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Actualités - CHRONOLOGIE

Attentat anti-Hariri - L’absence des autorités, hier, vient couronner deux semaines de « désinvolture » Le corps de Ghalayini retrouvé par hasard sous quelques centimètres de gravats(photos)

Dix sept jours après l’odieux attentat du Saint-Georges qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, le plus horrible restait à découvrir. Hier matin, le hasard a fait ce que tout l’appareil étatique libanais, à travers ses multiples institutions et services, hypertrophiés, « n’a pas pu ou n’a pas voulu accomplir », comme l’a affirmé l’un des proches de Abdel-Hamid Ghalayini: c’est par pure coincidence que les proches de Ghalayini, porté disparu depuis le jour de l’attentat, ont eux-même retrouvé sa dépouille, décomposée, après avoir forcé le cordon de sécurité autour des lieux de l’attentat et après s’être heurtés pendant deux semaines à la scandaleuse « désinvolture » des autorités concernées. Cette découverte macabre laisse planer de très nombreuses interrogations concernant la responsabilité d’un tel retard : Quel service sécuritaire aurait dû trouver Abdel-Hamid Ghalayini, mort ou vivant ? Qui avait donné aux agents de la Défense civile l’ordre de ne pas entreprendre des recherches malgré les demandes répétées de la famille ? Le corps de Ghalayini, 53 ans, se trouvait sous une fine couche de terre, à quelques mètres du cratère creusé par l’explosion. La découverte du corps a eu lieu alors que l’équipe des enquêteurs de l’Onu se trouvait sur place. Le rapport de l’hôpital de l’Université américaine, où a été tranporté le cadavre, a indiqué l’après-midi que la mort est immédiatement survenue lorsqu’un bloc de pierre a heurté la tête de la victime lors de l’explosion. Une fois le corps découvert, la zone a semblé revivre une deuxième fois le drame du 14 février, tellement la colère et l’indignation de la famille jaillissaient avec véhémence à travers les insultes lancées au président de la République, Émile Lahoud, au gouvernement et aux services. « Où est l’État ? Ils n’ont pas honte ? Il a fallu qu’on agisse nous-mêmes, seuls ! Même les experts de l’Onu en sont témoins », crie, en colère, un membre de la famille. « Regardez nos habits, ils sont déchirés parce qu’on a dû forcer le passage à travers le cordon de sécurité de l’armée et de la police », dit-elle, alors qu’un autre proche lance : « Si un enfant de Lahoud était perdu là dans les décombres, aurait-on attendu dix-sept jours pour retrouver le corps ? Qu’il se mette un peu à notre place. » Abdel Hamid Ghalayini marchait sur le bord de mer quand l’explosion s’est produite le 14 février, au passage du convoi de l’ancien Premier ministre, le tuant avec 18 autres personnes. Un communiqué des forces de sécurité a imputé hier le « retard » dans la découverte du corps de Ghalayini aux mesures prises « pour maintenir intact le lieu du crime pour les experts de l’Onu », indiquant, et contrairement aux témoignages des membres de la famille, que le corps a été découvert une fois que les travaux de recherche ont été repris. La découverte du corps de Ghalayini vient renforcer les critiques adressées à une enquête qui a multiplié depuis deux semaines les maladresses. En effet, une autre victime, Zahi Abou Rjeili, était décédée sous les décombres 12 heures après l’attentat, selon le rapport du médecin légiste, sans qu’elle ne reçoive aucun secours. La police avait empêché son épouse de se rendre à son bureau, sur les lieux du drame, et n’avait pas donné suite à sa demande persistante de localiser son téléphone portable qui continuait de sonner. Le matériel de recherche La famille Ghalayini avait organisé mardi soir un sit-in sur les lieux de l’attentat en guise de protestation contre l’inefficience de l’enquête. « Il y avait plus de mille personnes. L’armée est intervenue parce que dans ce pays, il est interdit de revendiquer ses droits. Mais quand ils ont vu que nous sommes pacifiques, il nous ont laissés », a indiqué à L’Orient-Le Jour la belle-sœur de la victime, Mme Houhou. « Nous avons dit aux soldats et à l’officier en charge que demain (hier) matin, nous allons entrer dans la zone de l’attentat pour entamer nos recherches et qu’ils ne pourront pas nous en empêcher. Le député de Beyrouth, Béchara Merhej, qui était présent sur place et qui nous avait promis de déployer des efforts pour nous permettre d’entreprendre ces recherches, nous a dit que ce délai était trop court. Nous sommes cependant revenus le lendemain matin », a-t-elle poursuivi sans cacher sa révolte face à tout ce qui