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À l’hôpital américain, la douleur de Bahia et la colère de la foule (Photo)

Il m’avait donné rendez-vous jeudi matin pour un round up préélectoral, en homme déterminé à mener la bataille jusqu’au bout. Mais que tout cela paraît dérisoire aujourd’hui. Cet entretien n’aura pas lieu. Rafic Hariri est mort et nul ne parvient encore à croire à cette horrible réalité. Dans le salon de l’hôpital américain qui, il y a un peu plus de quatre mois, accueillait les proches du député Marwan Hamadé, qui avait survécu à l’attentat qui l’avait visé le 1er octobre grâce à un véritable miracle, les proches de l’ancien président du Conseil sont effondrés. Ils ont été les premiers à apprendre la terrible nouvelle, car le corps de Hariri avait été dégagé le premier des décombres de l’explosion. Celui dont on disait qu’il était plus grand qu’un pays a été tué sur le coup. La douleur de Bahia qui, entre deux sanglots, ne parvenait qu’à crier son incrédulité, les sanglots de Walid Eido, qui pleurait comme un enfant, les yeux rouges de Atef Majdalani, qui essayait de calmer les gens, le regard figé de Michel Pharaon, le visage fermé de Mohammed Raad, mais aussi les larmes des anonymes, ces centaines de Beyrouthins qui se sentent aujourd’hui orphelins. À l’hôpital, les images sont poignantes, et si des proches des commanditaires de l’attentat ont rôdé dans le coin, hier en début d’après-midi, ils ont certainement dû être impressionnés par l’étendue de la peine qui s’exprimait spontanément, à travers les cris et les pleurs des habitants de la capitale. D’abord l’incrédulité, puis le choc, la peine et enfin une sorte de colère salutaire, qui se concrétisait par des débordements verbaux. Contre le pouvoir, les Syriens, le président du Conseil, le ministre de l’Intérieur... Les partisans de Hariri n’avaient pas de mots assez durs contre les uns et les autres, sans attendre l’ouverture d’une enquête, ni même le début d’une piste concrète. La foule exprimait ses premières impressions sans réfléchir, ayant dépassé le stade de la peur, de la prudence ou tout simplement de la raison. Les uns voulaient prendre les armes et tirer sur les symboles du pouvoir, « comme nous l’avons fait pendant la guerre. Ils ont la mémoire courte puisqu’ils ont oublié ce que les habitants de Beyrouth ont fait », criait un homme qui ne trouvait pas d’autre moyen pour exprimer sa peine. D’autres préféraient parler de la terrible peine des sunnites, « que l’on pousse dans leurs derniers retranchements. Mais cette communauté saura réagir, nous avons le courage nécessaire et la volonté pour cela », hurlait un partisan de l’ancien Premier ministre. Mais les plus virulentes étaient les femmes, celles qui affirmaient avec fierté bénéficier des largesses de Hariri. « Nous tombions malades et nous allions chez lui. Nous voulions envoyer nos enfants à l’école et c’était encore lui. Nous voulions qu’ils trouvent du travail, Hariri était là pour chacun de nous à chaque étape de notre vie. Et vous voulez que nous ne le pleurions pas ? » sanglotait une femme en noir. Dans la cour de l’AUH, les esprits échauffés ne pouvaient supporter la moindre tiédeur, et lorsqu’un jeune homme a déclaré que c’était terrible, mais que le Liban devra survivre, il s’est fait huer par la foule surexcitée. Rapidement, les paroles se sont transformées en insultes et le jeune homme aurait pu se faire tabasser s’il ne s’était enfui. Les responsables de l’hôpital et les forces de l’ordre essayaient de dégager la cour, pour éviter des rixes éventuelles, mais les partisans de Hariri, sous le coup de la douleur, ne voulaient pas bouger, comme s’ils espéraient encore voir leur chef apparaître dans l’encadrement de la porte d’entrée. Les personnalités défilaient les unes après les autres, venues exprimer leur solidarité ou leur peine. Mais face à une telle douleur, tout semblait inutile, dépassé. Députés, proches, anciens responsables, nul ne savait quoi faire, surtout devant Bahia, la sœur tant aimée que même son fils ne parvenait pas à calmer. « Ils t’ont finalement eu, disait-elle. Mais pourquoi ? Toi qui ne voulais que le bien de ce pays, toi qui t’occupais des pauvres, toi qui croyais en ton pays. » Face à toute cette douleur, les questions restent sans réponse. Dans le petit salon, l’atmosphère est irrespirable. Petit à petit, les gens commencent à s’en aller. Il n’y a plus rien à faire ici. Bahia est emmenée presque en état second. Et l’image qui revient dans ma mémoire en ces moments terribles, c’est celle de Rafic Hariri lui-même, lorsque je lui avais demandé s’il pensait que la décision de l’éliminer avait été prise. Il avait souri, avec une sorte de fatalisme bien oriental, et répondu : « Vous savez, je suis croyant et je m’en remets à Dieu. » S.H.
Il m’avait donné rendez-vous jeudi matin pour un round up préélectoral, en homme déterminé à mener la bataille jusqu’au bout. Mais que tout cela paraît dérisoire aujourd’hui. Cet entretien n’aura pas lieu. Rafic Hariri est mort et nul ne parvient encore à croire à cette horrible réalité. Dans le salon de l’hôpital américain qui, il y a un peu plus de quatre mois,...