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Actualités - REPORTAGE

Les célébrations religieuses sont l’occasion d’une grande mobilisation politique Les chiites dans la tourmente, entre la commémoration de la Achoura et les tiraillements internes(photos)

Les dix jours de la Achoura sont une période de deuil, de tristesse et de volonté de revanche pour les chiites du monde entier. Mais cette année, au Liban, c’est aussi l’occasion d’une grande mobilisation politique, tant le Liban et sa communauté chiite en particulier semblent à la croisée des chemins. Entre les menaces américaines contre l’Iran et le changement de la physionomie du pouvoir en Irak, les chiites du Liban semblent perdre leurs repères traditionnels et se cherchent un nouveau positionnement, voire un nouveau rôle, sur fond d’incidents sécuritaires et de tentatives de récupération par les deux grands mouvements, Amal et le Hezbollah, qui se disputent le contrôle de la communauté. Une étape cruciale, où la vigilance est de mise, à la veille d’élections législatives vitales pour le pays. Au Sud, les gens poussent un soupir de soulagement. Il y a encore un mois, la tension était palpable entre Amal et le Hezbollah, et les incidents se multipliaient dans les villages. Vite circonscrits, certes, mais suffisamment importants pour semer l’angoisse dans les esprits. Les bouleversements internes et internationaux ainsi que les positions contradictoires d’Amal et du Hezbollah au sujet du découpage électoral laissaient présager le pire. Et, avec le désengagement, en tout cas affiché, des Syriens au Liban, l’atmosphère était loin d’être rassurante et les habitants se demandaient comment ils allaient faire pour prendre leurs distances à l’égard des deux formations, sans y laisser des plumes. Car si, globalement, les fiefs de chacun des deux camps semblaient bien délimités, il restait beaucoup de zones floues où tout était encore possible, notamment le caza de Nabatiyé et les régions de Bint Jbeil et de Marjeyoun. À Nabatiyé surtout, les dernières élections municipales avaient montré que les deux formations avaient suffisamment de partisans, d’où le risque de dissensions au sein de la population. Et, en période de la Achoura, les esprits étant échauffés, la situation ne pouvait qu’empirer. Deux personnes arrêtées dans l’attentat manqué sous le pont de Zahrani D’ailleurs, quelques incidents sont venus conforter cette impression. Il y a d’abord eu les explosifs trouvés par l’armée libanaise sous le pont de Zahrani, il y a un peu plus d’un mois. Le président de la Chambre, Nabih Berry, qui emprunte fréquemment ce chemin pour se rendre chez lui à Msaïleh, s’était aussitôt senti visé par cette agression manquée, déclarant à la presse qu’il ne passera plus par des chemins « minés ». En fait, cet incident qui avait fait beaucoup de bruit les premiers jours a très rapidement été oublié par les médias qui ne semblaient pas vraiment l’avoir pris au sérieux. Pourtant, selon des sources judiciaires, les services de sécurité auraient arrêté dans le plus grand secret deux personnes suspectées d’être impliquées dans cet attentat. Les mêmes sources laissent entendre que la charge explosive était bien plus destinée aux chefs du Hezbollah qu’au président du mouvement Amal, le lieu où elle a été trouvée n’étant pas seulement un passage obligé vers Msaïleh, mais aussi vers Nabatiyé, Marjeyoun et Bint Jbeil. Du coup, la dimension interne de l’attentat manqué s’estompe en faveur d’une implication beaucoup plus vaste, le Hezbollah étant une cible permanente pour les Israéliens. C’est qu’en fait, au Sud, quelle que soit l’importance des enjeux internes, on ne peut jamais tout à fait oublier le facteur israélien qui complique encore plus une situation qui l’est déjà suffisamment. D’ailleurs, Nabih Berry n’a plus évoqué l’attentat manqué, alors que le Hezbollah, avec sa discrétion habituelle sur les questions sécuritaires, évite d’en parler, préférant laisser aux services de sécurité le soin de mener tranquillement leur enquête. Des incidents multiples contre des figures nouvelles Quelques jours plus tard, le Sud était aussi le théâtre d’autres incidents à dimension purement locale, cette fois-ci. Riad el-Assaad, candidat déclaré aux législatives et opposant manifeste au mouvement Amal, a été empêché de donner une conférence à Nabatiyé, sur base d’une décision de la municipalité de la bourgade. L’affaire avait eu un grand retentissement dans les médias et la municipalité avait dû par la suite présenter des excuses au candidat, qui, d’ailleurs, en a retiré un certain élan de sympathie. Même situation ou presque, à Tyr, pour l’autre candidat déclaré, Khalil el-Khalil, dont une partie du domicile avait été dynamitée et il avait naturellement accusé ses puissants rivaux d’être les commanditaires de cette agression. C’est dire l’état de tension qui régnait au Sud, non seulement entre les partisans d’Amal et ceux du Hezbollah, mais aussi entre ces deux formations et les candidats plus ou moins indépendants, souvent sujets à de véritables campagnes d’intimidation. Face à ce tableau assez sombre, les habitants du Sud attendaient le début de la Achoura avec une certaine appréhension, puisque le deuil et la souffrance favorisent toutes sortes de débordements. Depuis quelques années, en effet, les cérémonies de la Achoura étaient devenues l’occasion d’exposer au grand jour les divergences entre Amal et le Hezbollah, chacune des deux formations voulant, à travers cette occasion, montrer sa capacité de mobiliser les foules. Mais, après les incidents des dernières semaines, Amal et le Hezbollah ont compris que la situation est beaucoup trop grave pour laisser la