Rechercher
Rechercher

Actualités

À Koraytem, la douleur, le silence et une atmosphère de fin d’époque (Photo)

Toute cette foule et cet incroyable silence. Dehors, les partisans de Rafic Hariri crient leur peine et leur colère. Mais à l’intérieur de la maison, au cinquième étage, dans le hall de marbre et l’immense salon, la douleur est si intense qu’elle se passe de mots. Des hommes à la carrure impressionnante ont l’air perdu comme des enfants ayant égaré leurs parents. Nul n’a le cœur à commenter l’événement et les paroles s’échangent à mi-voix comme si les présents avaient honte d’être vivants. Après s’être rendus à l’hôpital et s’être assurés de la terrible nouvelle, les proches et les amis sont venus là où ils avaient l’habitude de se retrouver pour prendre des directives ou se sentir proches du centre de décision. Au fond du hall, la porte du bureau de Hariri, là où il recevait ses visiteurs pour des entretiens privés, est restée fermée, comme le symbole de la fin d’une époque. La tristesse est pesante comme une chape de plomb et elle semble terrasser les personnes présentes qui tournent en rond, attendant elles ne savent trop quoi. Le salon est déserté par les membres de la famille. Le fils aîné, Baha’, 38 ans, est retenu à la réunion de l’opposition, dans la salle à manger aux dimensions impressionnantes. Bahia se repose à l’étage sur ordre des médecins et les autres enfants ainsi que l’épouse, Nazek, sont pour la plupart dans des avions qui doivent les ramener au pays dans ces circonstances terribles. Partout, des yeux rougis par les larmes et des visages figés. Les accolades se multiplient et les hommes se tapent tristement sur le dos, incapables de prononcer la moindre parole. Les plus proches égrènent des souvenirs, à voix basse comme pour se rassurer, en se réfugiant dans des faits encore bien proches. Les témoignages des proches Selon les derniers témoignages, Rafic Hariri avait modifié ses habitudes ces derniers jours. Lui, qui avait l’habitude de traîner chez lui le matin, s’est levé très tôt samedi, dimanche et lundi, revêtant costume et cravate dès sept heures du matin. Ce matin (hier en fait), il avait même dit à un de ses proches collaborateurs qu’il ne se sentait pas bien. « J’ai mal à la tête et j’éprouve comme un profond malaise, aurait-il confié. Les choses ont l’air d’aller trop loin. » Puis il se serait ressaisi, car il sait que tous ses partisans comptent sur lui et que c’est à lui de leur communiquer son énergie. Il aurait donc pris le chemin du Parlement. Et, à la fin de la réunion des commissions, il s’est arrêté dans un café du centre-ville pour une petite conversation avec des collaborateurs et des journalistes. Il aurait ensuite appelé d’autres pour qu’ils le retrouvent à déjeuner à 13h30. Mais le sort en a décidé autrement. Et à 12h50, la terrible explosion a retenti aux quatre coins de la capitale, bouleversant tous les plans et remettant le pays au bord du gouffre. Une sensation que les Libanais n’avaient plus connue avec une telle intensité depuis longtemps, ainsi que le terrible sentiment que la malédiction poursuit le Liban à chaque fois qu’il croit en avoir fini avec la tragédie. Dans le grand salon, la télévision branchée sur al-Jazira est le seul son audible. Les présents la regardent sans la voir, comme perdus dans un autre monde. Les gens n’ont même pas la force de se saluer, ils se contentent de pleurer, sans même se regarder. Pourtant, les personnalités affluent sur les lieux : Tammam Salam, Talal Meraabi, l’ambassadeur d’Espagne, Mohsen Dalloul, tous les animateurs et les journalistes de la Future TV, des journalistes, des proches collaborateurs, d’anciens ministres comme Bahige Tabbarah et Fouad Siniora, des députés. Il est impossible de nommer tout le monde ou même de distinguer toutes les figures, tant la foule est dense. Mais c’est lorsque la télévision expose la revendication de l’attentat par un groupe inconnu qui se fait appeler « Le jihad et la victoire pour Bilad al-Cham » que les langues se délient. Le groupe ayant une forte consonance islamique, les proches de Rafic Hariri laissent alors éclater leur colère. « On nous prend pour des imbéciles, commentent-ils. Pourquoi un groupe musulman tuerait-il Hariri ? N’était-il pas un bon musulman ? On cherche surtout à nous induire en erreur. Mais la ficelle est trop grosse. Nul n’est dupe. » « Ils ont tué le plus puissant Qui protégera les autres ? » Pour tous les présents, Hariri était un bon sunnite, mais aussi un leader national, et nul ne comprend comment il a pu être assassiné. « S’ils ont tué un homme aussi important, avec tant de connexions internationales, ils peuvent désormais tuer tout le monde. Il était le plus puissant, le plus grand, et ils l’ont tué. Qu’allons-nous