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Chronique d’un sit-in extraordinaire au cœur de Beyrouth Place des Martyrs, l’espoir retrouvé des jeunes : Nous ne quitterons qu’après le départ des Syriens (Photo)

Épuisés mais heureux. Les lendemains de fêtes ont un petit goût de gueule de bois. Même à la place des Martyrs rebaptisée place de la Liberté, où des jeunes vivent depuis près de quinze jours et comptent rester jusqu’à l’obtention de toutes leurs revendications. Après la grande fête de lundi soir et la nuit blanche qui l’a suivie, mardi matin, les jeunes sont encore là, un peu sonnés, un peu ivres de cette victoire qu’ils espéraient sans trop y croire, mais incroyablement fiers d’avoir réussi, alors que peu de gens avaient parié sur eux. Tayma, étudiante à l’USJ, confie ainsi qu’elle a redonné de l’espoir à son père, cet homme qui avait connu la guerre et perdu au passage de nombreuses illusions. Indépendante, elle exprime son bonheur de contribuer à l’évolution de son pays vers la démocratie et la souveraineté et refuse toute récupération du mouvement qu’elle et ses camarades représentent. « Nous n’avons pas connu un Liban indépendant, s’exclame-t-elle. Nous sommes trop jeunes. Mais c’est notre droit d’essayer de l’obtenir. » Des groupes de tentes pour chaque parti En cette matinée ensoleillée, la place des Martyrs ressemble à un camp de vacances. Des tentes de toutes les couleurs se dressent sur le terre-plein et chaque groupe y a les siennes. Il y a ainsi le coin du courant aouniste, celui des Forces libanaises, celui du Mouvement réformiste kataëb, celui du PSP, celui du Courant du futur et ceux des différentes universités, l’USJ ayant un coin non négligeable. En fait, un profane ne saurait pas les distinguer les unes des autres, car toutes les tentes arborent les couleurs du drapeau libanais ou la croix et le croissant désormais indissociables. Mais c’est en discutant avec eux que l’on découvre les nuances, les allégeances et les différences. Et c’est sans doute cette cohabitation un peu étrange, toujours émouvante qui rend le phénomène si important. Les jeunes présents confient qu’ils apprennent beaucoup en vivant si près les uns des autres. « Nous devons faire des concessions réciproques, modifier nos slogans et parfois notre façon de vivre, pour pouvoir cohabiter sans incidents. Depuis la fin de la guerre, nous n’avions jamais eu la chance de connaître une telle proximité. On nous avait dit que le service militaire permettrait un tel mélange, mais ceux qui l’ont fait n’en ont gardé qu’un mauvais souvenir. Là, c’est différent. Nous voulons mener ensemble cette bataille et les priorités sont là, dans cette osmose. Il devient ainsi plus facile de dépasser les susceptibilités et les frictions », explique Farid, étudiant à l’AUB. En deux semaines, les jeunes ont appris à s’organiser. Il est d’ailleurs impressionnant comment ces étudiants, pour la plupart d’entre eux, réussissent à gérer leur quotidien sous la tente. Ils ont établi des divisions par secteur et affinités, réussi à installer des poubelles et des sortes de coins-repas, d’autres pour la musique, et enfin se sont organisés pour la logistique. Mme Nora Joumblatt leur envoie chaque jour de la nourriture, mais quand ils ont envie de manger autre chose que des sandwichs, ils appellent leurs amis au secours et ceux-ci arrivent avec des friandises, du lait, des fruits et... des guitares pour mettre un peu d’animation. Ils se relaient pour qu’il y ait toujours des jeunes sur place En fait, comme ils sont pour la plupart des étudiants, ils rendent hommage à la complicité tacite des administrations de leurs universités respectives. Les cours semblent allégés et ils parviennent à se relayer toute la journée pour qu’il y ait toujours quelqu’un sur place, sans qu’ils ne soient obligés de rater leurs cours. Ils ne craignent absolument pas que leur motivation se relâche. « Maintenant ? Après la démission du gouvernement ? Vous voulez rire. Nous sommes gonflés à bloc. Et notre moral est au plus haut. Pensez donc, nul n’aurait cru que le gouvernement tomberait si vite. C’est le début d’une marche inévitable vers la victoire », clame Suzy, étudiante en lettres. Ce que veulent les étudiants ? « Trois choses, explique Fady. D’abord la démission du