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Actualités - OPINION

De flamme et de lumière

Regardait-on par hasard la télévision hier, dans les hautes sphères syriennes ? Y a-t-on vraiment pris la mesure du phénomène historique, du processus irréversible dont Beyrouth est le théâtre depuis l’assassinat de Rafic Hariri ? Pour savoir ce qui se passe continue-t-on plutôt de s’en remettre aux rapports de ces mêmes services de renseignements, les fameux Moukhabarate devenus pourtant le fond du problème ? Et de Beyrouth, l’inspiration divine a-t-elle pu porter les dirigeants baassistes à zapper sur Bruxelles où l’isolement croissant de la Syrie, illustré par la déclaration commune de Bush et Chirac sur le Liban, est un des grands dossiers internationaux autour desquels – et même sur lesquels – se retrouvent les États-Unis et l’Europe, après les clivages de la guerre d’Irak ? Tout au long de la semaine dernière, les Libanais de toutes appartenances, unis dans la douleur et le désarroi, ont pleuré ensemble Rafic Hariri. À peine essuyées (mais non taries) les larmes, c’est une portée essentiellement politique cette fois qu’a revêtue la marche d’hier pour l’indépendance : magnifique démonstration d’unité nationale qui ne peut qu’aller en s’amplifiant, et dont le caractère spécifique ne fait qu’en souligner la profondeur, la force. C’est qu’elle vient de changer de camp, la force ; et du même coup, la peur. Ce n’est plus l’opposition intimidée, menacée, blessée qui est sur la défensive, mais une Autorité en pleine faillite. Sans pour autant qu’elle nous fasse grâce de ses outrances, la voici soudain en effet qui multiplie ouvertures, appels au dialogue et même concessions, tel le prochain débat de politique générale au Parlement, telle aussi la décision étatique de coopérer avec la commission d’enquête de l’Onu sur l’odieux attentat du 14 février. Que cette montée en puissance de l’opposition traduise un rejet populaire aussi authentique que massif de l’hégémonie syrienne, que ce rejet souvent latent, contenu, ait été exacerbé par la catastrophique reconduction du mandat puis par la furie criminelle visant les chefs de la contestation, devrait être évident pour tous. Mais que ce sursaut national se trouve puissamment conforté en ce moment par une conjoncture internationale favorable, seuls s’en offusqueront ceux qui n’ont jamais entendu parler des concepts relativement nouveaux de nations captives et de devoir d’ingérence : ceux qui n’admettent d’autre intervention que strictement, exclusivement, syrienne dans les affaires de ce pays. Prompts à crier au complot étranger ou ennemi, ils se refusent à comprendre, ceux-là, que le monde n’est plus le même ; qu’un Liban trop longtemps étouffé et soudain délivré de la crainte, débarrassé des vieux tabous, conscient qu’il n’est plus condamné à rester prisonnier d’un inégal tête-à-tête est lui aussi un autre Liban ; que la contestation nationale et l’actuelle sollicitude occidentale sont deux dynamiques vouées à se nourrir l’une l’autre, tant il est vrai qu’en géopolitique comme dans les opérations de banque on ne prête qu’aux riches ; tant il est naturel que les plus formidables des puissances ne puissent finalement pas grand-chose pour les nations répugnant à s’aider d’abord elles-mêmes. Garder vivante, foisonnante et confiante « l’intifada pour l’indépendance » devient, dès lors, moins l’affaire des chefs politiques que celle de chaque citoyen. Et le dialogue, c’est l’affaire de qui ? L’opposition a récusé sans appel un pouvoir exécutif jugé irrémédiablement hypothéqué et indigne, affublé déjà d’oripeaux de légalité constitutionnelle et dénué maintenant de toute légitimité populaire. Elle a aussitôt éconduit, de même, l’establishment politique gravitant autour de la Syrie, le Rassemblement de Aïn el-Tiné, exigeant que toute la lumière soit faite sur l’assassinat de Hariri préalablement à tout dialogue. Réussissant le tour de force de se distinguer du lot bêlant, le Hezbollah joue l’apaisement, certes, même si le dernier discours du cheikh Nasrallah est venu rappeler aux esprits le poids qui est celui des foules chiites sur l’échiquier libanais. Et pour parachever le tableau on voit mal, à ce stade, la Syrie se plier à l’exigence du leader du PSP Walid Joumblatt d’une négociation directe court-circuitant purement et simplement l’autorité locale, aussi disqualifiée soit-elle. Que peut apporter, devant cette apparente impasse, la démarche effectuée hier à Damas par le secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa qui a fait part de la volonté du président Assad de « poursuivre » l’application de ce même accord de Taëf qu’a dénaturé la pesante tutelle syrienne ? Du bon et du moins bon : enrobée de sucreries arabes, l’amère pilule libanaise passerait peut-être mieux. Mais il est difficile d’oublier en revanche tous les serments mensongers, les promesses jamais tenues, les velléités d’action et les lâches débandades dont nous auront gratifiés de bout en bout, et jusque dans le suivi de Taëf, les pays frères. Les Libanais, pour leur part, se passeront de dessert, merci. Issa GORAIEB
Regardait-on par hasard la télévision hier, dans les hautes sphères syriennes ? Y a-t-on vraiment pris la mesure du phénomène historique, du processus irréversible dont Beyrouth est le théâtre depuis l’assassinat de Rafic Hariri ? Pour savoir ce qui se passe continue-t-on plutôt de s’en remettre aux rapports de ces mêmes services de renseignements, les fameux Moukhabarate devenus...