurité n’auront pas démissionné. Ainsi, les consultations que mènera le chef de l’État mercredi seront déterminantes. D’elles naîtra ce gouvernement chargé non seulement de parachever le retrait syrien total, mais de demander toute l’aide internationale pour mener l’enquête après l’assassinat de Rafic Hariri « dans l’intérêt de la Syrie », a dit Bachar el-Assad, de commencer le compte à rebours de la fin du pouvoir sécuritaire, et de gérer des élections au-dessus de tout soupçon dont l’issue sera, sans aucun doute, formidable pour le démarrage du Liban nouveau. Autre impact du discours du 5 mars : les accusations à peine voilées du président syrien contre l’opposition, qui « recherche n’importe quelle ingérence étrangère au Liban – sauf celle de la Syrie », avec une évocation claire et nette d’un « nouveau 17 mai qui se profilerait » assortie d’un appel aux alliés libanais de la Syrie pour le « combattre ». Si elles ne dupent plus personne, ces allusions n’en sont pas moins dangereuses, puisqu’elles légitiment les prosyriens d’ici – quelques minutes à peine plus tard, l’incroyable Omar Karamé assurait qu’une fois les Syriens partis, le Liban sera le troisième pays à signer la paix avec Israël – dans ces mêmes dérives vicieuses qui ont précédé le crime du 14 février : les accusations de traîtrise en tous genres. Le court terme de l’après-discours, c’est également le Hezbollah, et, corollairement, l’influence iranienne. Hassan Nasrallah, dont on n’appréciera jamais assez l’intelligence politique ou le pragmatisme (tout le monde espère qu’il aura appris par cœur les recommandations dernières de l’irremplaçable Mohammed Mehdi Chamseddine : le Liban patrie définitive et démocratie consensuelle), refuse à sa manière la deuxième étape du retrait syrien, c’est-à-dire le retour des troupes de Damas au bercail. Et pourtant, le secrétaire général du parti de Dieu n’a certainement pas manqué de penser qu’un retrait syrien total et complet pourrait automatiquement entraîner une véritable libanisation donc une salutaire désinternationalisation du cas Hezbollah et de son désarmement. Hassan Nasrallah a évidemment lu les suggestions allant dans ce sens de David Satterfield au cours de son briefing avec la presse libanaise la semaine dernière ; a-t-il seulement voulu comprendre ? Le court terme, c’est enfin, c’est surtout la rue. Et là aussi, naturellement, Hassan Nasrallah joue un rôle prépondérant. En acceptant la réalité – que l’opposition refuse catégoriquement toute tutelle étrangère, syrienne fût-elle ou occidentale –, la manifestation à laquelle il a appelé mardi est censée compléter celle de la veille, inclure d’une façon naturelle et notable la communauté chiite dans la magnifique dynamique druzo-sunnito-chrétienne, et faire admettre à tous que libération et souveraineté sont les deux faces d’une même et nécessaire médaille. Si tel n’est pas le cas, s’il y a volonté d’utiliser une partie de la rue comme arme fatale contre l’autre partie, cette belle preuve de la démocratie made in Lebanon se transformera très vite en une inacceptable provocation. D’autant plus que l’appel au calme et au pacifisme qu’il a lancé tranchent d’une façon aiguë avec les inadmissibles et moyenâgeux excès des petits groupes prosyriens emmenés par des Kandil ou autres Kanso – et dont le summum (espérons-le) a été atteint hier avec la blessure par balles d’un citoyen libanais, Charbel Ghanem. Une extrémité qui pose avec acuité une autre urgence pour l’après-5 mars : la création d’une commission vérité et réconciliation. Il serait aberrant que perdure, inversée après un retrait syrien total, une logique mortifère : celle du vainqueur et du vaincu. Ziyad MAKHOUL
Parce que Bachar el-Assad a finalement compris, même bien tard, qu’il est dans l’intérêt de son propre pays d’abord d’entretenir, d’État à État, de peuple à peuple, les relations les plus saines et les plus normales qui soient avec le Liban ; parce qu’en reconnaissant que des erreurs avaient été commises, par le biais de ses complices locaux, par la Syrie au Liban, parce...