gouvernement, ensuite le retrait des Syriens et enfin la vérité sur l’assassinat de Hariri. Nous ne partirons pas d’ici avant la réalisation de ces trois objectifs. Qu’on n’essaie pas de nous faire changer d’avis. Nous n’accepterons pas que l’on noie le poisson ou que l’on nous jette des miettes. Nous commençons à prendre conscience de notre pouvoir et nous n’avons pas l’intention de renoncer. Après tout, c’est dans ce pays que nous voulons vivre. Nous avons laissé faire nos parents. Ils ont échoué. Qu’ils nous laissent donc agir maintenant. » Les quelques centaines de jeunes qui se sont installés à la place des Martyrs affirment ne pas voir le temps passer. Ils discutent, écoutent de la musique, se draguent aussi parfois, s’occupent de l’intendance, prient devant la tombe de Rafic Hariri et savent qu’ils sont devenus une attraction pour tous les Libanais qui viennent les regarder un peu par curiosité, beaucoup par intérêt. Ils les voient défiler, les abordent, essaient de les motiver et sont très heureux quand des personnes adultes les encouragent ou crient leur admiration. Un peu « Woodstock », un peu camp de scouts, l’atmopshère à la place des Martyrs est à la fois surchauffée et détendue, avec une discpline et un rythme propres. Les heures s’écoulent à un rythme particulier, sans que l’excitation ou l’enthousiasme ne se relâchent un seul moment. L’hommage à l’armée L’après-midi, la place s’anime encore plus. Elle n’appartient plus aux seuls jeunes, mais c’est tout le peuple qui se l’approprie, dans un élan extraordinaire, chaque personne voulant partager ces moments uniques et dire plus tard, dans quelques années : « Le printemps de Beyrouth, j’y étais, je l’ai vécu et j’y ai participé. » Il y a ainsi cette dame bien sous tous rapports qui défile avec sa Sri Lankaise, poussant même le zèle jusqu’à lui apprendre les slogans du jour, ce couple de retraités à la recherche d’une nouvelle jeunesse, cette dame voilée venue avec trois enfants en bas âge qu’elle n’arrive même pas à tenir, bref toutes les couches sociales et tous les milieux, unis dans une même volonté de vivre des moments forts. Face au défilé de curieux, les jeunes racontent comment ils ont vécu la nuit de dimanche à lundi puis la grande fête du lundi soir. Ils sont intarissables sur la complicité qui s’est établie avec les soldats de l’armée. « Ce sont eux qui nous indiquaient le chemin pour atteindre le lieu du rassemblement et à la place des Martyrs, ils nous chuchotaient de les pousser pour qu’ils aient l’air de nous empêcher de passer. Ils ont été formidables. C’est cela le Liban que nous voulons. » D’ailleurs, depuis ce jour, les jeunes scandent sans arrêt le slogan suivant : « Nous ne voulons que l’armée libanaise sur notre sol. » Pour bien montrer que ce n’est pas à la troupe qu’ils en veulent, mais à ceux qui lui confisquent son rôle ou le déforment. Les jeunes ne s’embarrassent pas des subtilités de la politique libanaise. Ils ne veulent pas être entraînés dans le sordide et préfèrent garder leurs rêves et leurs espoirs. Les incursions régulières des figures de l’opposition, certaines réellement motivées et d’autres à la recherche d’un peu de popularité ou d’une tribune, ne les dérangent pas. Au contraire, elles les amusent. « Voir tout cela en “live”, c’est extraordinaire. Ils ont besoin de nous et ils le disent. Le Liban est décidément en train de changer... » D’ailleurs, sur les pans de mur autour de la place des Martyrs, une phrase du général Aoun est écrite en grand : « Ils sont le Liban qui part et vous êtes celui qui est en train de naître. » Ils y croient vraiment à cette phrase. Ils ont tellement d’enthousiasme et de confiance dans l’avenir, eux qui, il n’y a pas si longtemps encore, étalaient leur mal de vivre dans les journaux. Et on voudrait tellement, pour eux comme pour nous, que les lendemains de fêtes ne soient pas un réveil un peu triste... Scarlett HADDAD
Épuisés mais heureux. Les lendemains de fêtes ont un petit goût de gueule de bois. Même à la place des Martyrs rebaptisée place de la Liberté, où des jeunes vivent depuis près de quinze jours et comptent rester jusqu’à l’obtention de toutes leurs revendications. Après la grande fête de lundi soir et la nuit blanche qui l’a suivie, mardi matin, les jeunes sont encore là, un peu...