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L’opposition veut se prémunir contre l’ivresse de la victoire Après les larmes de tristesse, les larmes de joie (photos)

Une foudre tombant sur la place des Martyrs, où s’étaient agglutinés des centaines de milliers de citoyens, n’aurait pas produit un effet aussi tonitruant que les dernières paroles prononcées par le Premier ministre, Omar Karamé, annonçant sa démission. C’était enfin acquis. Treize jours de protestation furieuse venaient d’être couronnés par une victoire à l’arraché, la première d’une série de victoires que compte désormais marquer une jeunesse en quête du moindre signe d’espoir. Devant une foule endiablée, les discours des membres de l’opposition, qui se sont dépêchés de venir partager l’euphorie de la rue, n’étaient plus entendus. Danses, applaudissements, cris de joie, chahuts, la foule ne parvenait plus à contenir son émotion. Dans la mêlée, les appels au calme lancés par les députés du haut de la fameuse tribune étaient inaudibles. Les « Mabrouk » (félicitations) fusaient de partout et les gens s’embrassaient parfois sans se connaître. Ceux-là mêmes qui pleuraient, il y a deux semaines, le décès tragique du « père contemporain de l’indépendance », Rafic Hariri, ont laissé à nouveau couler des larmes de joie. Ils venaient enfin de réaliser que, grâce à leur ténacité, une page de l’histoire venait d’être tournée. Pour cette jeunesse en liesse, l’épreuve de force s’est conclue en faveur du Liban rebelle, enfin intrépide. L’émotion était à son paroxysme, l’excitation aussi. En quelques instants, un immense drap rouge et blanc s’est déployé au-dessus des têtes, s’agitant au rythme des slogans revus et corrigés pour la circonstance : « Karamé est tombé. Lahoud (le chef de l’État Émile) ton tour viendra, Bachar (le président syrien Bachar el-Assad) ton tour viendra ». Plus loin, leur faisait un écho, un groupe de protestataires druzes : « Le nouveau gouvernement ne viendra que de Moukhtara ». Spontanément, des centaines de manifestants se sont précipités vers les soldats qui bouclaient la place pour leur donner l’accolade. « C’est grâce à vous que cela est arrivé », lançaient-ils. « C’est la première fois qu’on assiste au Liban à un bras de fer entre la volonté du peuple et celle d’un régime oppressif, qui s’est soldé par la victoire de la rue », clame un membre du courant aouniste, Bassam el-Hachem. Ce n’est toutefois que le début d’une longue marche dont le but n’est pas encore acquis. « Cette victoire reste symbolique, dit-il. Nous savons pertinemment que la Syrie est passée maître dans l’art de désamorcer le ressentiment populaire avant de reprendre les choses en main », dit-il. Même son de cloche du côté de la Gauche démocratique, dont un membre affirme que « la véritable indépendance ne sera célébrée qu’une fois que les forces syriennes et leurs services de renseignements seront passés de l’autre côté de la frontière ». Selon lui, ce succès partiel est toutefois « une preuve vivante que les peuples sont encore capables d’influer sur le cours de la vie politique ». « Il s’agit maintenant de désigner un gouvernement qui puisse s’imposer et préserver la dignité des gens », indique Oussama. « C’est une première, ajoute Joanna Nassar, une étudiante de 24 ans. Ils (les loyalistes) ont estimé que ce rassemblement allait s’essouffler et que les gens allaient se lasser. Maintenant, ils savent qu’ils ont mal calculé. La bataille ne fait que commencer », dit-elle. Socrate, lui, a perdu tout sens de sagesse et de modération. Survolté, le jeune druze promet que si, malgré toute la trépidation de la rue, les Syriens s’entêtent à rester, « c’est par la force qu’ils seront amenés à quitter ». Aux propos du chef de l’État syrien qui a déclaré à la presse italienne que « ses forces ne se retireraient qu’une fois la paix réalisée au Proche-Orient », Socrate réplique : « Nous avons un droit de réponse. Notre réaction sera la résistance armée, à l’instar de celle qui a été menée par le Hezbollah contre l’occupant israélien. Nous en avons assez », s’enflamme le jeune Socrate, qui vient de renoncer définitivement à quitter son pays. « Cette victoire est le meilleur antidote contre l’émigration », dit-il. Après un bref discours sur la tribune qu’il n’a même pas pu achever, le député PSP, Ghazi Aridi, épuisé, est allé se recueillir devant les tombes de Rafic Hariri et de ses compagnons, histoire de partager avec eux un premier triomphe qui leur a coûté la vie. Son message est clair : « Nous devons nous prémunir contre l’ivresse de la victoire, qui pourrait nous faire perdre notre équilibre », affirme l’ancien ministre en martelant qu’« il ne s’agit surtout pas de mettre cette réalisation sur le compte d’une défaite syrienne, mais plutôt d’un premier pas vers de nouvelles mesures visant à sauver le Liban, aussi bien que la Syrie, de l’effondrement ». Pour M. Aridi, il faut s’accrocher unanimement aux accords de Taëf, « une position clairement exprimée la veille par le ministre syrien des Affaires étrangères » Farouk el-Chareh, rappelle le ministre. Seuls absents de cette scène d’allégresse : les représentants de la communauté chiite, qui, vraisemblablement, ne se sentaient pas concernés par cette fête collective. Pourtant, M. Aridi reste confiant que le dialogue se poursuivra entre le Hezbollah et le chef du PSP, Walid Joumblatt. « Il faudra attendre pour voir comment cette relation va se développer à l’avenir, notamment après les nouveaux développements qui ont eu lieu aujourd’hui (hier) sur le terrain », a conclu l’ancien ministre, avant d’affirmer que « la haine et la rancune ne serviront à personne ». Jeanine JALKH
Une foudre tombant sur la place des Martyrs, où s’étaient agglutinés des centaines de milliers de citoyens, n’aurait pas produit un effet aussi tonitruant que les dernières paroles prononcées par le Premier ministre, Omar Karamé, annonçant sa démission. C’était enfin acquis. Treize jours de protestation furieuse venaient d’être couronnés par une victoire à l’arraché, la...