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Actualités - CHRONOLOGIE

De toutes les communautés et les classes sociales, ils viennent se recueillir au centre-ville La sépulture de Rafic Hariri, un lieu de pèlerinage pour des milliers de Libanais (Photo)

La sépulture de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, à la cour de la mosquée Mohammed al-Amine, à Beyrouth, est devenue, depuis mercredi soir, un lieu de pèlerinage pour tout le Liban. Hier, dès le petit matin, des milliers de Libanais de toutes les communautés, les régions et les classes sociales se sont rendus spontanément dans ce centre-ville que Rafic Hariri avait tant aimé. Malgré la fermeture générale que le Liban observe depuis lundi dernier, il n’était pas très aisé hier aux automobilistes de trouver des places vacantes dans les parkings entourant la place des Martyrs, où l’on pouvait voir de longues files de voitures stationnées des deux côtés des avenues. Certaines arboraient des rubans noirs ou des portraits de l’ancien Premier ministre. Mais beaucoup ne portaient aucun ornement. Qu’ils aient soutenu, défendu, contesté ou critiqué Hariri de son vivant, les Libanais se recueillent – et se recueilleront dans les semaines à venir – sur la tombe d’un homme hors du commun. Par sa mort, Rafic Hariri n’a pas seulement unifié la rue chrétienne, druze et sunnite avec beaucoup de chiites non partisans, il a aussi réussi l’extraordinaire : brasser dans un petit espace – place des Martyrs – toutes les classes sociales du pays. Au centre-ville, hier, les clichés qui sonnent creux semblaient dotés d’un sens : en fourrure ou en manteaux usés, récitant la fatiha ou faisant le signe de croix, les Libanais étaient côte à côte, solidaires. Tous expliquaient qu’ils étaient là pour rendre hommage à un homme « qui a véritablement aimé le Liban », illustrant leur affirmation d’exemples, et utilisant souvent les mêmes phrases : « Il n’était pas sectaire, il n’avait pas du sang sur les mains et il voulait reconstruire le pays. » Rana, beyrouthine, a 27 ans. Elle porte en kangourou sa fille, Nour, âgée de trois mois. Elle indique : « Avec la mort de Hariri, j’ai peur que ma fille vive la guerre, que tous ces immeubles soient à nouveau saccagés ; quand j’étais petite, je vivais au rythme des déflagrations, dans une ville détruite. J’ai voulu que Nour ait une meilleure enfance que la mienne, maintenant je ne suis plus si sûre que ça. » May est venue de Badaro avec sa fille Lina. Elle vient réciter le chapelet sur la tombe de Rafic Hariri : « En 1985, mes trois frères ont été victimes d’un attentat à la voiture piégée… ». Elle éclate en sanglots sans pouvoir achever sa phrase. Sa fille prend la relève. « En 1988, j’étais étudiante à l’Université Saint-Joseph. La Fondation Hariri a offert des bourses à tous les étudiants de ma classe… J’ai refusé d’en bénéficier », dit-elle. « Rafic Hariri n’était pas un homme sectaire, car quand on pense de cette manière à l’éducation de tous, on ne peut être que patriote », ajoute-t-elle. L’instruction des jeunes La vingtaine, Léna et Rita sont venues de Ghosta. Elles se recueillent très discrètement devant le mausolée. Comme un bon nombre de personnes présentes hier au centre-ville, elles pensent avant tout à la fondation Hariri : « Il a beaucoup fait pour le Liban. Il voulait en premier lieu instruire les jeunes afin qu’ils puissent, dans l’avenir, construire un meilleur pays », disent-elles. « Il a donné sans compter au Liban tout entier. Regardez seulement autour de vous », ajoutent-elles en désignant les bâtiments du centre-ville. Dina, la quarantaine, a la jambe plâtrée et se déplace avec des béquilles. Elle est venue avec ses parents Ihsan et Leila. Elle a le visage creusé par les larmes. Pour expliquer l’immense tristesse qu’elle éprouve pour un homme qui ne fait partie ni de sa famille ni de ses amis proches, elle indique : « J’habite chez lui. » Dina a passé 27 ans hors du Liban. Elle avait quitté Beyrouth avec la guerre pour rentrer, en 2002, et s’installer à Saïfi Village. « Si Hariri n’avait pas reconstruit Beyrouth, je ne serais jamais revenue au pays. Vous savez, il se promenait souvent dans le centre-ville. Quand il nous croisait à Saïfi, il s’approchait de nous pour demander si tout allait bien, si nous avions des plaintes… », dit-elle. Mercredi dernier, Dina avait passé la matinée au balcon de l’appartement de ses parents, situé sur le trajet du