s’est passé durant les dernières heures. « L’officier en charge nous a dit lors du sit-in qu’il est impossible de pénétrer dans la zone touchée et d’entreprendre des recherches sans l’autorisation du juge d’instruction chargé de l’enquête, Michel Abou Arraje », a déclaré de son côté le beau-frère de la victime, Bassam Houhou, qui a repéré le cadavre. « Je lui ai alors demandé d’aller lui-même demander cette autorisation, et je lui ai dit que nous reviendrons le lendemain (hier) matin avec des fleurs et que nous passerons à tout prix », a-t-il ajouté. Une heure plus tard, l’officier a appelé M. Houhou pour lui annoncer que la famille peut commencer ses recherches le lendemain (hier) à 9 h du matin. « Nous avons acheté tout le matériel de recherche, et ce à nos frais. Des vestes fluorescentes, des casques, des gants, des masques, des pelles et des pioches. Tout. Nous avons tout fait pour être au rendez-vous », affirme M. Houhou avant d’ajouter avec indignation : « Et pourtant, le lendemain (hier) matin, ils ont encore une fois refusé de nous laisser entrer. C’est scandaleux. » Face à ce nouveau renversement de situation, la famille s’est déchaînée. « À ce moment, l’officier m’a pris à l’écart, près du Saint-Georges, pour essayer de me calmer », explique-t-il. C’est alors que l’impensable se produit, que le hasard a fait ce que tout un appareil étatique « n’a pas pu ou n’a pas voulu faire ». « En parlant avec l’officier, j’ai senti une mauvaise odeur. Regardant du côté de la crevasse, j’ai vu des mouches bleues rassemblées en un endroit. J’ai tout de suite alerté l’officier, et nous avons demandé l’aide des quelques membres de la Défense civile qui étaient présents », a-t-il précisé. Dès ce moment, tout bascule pour la famille affligée, qui ne parvient pas à réaliser que la personne qu’elle a tentée par tous les moyens de retrouver, malgré l’odieuse indifférence de tous ceux qui étaient supposés l’aider dans cette recherche, était là, au milieu de la scène du désastre, sous quelques centimètres de terre. Que malgré les nombreux déplacements des différents enquêteurs sur les lieux, ces derniers ont été incapables, dix-sept jours durant, de retrouver ce père de famille que tout le monde recherchait pourtant. Le téléphone portable en main Les Ghalayini ont quand même pu voir, dans ce moment de douleur suprême, ce qui allait soulever un tourbillon de doutes dans leurs esprits : la victime portait en main son téléphone portable et avait le doigt pointé en un ultime témoignage de foi dans le Dieu unique. Deux éléments qui renforcent la thèse disant que la victime est restée vivante un moment après l’explosion, une thèse pourtant réfutée par le premier rapport médical. D’autant que, et comme l’a précisé M. Houhou, le corps ne souffrait pas de brûlures et les habits du défunt étaient intacts. Plusieurs heures après la découverte macabre, l’état de choc régnait au sein de la famille. Mais le temps qui s’écoulait laissait derrière lui une indignation grandissante : « C’est de la légèreté, de la désinvolture. C’est gens là n’ont aucune humanité », lance le beau-frère. « Tous les responsables doivent assumer la responsabilité de ce qui s’est passé, à partir du président de la République », indique-t-il, avant de saluer les forces de l’ordre « qui étaient liées par des instructions négatives ». « Il est inacceptable que le hasard trouve le corps de Abdel-Halim Ghalayni. Personne n’a pris la peine de le chercher », conclut-il. Et Mme Houhou, retenant à peine son émotion, de déclarer : « Personne ne s’est occupé de nous. Et le plus frustrant, c’est qu’après deux semaines, on le retrouve sous dix centimètres de poussière. Nous n’avions aucune référence. Nous étions laissés tout seuls. » Elle tient les services de sécurité pour responsables de ce qui s’est passé, poursuivant : « Où est Abou Arraje ? Où est la sécurité ? Que le président de la République se mette à notre place. Nous n’allons pas nous taire. Nous ne pouvons plus nous taire. Nous n’accepterons plus. Nous avons essayé autant que possible de nous éloigner de la politique. Mais aujourd’hui, c’est autre chose. Il s’agit maintenant des droits de l’homme, des droits du citoyen. » Chez les Ghalayini, la fille aînée, Lama, 26 ans, est inconsolable mais déterminée à « poursuivre en justice le gouvernement et le président Émile Lahoud pour négligence ». « Et s’il avait juste perdu conscience? Ils n’ont rien fait depuis deux semaines. Des chats ont retrouvé un corps sous une voiture, aujourd’hui des mouches ont aidé à retrouver mon père. Que fait l’État » a-t-elle dit à