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Actualités - OPINION

Portrait Pionnier de la reconstruction, mais aussi pionnier de la paix (Photo)

«Je confie le Liban à son bon peuple et à Dieu » : Rafic Hariri ne croyait pas si bien dire lorsqu’il a tenu ces propos, en octobre dernier, à son départ de la présidence du Conseil. Se savait-il menacé ? Probablement. Pouvait-il d’ailleurs se sentir en sécurité, lui qui a autant dominé la vie politique, économique et financière d’un pays comme le Liban durant les quinze dernières années ? Il avait un jour dit en privé qu’un homme qui a connu comme lui le malheur suprême de perdre un enfant ne craint plus la mort. Mais le personnage avait atteint une telle ampleur que les Libanais pouvaient légitimement craindre la sienne. La camarde l’a finalement frappé, de la manière la plus abjecte possible. Et brisé définitivement un destin qui, aux yeux de beaucoup – et pas seulement de ses partisans –, s’identifiait à l’avenir de ce pays. On ne prête qu’aux riches. Et Rafic Hariri était immensément riche. Taëf, c’était lui ; les déboires de la livre, c’était lui aussi ; la dette, c’était encore lui. La 1559 ? Allons donc, c’est bien lui ! Pour ses détracteurs, il était devenu une sorte de « Roi-Soleil » en négatif, un dieu malfaisant qui commandait la pluie et le beau temps et avait acquis le pouvoir de manipuler tous les gouvernements de la planète, ce qu’il faisait volontiers, selon eux, pour réaliser ses noirs desseins. Quant à ses partisans, ils laissaient dire et n’étaient pas peu fiers de cette image de figure monumentale qu’on collait à leur héros. Après tout, quoi de plus séduisant que ce petit Libanais parti d’à peu près rien et devenu capable de tenir la dragée haute aux grands de ce monde ? Mais Rafic Hariri n’était-il que ce que l’on disait de lui ? Les excès des uns et des autres à son égard donnent, à n’en pas douter, une certaine idée de l’homme. Qu’on le déteste ou qu’on l’adule, il fascinait et continuera de fasciner, bien au-delà de la mort. Ses contradictions, ses faiblesses et ses retournements ne contribuaient pas peu à forger son image d’homme politique à la fois pragmatique et détenteur d’un dessein aussi vaste que secret. C’est peu de dire que les derniers mois de sa vie ont été les plus révélateurs à cet égard. Il vote la prorogation du mandat présidentiel mais se laisse progressivement sortir du pouvoir. Il se tait mais on l’accuse d’être le grand ordonnateur derrière la mobilisation internationale et la série des Bristol. Il jure ses grands dieux qu’il n’est pas un adversaire de la Syrie, mais les chancelleries saluent aujourd’hui en lui un homme qui a symbolisé la volonté d’indépendance et de souveraineté du Liban. Ce qui compte, c’est ce que l’histoire retiendra. Nombreux sont les Libanais de toutes communautés qui ont souhaité voir en Rafic Hariri un second Riad Solh. Mais ce dernier n’avait fait qu’accepter de laisser au vestiaire un peu de son arabité en échange d’un abandon par les chrétiens de leur attachement séculaire à la France. Hariri n’est-il pas déjà allé au-delà de cette équation en démontrant que le Premier ministre sunnite du Liban pouvait très bien s’accommoder de l’amitié de la France (et de tout l’Occident) au moment où le président de la République maronite la boude ? Au-delà des désaccords politiciens, des conflits d’intérêts et des rivalités personnelles en jeu, cet inversement de la tendance traditionnelle illustre une évolution profonde de la réalité politique libanaise : à mesure où, après Taëf, les chrétiens perdaient de leur influence, le discours souverainiste qui était traditionnellement le leur a cessé d’être leur propriété exclusive. Walid Joumblatt est aujourd’hui l’exemple le plus éclatant de cette transformation. Mais c’est bien Rafic Hariri qui, davantage dans les actes que dans les mots, en a été le grand initiateur. L’histoire imputera peut-être à l’ancien Premier ministre une grande responsabilité dans l’endettement monstrueux du pays. Hariri avait des rêves fous et les rêves coûtent cher. Oubliera-t-elle pour autant qu’il fut un grand bâtisseur ? On peut critiquer les nombreuses failles qui ont accompagné la gigantesque entreprise de reconstruction de Beyrouth et du Liban. On peut, on doit contester les méthodes souvent utilisées par lui-même et ses proches. On ne leurrera personne en niant la réalité de cet effort géant qui, sans la mobilisation, l’enthousiasme et la formidable énergie d’un homme hors du commun, aurait tardé encore à voir