devenir ? Que va devenir le Liban ? » Des questions qui reviennent sur toutes les lèvres et qui expriment l’angoisse que nombre de Libanais éprouvent à cet instant. D’autres personnes commentent l’attentat. Pour elles, il est impensable que Hariri ait pu être assassiné. « Il avait un système de détection des explosifs dans son convoi, qui empêchait toute possibilité d’explosion par télécommande. Comment, dans ce cas, ont-ils réussi leur coup ? Et comment ont-ils su qu’il allait emprunter ce chemin ? Comment une telle quantité d’explosifs a-t-elle pu traverser tous les barrages de sécurité pour atteindre ce lieu ? L’explosion a provoqué un cratère très profond au milieu de la chaussée. C’est dire que la voiture n’était pas garée sur le bord de la route. Mais elle était au milieu. S’agirait-il d’un attentat-suicide ? Pourquoi tous les téléphones ont-ils été coupés quinze minutes avant l’attentat ? » Toutes les hypothèses deviennent des théories, mais rien ne vient confirmer les versions qui circulent. Elles ne parviennent pas en tout cas à atténuer le choc causé par la mort de Rafic Hariri. L’arrivée de son fils, Saad, venant d’Arabie saoudite ravive l’émotion des présents. Il monte directement dans les appartements privés, où se trouve déjà Mme Nazek Hariri, arrivée de Paris dans la plus grande discrétion, proches et journalistes respectant son deuil et son intimité. Mme Hariri est entourée de proches, sa sœur, Mme Hoda Tabbarah et d’autres amies qui la soutiennent dans ces moments terribles. La réunion de l’opposition se prolonge... Saad Hariri redescend quelques minutes plus tard pour se joindre à la réunion de l’opposition, qui se tient loin des oreilles des journalistes. Mais dès que la porte s’entrouvre, ceux-ci peuvent apercevoir Baha’ entouré de Walid Joumblatt, Mgr Boulos Matar et Marwan Hamadé qui semble terriblement affecté par la nouvelle. Toutes les autres figures de l’opposition sont aussi présentes, ayant répondu à l’appel qui leur a été adressé. Il y a ainsi cheikh Amine Gemayel et son fils Pierre, Boutros Harb, Nassib Lahoud, Ghazi Aridi, Akram Chehayeb, Antoine Ghanem, Salah Honein, Carlos Eddé, Gebrane Tuéni, Mosbah el-Ahdab, Ahmed Fatfat, Bassem el-Sabeh, Dory Chamoun, Samir Jisr, Nadim Lteif, Jean Aziz, Toufic Hindi, Henri Hélou, Farès Boueiz, Chakib Cortbawi, Élias Atallah, sans oublier les membres du bloc Hariri. D’ailleurs, comme pour bien donner le ton, Walid Eido prend la parole et affirme que ce bloc n’acceptera de participer à aucune réunion à laquelle les loyalistes seront présents, tout comme il ne participera pas aux funérailles organisées par le pouvoir. Il semble ainsi donner le ton général ou fixer une plate-forme pour pousser l’opposition à le suivre dans cette voie. Selon les députés qui sortent de temps en temps, il n’y aurait pas de dissonances parmi les personnes réunies et le retard dans la lecture du communiqué final ne serait pas dû à l’existence de deux courants. Au contraire, selon Mosbah el-Ahdab, tout le monde est d’accord pour hausser le ton car ce qui s’est produit est inacceptable. Si l’opposition recule, c’est la fin du vent d’espoir qui soufflait sur le Liban. Les personnalités vont à tour de rôle présenter leurs condoléances à Mme Hariri, et lorsque Walid Joumblatt apparaît dans le hall, une femme s’écrie : « Il n’y a plus que vous sur la scène. Vous devez le venger, lui qui était le père des pauvres. » Joumblatt ne sait que répondre. Il sait que désormais une lourde responsabilité pèse sur ses épaules et sur celles de toutes les figures de l’opposition. Finalement, le communiqué est lu par Bassem el-Sabeh, vers 21h. Il fait assumer la responsabilité de l’attentat aux autorités libanaises et syriennes (en tant que pouvoir de tutelle), réclame le retrait total des Syriens du Liban avant les élections législatives, ainsi que le départ du pouvoir qui « a perdu sa légitimité constitutionnelle, populaire et internationale », et l’ouverture d’une enquête internationale. L’opposition considère aussi sa réunion comme un congrès national et maintient ses séances ouvertes. Dehors, la foule hurle sa satisfaction de la teneur du communiqué. Autour de Koraytem, les partisans de Rafic Hariri continuent de se presser. Mais les rues avoisinantes sont désertes, la capitale est figée, sous le choc. La nuit est si dense, si noire qu’elle en glace les cœurs. Scarlett HADDAD
Toute cette foule et cet incroyable silence. Dehors, les partisans de Rafic Hariri crient leur peine et leur colère. Mais à l’intérieur de la maison, au cinquième étage, dans le hall de marbre et l’immense salon, la douleur est si intense qu’elle se passe de mots. Des hommes à la carrure impressionnante ont l’air perdu comme des enfants ayant égaré leurs parents. Nul n’a le...