cortège funèbre, à Caracol el-Druze. Leila, sa mère, indique : « J’ai 70 ans. Des Premiers ministres, j’en ai beaucoup vu. Il n’y a jamais eu un dirigeant libanais de l’envergure de Rafic Hariri. » Olga et Adeline sont venues d’Achrafieh. Pour assister aux funérailles de Rafic Hariri, Olga avait passé trois heures, mercredi, sous le pont du ring Fouad Chéhab. Elle indique : « De son vivant, je n’ai jamais arrêté de le critiquer, surtout pour sa politique financière… Tout a changé en septembre dernier (après la prorogation du mandat Lahoud), Hariri a commencé à représenter pour moi la démocratie et l’espoir. À ce moment, j’ai réalisé qu’il n’a jamais menti. » Si Olga s’est déplacée à deux reprises pour rendre hommage à Rafic Hariri, c’est aussi « pour soutenir les musulmans et pour l’unité nationale », souligne-t-elle. Adeline ouvre son sac, montre la bougie qu’elle a amenée de chez elle pour l’allumer devant le mausolée. « Il a peut-être commis beaucoup d’erreurs, mais il a reconstruit le pays, sans faire de différence entre les musulmans et les chrétiens. Au moins, il était le seul dirigeant qui n’est pas entré pauvre et sorti couvert d’or », indique-t-elle. Zeina, qui habite Akoura (le jurd de Jbeil) et qui s’est déplacée en taxi-service pour venir à Beyrouth, est entièrement vêtue de noir. Elle a les yeux bouffis et parvient à peine à contrôler ses sanglots. « Ce pays est fait pour les voyous et non pour les honnêtes gens. Hariri était un homme honnête, c’est pour ça qu’ils l’ont tué, que la Sainte Vierge protège Bahaa », dit-elle. Hussein est accompagné de son fils Hady, cinq ans. Le petit porte ce prénom en hommage au fils du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait péri dans un attentat-suicide anti-israélien. Le père et le fils portent le deuil de l’Achoura et viennent de la banlieue sud. « Rafic Hariri œuvrait pour le bien du pays. Je veux que Hady se souvienne plus tard que l’ancien Premier ministre a été assassiné parce qu’il a aimé tous les Libanais sans exception. » Délégation du Rassemblement du Bristol Hier en fin d’après-midi, la sépulture de Rafic Hariri était noyée sous une montagne de fleurs et éclairée par des centaines de bougies, dont plus de la moitié portaient des images pieuses, notamment celles de la Vierge Marie, du Sacré-Cœur et des saints Charbel, Thérèse et Rita. Comme la veille, quand le président français Jacques Chirac est arrivé accompagné des Hariri au centre-ville, plusieurs personnalités et proches de l’ancien Premier ministre se sont mêlés, hier, à la foule d’anonymes. Le directeur de la Banque mondiale, James Wolfenhson, est arrivé à la place des Martyrs avec l’ancien ministre des Finances Fouad Siniora, qui parvenait difficilement à retenir ses larmes. Il y a eu aussi le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gül. À 16h30, une importante délégation du Rassemblement du Bristol, formée notamment du chef du PSP, Walid Joumblatt, des députés Nayla Moawad, Marwan Hamadé, Ghazi Aridi, Farès Souheid, Misbah Ahdab, Fouad el-Saad et Henri Hélou, de l’ancien ministre Bassem Jisr et du PDG d’an-Nahar, Gebrane Tuéni, est arrivée. Et la présence du chef du PSP, Walid Joumblatt, a provoqué une réaction enflammée de la foule. On ne sait plus comment courir et se bousculer pour s’approcher de lui, le toucher, lui témoigner de tous les espoirs qu’il incarne désormais. Et l’on parvient à peine à entendre les propos du député du Chouf, qui a l’air d’avoir pris dix ans en quatre jours. Il martèle : « Que ce régime criminel s’en aille. » À quelques mètres de la bousculade, trois silhouettes presque frêles, fragiles. Trois visages livides : soutenu par Ghazi Aridi et Nayla Moawad, Marwan Hamadé – s’appuyant sur une canne – s’avance lentement vers sa voiture. Il y a cinq mois, le député du Chouf aurait pu subir, en plein Beyrouth, le même sort que l’ancien Premier ministre. Il avait échappé par miracle à l’attentat qui le visait. Secteur Saint-Georges, lundi dernier, le miracle n’était pas au rendez-vous. Patricia KHODER
La sépulture de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, à la cour de la mosquée Mohammed al-Amine, à Beyrouth, est devenue, depuis mercredi soir, un lieu de pèlerinage pour tout le Liban. Hier, dès le petit matin, des milliers de Libanais de toutes les communautés, les régions et les classes sociales se sont rendus spontanément dans ce centre-ville que Rafic Hariri avait tant aimé....