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Actualités - CHRONOLOGIE

Manifestation - Un sit-in pacifiste, avec la complicité de l’armée, pour suivre en direct la séance parlementaire « Démissionnez », demande la foule au gouvernement(photos)

La journée d’hier s’annonçait comme une des plus difficiles de l’histoire du Liban. L’interdiction de manifester et de se rassembler, qui devait entrer en vigueur dès 5 heures, avait fait craindre des dérapages, des tabassages, de la violence. Les mesures drastiques de sécurité et le bouclage systématique de tout le centre-ville par l’armée, présente en force, en avaient même refroidi plus d’un, inquiets de la tournure que risquaient de prendre les événements. Mais c’est une véritable marée humaine qui s’est finalement retrouvée au centre-ville, durant la matinée, déferlant de tous les coins du Liban, pour assister au débat parlementaire retransmis sur grand écran et par haut-parleurs en divers points de la place des Martyrs. Encouragée par une opposition qu’elle est venue soutenir, désormais unie sous un même drapeau, sous une même volonté de faire chuter le gouvernement, sous les mêmes slogans surtout : « Souveraineté, liberté, indépendance », mais aussi « Vérité, liberté, union nationale » ou « la Syrie dehors ». Des slogans scandés et chantés en chœur, au son d’un tambour et d’une flûte donnant à la manifestation une ambiance de kermesse. Débouchant de partout, la marée humaine était canalisée vers l’entrée de Saïfi (non loin du siège du parti Kataëb) par l’armée libanaise, tantôt frustrante, opposant un blocus infranchissable aux délégations survoltées, tantôt complice, desserrant les rangs et écartant sciemment les fils de fer barbelés pour laisser le champ libre aux manifestants. Les foules, déferlant sans discontinuer vers la place des Martyrs, étaient alors repoussées avec force par l’armée, assistée des FSI, ou au contraire, invitées avec bienveillance à passer. Les groupes, séparés par l’armée, se reformaient rapidement, sous les applaudissements de la foule, avant de poursuivre leur marche, vers la statue des Martyrs. « Cela fait trois heures que nous sommes en route », dit un manifestant survolté. Nous arrivons à pied de la région du Christ-Roi, à Zouk, car l’armée nous a bloqué la route. » Mais une jeune fille raconte, amusée : « J’ai demandé à un soldat qui me barrait le chemin ce que je devais faire pour rentrer dans le périmètre interdit, il m’a dit de le bousculer. » Un groupe de jeunes manifestants, descendant vers midi de Baabdate, et ayant préféré cacher les drapeaux et foulards au fin fond de la voiture, a eu la surprise de se voir demander par un membre des Forces de sécurité intérieure pourquoi il était en retard. « Il nous a même dit d’arborer nos drapeaux et de ne pas avoir peur », précise-t-elle. Mais un autre manifestant se plaignait encore, peu avant 13 heures, de ne pas avoir pu rejoindre la place des Martyrs. « Ils ne m’ont pas laissé passer », dit-il, frustré, rebroussant aussitôt chemin. Cependant, de manière générale, la présence de l’armée aura été bienveillante, celle-ci distribuant sourires et conseils aux manifestants, qui ne se privaient pas à leur tour de les remercier, de leur offrir des fleurs, de leur souhaiter longue vie et bonne santé, tout en demandant bien haut « qu’aucune autre armée ne foule le sol libanais ». « C’est comme si l’armée faisait semblant de ne pas nous laisser rejoindre la place des Martyrs, raconte un jeune étudiant. Car elle a finalement laissé passer tout le monde. » En effet, à partir de treize heures, l’accès à la place des Martyrs à partir de Saïfi était ouvert à tous, alors que les gens continuaient d’affluer et que les manifestants, postés depuis de longues heures, voire même depuis la veille, en profitaient pour aller se restaurer, avant de revenir. À la hauteur des haut-parleurs et de l’écran géant, la foule, quoique en verve, était tout ouïe, attentive à la séance parlementaire. Outre les citoyens de tous âges, de tous bords et de toutes confessions, les avocats et les médecins étaient présents, vêtus de leurs toges et de leurs tabliers. Écoutés religieusement, applaudis à tout rompre D’emblée, les propos du Premier ministre Karamé ont été hués, ponctués de critiques et de quolibets. On traitait Omar Karamé de « menteur », on voulait un Parlement « qui ne soit pas le sous-fifre de la Syrie », on demandait « la démission du gouvernement ». Mais dès que Bahia Hariri, la sœur du Premier ministre assassiné, a pris la parole, le silence total s’est fait et l’assistance l’a écoutée religieusement, buvant littéralement ses paroles, applaudissant ses propos. Un énorme cri, lancé par une foule émue, a ponctué la fin de l’intervention de Mme Hariri. Un cri reprenant en chœur les slogans, devenus ceux de toute l’opposition, qui réclament la démission du gouvernement et le départ de la Syrie. Mikhaël Daher n’a pas réussi à soulever la foule, même s’il a été poliment applaudi, sans plus. Mais de nouveau, l’intervention de Marwan Hamadé a déchaîné les passions. Et puis à midi cinquante-cinq, le silence a régné, au Parlement comme sur la place des Martyrs, pour une minute, en mémoire de l’ancien Premier ministre assassiné, il y a deux semaines, à la même heure. Même si certains se sont assoupis à même le sol ou dans des tentes, épuisés de leur nuit blanche, et que d’autres se sont éclipsés quelque temps pour aller se restaurer, l’intervention de Ghazi Aridi a été, elle aussi, applaudie à tout rompre. Alors que la foule commençait à montrer des signes de fatigue. Une fatigue vite oubliée, à l’annonce de la diffusion en direct à 15 heures d’un message du général Aoun, qui a, encore une fois, déchaîné les passions. Hier, les Libanais ont su hurler leur opposition et leur colère d’une même voix, mais ils ont aussi su écouter leurs leaders de tous bords, ensemble, dans le respect de leurs différences et de leurs particularités. Seul le drapeau libanais était hissé, à de rares exceptions près, alors que les manifestants de tous bords fraternisaient. « Regarde, a même dit un protestataire chrétien à son camarade, alors que la manifestation battait son plein, les druzes partagent leur repas avec moi. Désormais, entre nous, il y a du pain et du sel », a-t-il ajouté, signifiant que leur amitié était désormais scellée. Hier, place des Martyrs, c’est un peuple libanais unifié et pacifique qui a remporté sa première victoire. Il reste à espérer qu’il saura en faire bon usage, dans l’objectif d’une victoire absolue et définitive de la démocratie. Anne-Marie EL-HAGE

La journée d’hier s’annonçait comme une des plus difficiles de l’histoire du Liban. L’interdiction de manifester et de se rassembler, qui devait entrer en vigueur dès 5 heures, avait fait craindre des dérapages, des tabassages, de la violence. Les mesures drastiques de sécurité et le bouclage systématique de tout le centre-ville par l’armée, présente en force, en avaient...