le jour. Pionnier de la souveraineté, pionnier de la reconstruction, mais aussi pionnier de la paix. N’était-ce pas Rafic Hariri qui, le premier, a décidé de rompre avec le discours figé en vogue à Beyrouth, Damas et ailleurs à propos du conflit israélo-arabe ? Certes, la montée des violences, ces dernières années, l’a empêché de jouer un rôle de premier plan à cet égard. Il n’empêche : en janvier 2000, alors que la deuxième intifada avait déjà commencé dans les territoires palestiniens, il n’hésitait pas à tenir les propos suivants dans une interview à L’Orient-Le Jour : « Le moment est venu, je crois, de reconsidérer les idées acquises. Nous sommes au seuil d’une étape nouvelle, d’une ère de paix (...). Il nous faut évoquer Israël en des termes différents de ceux dont nous avons usé durant cinquante ans. » Rafic Hariri est mort et le langage officiel ambiant est plus que jamais figé. Construire un destin L’allure ronde, les sourcils charbonneux et la chevelure poivre et sel, il était né en 1944 à Saïda d’un père ouvrier agricole. À 18 ans, il est contraint d’interrompre ses études du fait de la modestie des ressources familiales et quitte le Liban pour tenter sa chance en Arabie saoudite. Il enseigne d’abord les mathématiques dans un lycée de Djeddah puis il se lance dans la construction immobilière, profitant du développement sans précédent de ce marché dans la foulée du choc pétrolier de 1973, qui fait affluer les pétrodollars dans les caisses du royaume. La chance lui sourit en 1977. Il est chargé par le roi Khaled ben Abdel Aziz de construire le palais de Taëf, qu’il avait promis d’ériger en moins de six mois. Il réussit cette gageure et gagne du même coup la confiance du prince héritier Fahd, aujourd’hui sur le trône. En 1978, privilège rare, il obtient la nationalité saoudienne. Sa montée en puissance date de cette époque. Après l’invasion israélienne de juin 1982, il se démène – déjà – pour la reconstruction de Beyrouth, mais les événements en décideront autrement. Il revient en force en 1989, dans les coulisses de Taëf. En attendant la reconstruction du palais présidentiel de Baabda, c’est chez lui que loge le président Élias Hraoui. Mais c’est à la suite des élections législatives de 1992, boycottées principalement par l’opposition chrétienne, que commence l’ère Hariri à proprement parler. Il est alors nommé Premier ministre, poste qu’il conservera jusqu’à 1998, à l’avènement du président Émile Lahoud. La mésentente avec ce dernier est manifeste et Hariri passe dans les rangs de l’opposition. Il revient en octobre 2000, dans la foulée des législatives triomphales de l’été, lors desquelles il rafle la mise. Mais les rapports avec Émile Lahoud se détériorent. Bénéficiant d’un soutien sans faille de Damas, le chef de l’État finit par s’imposer, forçant son adversaire à quitter le pouvoir par la petite porte. Détenteur d’une fortune estimée à dix milliards de dollars, Hariri avait beaucoup investi dans la banque, l’immobilier, l’industrie, la téléphonie mobile et dans les médias : au Liban, il avait sa propre chaîne de télévision, Future TV, et son quotidien, al-Mostaqbal. Il possédait aussi Radio-Orient, basée à Paris. Personnalité respectée dans le monde de la finance internationale, Hariri a voulu mettre son carnet d’adresses au service de son pays. Outre la famille royale saoudienne, il entretenait des relations suivies avec le président français Jacques Chirac, en qui il voyait « un ami ». Il sillonnait le monde pour redonner confiance aux investisseurs étrangers et libanais expatriés, les incitant à revenir au Liban. En novembre 2002, il obtient l’accord de la communauté internationale réunie à Paris pour venir au secours du Liban qui risque l’asphyxie financière, en contrepartie de réformes économiques prévoyant notamment la privatisation de divers secteurs de l’économie. Ce fut Paris II. Cependant, ses divergences avec M. Lahoud ont paralysé l’Exécutif et empêché la mise en œuvre de ces réformes. Marié à deux reprises, Rafic Hariri était père de cinq enfants. Un sixième, Houssam, avait trouvé la mort il y a une dizaine d’années dans un accident de voiture. Élie FAYAD
«Je confie le Liban à son bon peuple et à Dieu » : Rafic Hariri ne croyait pas si bien dire lorsqu’il a tenu ces propos, en octobre dernier, à son départ de la présidence du Conseil. Se savait-il menacé ? Probablement. Pouvait-il d’ailleurs se sentir en sécurité, lui qui a autant dominé la vie politique, économique et financière d’un pays comme le Liban durant les quinze...