scène ouverte à tous les dérapages. Bien qu’aucune des deux parties ne le reconnaisse expressément, elles ont apparemment conclu un accord électoral seulement, qui permettra d’éviter qu’un incident sur le terrain ne tourne à l’affrontement généralisé. Déjà, les deux formations ont décidé de procéder, chacune de son côté, aux cérémonies de la Achoura : le Hezbollah commémorera la tragédie dans la banlieue sud et Amal le fera au Sud et, plus particulièrement, à Nabatiyé. Ce qui devrait éviter les frictions entre les partisans de l’une ou l’autre des deux formations. Pourtant, des deux côtés, on ne cache pas ses critiques sur les méthodes utilisées par le rival. Amal reste dans la tradition de l’autoflagellation, alors que le Hezbollah préfère se contenter d’un deuil plus sobre, tout en multipliant les prises de position politiques. De la sorte, la communauté pourra passer ce cap dans la sérénité, tout comme l’écueil des législatives devrait être surmonté sans problèmes majeurs. Un scénario catastrophe, si le Hezbollah ne se tient pas « tranquille » Qu’est-ce qui a donc poussé Amal et le Hezbollah à faire preuve de sagesse ? Selon des sources proches de l’une ou l’autre des deux formations, ce serait surtout la situation régionale qui aurait quasiment contraint les deux parties à s’entendre. Amal ayant compris que le découpage électoral sera le caza, il a réalisé qu’il n’avait aucun intérêt à affronter le Hezbollah, en raison de l’assise populaire dont jouit le parti de Dieu et aussi parce qu’idéologiquement, il serait difficile de faire accepter à la communauté chiite un désaveu du « parti de la résistance ». Pour le Hezbollah, le contexte est différent. Cible d’une campagne américano-israélienne féroce, le parti n’a pas besoin d’une confrontation interne qui ne pourrait que l’affaiblir. Même s’il se considère plus populaire qu’Amal au sein de la communauté chiite, il préfère éviter l’affrontement et profiter au contraire de l’appui étatique et institutionnel que peut lui apporter le président de la Chambre, Nabih Berry. D’ailleurs, les sources communes affirment que l’accord conclu entre les deux parties continue à assurer à Amal la part des chiites au sein de l’appareil étatique, le Hezbollah acceptant de rester en dehors du système et de ne se concentrer que sur la dimension régionale et sur la résistance. Un troisième élément a aussi pesé sur la décision des deux formations. Il s’agit du facteur régional. Des sources proches du Hezbollah affirment qu’Israël guette le moindre prétexte pour mener une opération d’envergure contre le Hezbollah, et éventuellement, contre la Syrie. Déjà, selon ces mêmes sources, la catastrophe a été frôlée de près lors des derniers affrontements le long de la frontière. La première attaque contre un bulldozer israélien aurait été un simple accident, la mine placée sur la route ayant explosé par inadvertance. Par contre, le second incident qui avait entraîné la mort de l’officier français, tué par les balles israéliennes, avait été bien calculé et le Hezbollah aurait eu l’intention d’enlever l’officier israélien qui avait été tué au cours de l’opération. Mais comme tout cela s’était passé dans le secteur des fermes de Chebaa, le Hezbollah pensait agir dans le cadre de la petite marge de manœuvre dont il disposait dans cette région. Malgré cela, les menaces israéliennes ont été très précises et le Hezbollah semble maintenant vouloir éviter à tout prix de donner le moindre prétexte aux Israéliens pour agir contre le Liban et la Syrie. C’est dire combien la situation actuelle semble délicate et, apparemment, les Syriens tout autant que les Iraniens auraient fermement demandé au Hezbollah de rester discret le long de la frontière, pour la période à venir. Car le scénario qui circule actuellement dans les coulisses diplomatiques serait le suivant : Israël profiterait d’un dérapage possible pour lancer une opération contre le Hezbollah et le Hamas, au Liban et en Syrie. Ce qui entraînerait une intervention américano-française limitée. Possibilité réelle ou simple rumeur destinée à semer la panique chez les citoyens, ce scénario montre en tout cas que l’atmosphère est à l’escalade. Par conséquent, la vigilance doit être de mise dans les milieux chiites qui restent les plus menacés par une attaque éventuelle. Les victimes de cette alliance Amal-Hezbollah seront donc certainement les nouvelles figures chiites qui essaient de proposer un troisième choix à la communauté, quitte à se rapprocher de l’une ou l’autre des deux formations, pour tenter de percer. C’est le cas notamment de Riad el-Assaad, bien sûr, mais aussi de Ahmed el-Assaad, qui se veut différent de son père Kamel, mais aussi d’Amal et du Hezbollah, ainsi que de Khalil el-Khalil, ou d’autres encore. Apparemment, l’affrontement entre les deux formations sera donc une nouvelle fois évité. « Jusqu’à quand ? » se demandent les plus pessimistes, alors que les optimistes, eux, affirment que contrairement aux Frères Karamazov, les frères ennemis chiites ne s’entretueront jamais. Toujours est-il que cette année, les cérémonies de la Achoura seront l’occasion de l’affirmation du poids politique des chiites sans aller au-delà. Et, au Sud, le calme ne devrait pas être remis en cause. Sauf dérapage le long de la frontière. Scarlett HADDAD
Les dix jours de la Achoura sont une période de deuil, de tristesse et de volonté de revanche pour les chiites du monde entier. Mais cette année, au Liban, c’est aussi l’occasion d’une grande mobilisation politique, tant le Liban et sa communauté chiite en particulier semblent à la croisée des chemins. Entre les menaces américaines contre l’Iran et le changement de la physionomie...