l’AFP, faisant référence à Mahmoud Mohammed dont le cadavre avait été retrouvé sous une voiture grâce à des chats. Terrassée par la douleur, elle poursuit : « Nous nous étions adressés à la procureur générale près la Cour de cassation, Rabiha Ammache Kaddoura, pour localiser le téléphone que portait mon père. Mais elle nous a renvoyés à la compagnie en nous demandant de nous procurer nous-mêmes le rapport (...). Nous sommes allés chez le juge d’instruction chargé de l’enquête sur l’attentat, Michel Abou Arraje. La première fois, il nous avait évités en montant rapidement dans sa voiture (...). Puis il a demandé à nous voir, mais uniquement pour nous demander de ne plus critiquer l’enquête devant les médias. Quels juges feraient de telles choses ? » Si la découverte du corps de Ghalayini met fin à une pénible période d’incertitude pour la famille du défunt, elle ouvre cependant la voie à plusieurs séries d’interrogations : comment les forces de sécurité, qui ont plusieurs fois parcouru la zone avec des chiens policiers, n’ont-elles pas pu trouver un cadavre enseveli sous quelques centimètres de gravats ? Et si la mort est survenue il y plus de dix-sept jours, comme l’a souligné le rapport médical, le corps doit étre complètement transformé. D’où la nécessité d’une autopsie, qui n’a pas encore eu lieu, comme l’a indiqué un médecin spécialiste interrogé par les médias. Quoi qu’il en soit, le fait que la victime soit restée dix-sept jours au cœur de la zone dévastée laisse plus d’une personne sceptique. Certains membres de la famille ont eux-mêmes émis des doutes face à un tel scénario, laissant entendre que les choses se sont peut-être passées autrement avec Abdel-Hamid Ghalayini. Les Hariri présentent leurs condoléances En début d’après-midi, les fils aînés du Premier ministre assassiné, Rafic Hariri, Bahaeddine et Saaddedine Hariri, ont été parmi les premiers à présenter leurs condoléances à la famille Ghalayni à Aïn el-Mreissé. De leur côté, les membres de la famille Ghalayini ont également présenté leurs condoléances aux Hariri. Ils ont ensuite demandé leur assistance pour que la lumière soit faite sur la négligence dans les recherches durant les derniers dix-sept jours. Les fils Hariri se sont déclarés prêts à soutenir la famille Ghalyini dans leur douleur, « tout comme Beyrouth et le Liban tout entier les avaient soutenus ». En sortant, Bahaedine Hariri a déclaré : « Nous demandons la vérité, uniquement la vérité. » Les députés de Beyrouth, Ghinwa Jalloul, Mohammed Kabbani et Walid Eido, ont également présenté leurs condoléances. « Il est vraiment triste que les chats et les mouches deviennent plus compétents que les services sécuritaires et judiciaires de l’État », a déclaré Mme Jalloul, avant de poursuivre : « Ceci est inacceptable, nous ne passerons pas ce crime sous silence (...), et nous continuerons à demander la révocation des responsables sécuritaires et judiciaires qui sont à la base de cette défaillance. Nous soupçonnons la présence d’une tentatice d’effacement des preuves (...). L’État doit en payer le prix », a-t-elle conclu. M. Kabbani s’est, de son côté, demandé « où se situent le pouvoir, la justice, les forces de sécurité et la Défense civile dans tout ceci », posant également plusieurs questions à propos des circonstances de l’attentat. Devant les portes de l’hôpital où a été transporté le corps de la victime, M. Eido a souligné le manque de sérieux de l’enquête, estimant que le « citoyen libanais est laissé à son destin dans cet État ». « Nous ne vous supportons plus », a-t-il déclaré à l ’encontre des dirigeants, en leur demandant de « partir dans le calme ». Le député de Baabda, Henri Hélou, a également présenté ses condoléances à la famille. Des disparus syriens À la morgue de l’hôpital de l’Université américaine, un groupe d’ouvriers syriens attendaient hier qu’on leur livre les corps de deux jeunes gens retrouvés sur les lieux. « L’un d’eux a été trouvé le lendemain de l’explosion, le second huit jours plus tard. Nous réclamons en vain depuis des jours aux autorités le corps du troisième, Farhan Ahmed el-Issa », affirme Abdallah Ali, cousin des trois victimes, venu de Deir ez-Zor, dans le nord-est de la Syrie. Samer GHAMROUN

Dix sept jours après l’odieux attentat du Saint-Georges qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, le plus horrible restait à découvrir. Hier matin, le hasard a fait ce que tout l’appareil étatique libanais, à travers ses multiples institutions et services, hypertrophiés, « n’a pas pu ou n’a pas voulu accomplir », comme l’a affirmé l’un des proches...