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Actualités - OPINION

La mauvaise réputation

Ils sont montés sur leurs grands chevaux et ont failli s’étrangler d’indignation ; ils ont osé invoquer sans ciller la clause de souveraineté alors que leur gouvernement se trouve être le plus lourdement hypothéqué, le plus déconsidéré aussi de l’après-Taëf. Et parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement, parce que aux yeux du monde l’assassinat de Rafic Hariri est un crime éminemment terroriste, ils n’ont pu qu’accueillir à la fin les limiers de l’Onu en leur promettant, merci du peu, leur généreuse « coopération ». Voilà ce qui s’appelle soigner sa réputation. C’est une mission d’information qu’a entamée hier l’équipe de spécialistes, dont les conclusions devront être présentées dans un mois au secrétaire général Kofi Annan, qui, à son tour, fera rapport au Conseil de sécurité sur « les circonstances, causes et conséquences » de l’attentat du 14 février. À défaut d’une enquête internationale en règle telle que réclamée par l’opposition, ce qu’il y a donc à Beyrouth c’est des enquêteurs internationaux. Leur seule présence dans nos murs, cependant, est une claire marque de défiance envers le pouvoir libanais, et plus exactement ses branches policière et judiciaire. Encore plus significative d’ailleurs est la réponse qu’ont donnée les autorités helvétiques à la demande libanaise d’envoi d’experts en matière d’explosifs et d’analyses ADN ; si ceux-ci devaient venir prêter leurs services en effet, ils ne le feraient que sous la casquette de l’Onu. Pour les Suisses détenteurs du label d’origine, la Suisse du Moyen-Orient reste, comme on voit, une bien mauvaise plaisanterie... Sur quels vestiges et indices vont plancher, dès ce matin, les experts des Nations unies ? En très grande partie sur ceux que voudra bien mettre à leur disposition un État que l’opposition – et avec elle une grande partie de l’opinion – accuse explicitement, de même que son tuteur syrien, d’avoir liquidé Rafic Hariri : un État qui, dans la meilleure des hypothèses, s’est rendu coupable de recours à la menace mais aussi d’incroyables négligences et carences, toutes perversions observées avant et après l’hécatombe d’Aïn-Mreïssé. L’attentat dont a miraculeusement réchappé Marwan Hamadé annonçait déjà le séisme Hariri ; et au lieu de redoubler de vigilance en ce qui concerne la sécurité des chefs de l’opposition, au lieu de prier le ciel nuit et jour pour qu’ils n’aillent pas glisser dans leur baignoire, les responsables ont prétendu mettre à la question le rescapé Marwan Hamadé. Ils ont dégarni le sommaire dispositif qui protégeait le domicile de Walid Joumblatt, dans le même temps que pleuvaient les menaces sur les courageux contestataires. Tout cela aurait bien valu une enquête. Et tout cela concourt fatalement au verdict sans appel que s’est hâtée de rendre une opinion publique sourde d’avance à toute conclusion qui irait contredire ses convictions. L’enquête sur l’enquête annoncée hier par le ministre de l’Intérieur débouchera peut-être bien sur un blâme ou une sanction administrative à l’encontre de quelque obscur fonctionnaire. Mais au point où en sont les choses, qu’on aille donc expliquer aux citoyens que le malheureux Zahi Bou Rjaili, asphyxié sous les décombres de son bureau de l’hôtel Saint-Georges où il gisait, impuissant, depuis 14 longues heures, est mort parce que le règlement c’est le règlement : parce que la paperasse administrative ça prend du temps, parce que des soldats obtus ont refusé à son épouse folle d’inquiétude l’accès de la pièce où il respirait encore. Que l’on essaie d’ôter aux gens la certitude que le disparu Ghalayini n’a pas été projeté dans la mer par le souffle monstrueux de l’explosion, que son corps ne s’est pas volatilisé comme par un tragique enchantement : mais qu’il a sans doute vu, comme dans un polar de série B, quelque chose qu’il ne devait pas voir. C’est de verre qu’est faite la confiance populaire. Et elle n’a pas attendu le cataclysme pour voler en éclats. Issa GORAIEB
Ils sont montés sur leurs grands chevaux et ont failli s’étrangler d’indignation ; ils ont osé invoquer sans ciller la clause de souveraineté alors que leur gouvernement se trouve être le plus lourdement hypothéqué, le plus déconsidéré aussi de l’après-Taëf. Et parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement, parce que aux yeux du monde l’assassinat de Rafic Hariri est un...