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Actualités - OPINION

Vocalises

Il n’est pas donné à tout le monde de savoir chanter. Faire chanter requiert plus de talent et de savoir-faire encore : dans la vaste panoplie des perversions du pouvoir, voilà bien un art qui ne souffre en aucun cas la médiocrité. Et c’est à plus d’un titre que l’État libanais en fait aujourd’hui l’amère expérience, ce qui ne l’empêche pas, hélas, de donner de la voix. C’est sous l’effet direct des pressions internationales, et en prenant soin de la présenter comme une généreuse concession faite au patriarche maronite, que l’on avait retenu le principe de la petite circonscription pour les prochaines législatives. D’entrée de jeu cependant, le chef du gouvernement et le ministre de l’Intérieur ont rivalisé d’ardeur pour souligner que le scrutin sera en réalité un référendum sur la résolution 1559 de l’Onu, et que l’actuelle majorité parlementaire favorable à la Syrie ne s’en trouvera pas sensiblement affectée. Bravo pour la belle assurance et zéro pour la psychologie, tant en effet de tels résultats annoncés peuvent susciter la méfiance, surtout quand le découpage tourmenté de la capitale n’a visiblement d’autre objet que d’étriller la principale (et par trop discrète) composante sunnite de l’opposition, l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Pour vice de forme, le cadeau du caza, comme on sait, a été retourné à l’expéditeur par une contestation chaque jour plus hardie, plus résolue, plus exigeante et surtout plus cohérente. Du coup, le pouvoir sort de ses gonds, perd la tête et la mesure des choses, se répand en menaces et en commentaires injurieux, parle de retirer carrément le caza de la circulation et affirme enfin que l’on va voir ce que l’on va voir, et pas plus tard que dans les 48 heures. De toutes ces gesticulations, la plus risible aura été la vaine entreprise de séduction déployée en direction de Michel Aoun, dans l’évident dessein de fracturer l’opposition après l’avoir infiltrée. Du jour au lendemain en effet, les responsables se sont avisés que l’officier « rebelle », frappé depuis une quinzaine d’années d’une mesure d’exil comme si nous vivions encore sous l’Empire ottoman, est après tout le bienvenu à Beyrouth ; que c’est là son droit le plus strict de citoyen libanais ; mieux, qu’il continue de jouir d’une notable popularité et enfin que les quelques obstacles juridiques entravant son retour peuvent très bien être supprimés d’un trait de plume, pour peu bien sûr qu’il se montre coopératif. Une fois l’échec consommé et pour rester dans la note, le couac final de ce stupide chant de sirènes ne pouvait qu’échoir au ministre de la Justice qui s’est souvenu – bien qu’avec quelque retard – que la loi, c’est la loi, et que rien n’est changé en définitive pour le général Aoun. Plus grave et inquiétante reste cependant la haineuse cabale visant en ce moment, avec plus de violence que jamais, le chef du PSP Walid Joumblatt, et cela au lendemain de l’échec des rencontres qu’a eues cette semaine à Beyrouth le vice-ministre syrien des AE Mouallem. Passe encore que Omar Karamé reproche en termes très durs au leader druze un passé milicien, que seul pourtant de tous les seigneurs de la guerre il a lui-même répudié depuis longtemps : une fois de plus, des menaces très précises ont été publiquement proférées contre Joumblatt par le chef de la branche locale du parti Baas, qui se trouve être un ministre en exercice, sans que la Justice façon Addoum s’en émeuve le moins du monde. Hier, le même parti allait jusqu’à s’en prendre au patriarche Sfeir, en même temps qu’au Conseil des évêques maronites et aux congressistes de l’hôtel Bristol, accusés en masse d’œuvrer en étroite coordination avec les puissances occidentales acharnées à la perte de la Syrie. Le fait est que pour le camp souverainiste, l’heure n’est plus aux précautions de style : explicitement endossée par Bkerké, la résolution 1559 l’est aussi, du moins dans les faits, par une opposition apparemment déterminée à renverser tabou après tabou, y compris celui – longtemps sacro-saint – d’une présence « stratégique » syrienne dans la Békaa. Tout porte à le croire, d’un côté comme de l’autre, on va chanter de plus en plus haut. Et ce ne sera pas du Chantal Goya. Issa GORAIEB

Il n’est pas donné à tout le monde de savoir chanter. Faire chanter requiert plus de talent et de savoir-faire encore : dans la vaste panoplie des perversions du pouvoir, voilà bien un art qui ne souffre en aucun cas la médiocrité. Et c’est à plus d’un titre que l’État libanais en fait aujourd’hui l’amère expérience, ce qui ne l’empêche pas, hélas, de donner de la...