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Actualités - CHRONOLOGIE

« Les murs de Berlin du monde arabe doivent tomber », affirme le chef du PSP Joumblatt à l’USJ : « L’objectif de notre bataille, la libération du Liban »(photo)

S’il restait quelques tabous encore à briser, Walid Joumblatt l’a fait hier, dans le cadre d’une conférence-débat mémorable à l’Université Saint-Joseph, en réponse à l’invitation des étudiants de l’université et de la Chaire Louis D – Institut de France d’anthropologie interculturelle. Devant un amphithéâtre plein à craquer (des sièges supplémentaires et un écran ont été installés à l’extérieur, dans le hall de l’université), une audience survoltée (formée notamment de plusieurs députés et politiques, mais aussi du père Abou, du père Chamussy et de Mme Solange Béchir Gemayel) et particulièrement empathique, le chef du Parti socialiste progressiste (PSP) a prononcé un discours plus incisif et audacieux que jamais, avant de répondre à une avalanche de questions des étudiants et du public. Une constante, dans le discours du chef druze, un leitmotiv martelé sans cesse tout au long de la séance : « Nous ne devons pas perdre de vue l’objectif de notre bataille, qui est la libération du Liban » d’« une manière démocratique ». « Il ne faut pas se laisser séduire par les offres de part et d’autre. Nous devons présenter une seule liste d’opposition du nord au sud avec un seul slogan, et comprendre désormais que l’opinion publique ne peut plus permettre ni à Walid Joumblatt ni à Rafic Hariri de faire marche arrière. » Et un message sous-jacent : contrairement à ce que répètent beaucoup de sceptiques, il s’agissait d’un événement politique symbolique, et certainement pas d’un meeting électoral. Pour sa première visite à l’USJ depuis le 5 décembre 2001 – Walid Joumblatt n’a pas manqué de le rappeler hier au père Sélim Abou –, le chef du PSP a reçu un accueil plus qu’enthousiaste. Ainsi, toute l’assistance s’est levée et l’a applaudi à son entrée dans l’amphithéâtre. Prenant la parole, le président du bureau des étudiants de la faculté de droit, Marwan Maalouf, a évoqué la manipulation syrienne pour empêcher la réconciliation nationale au cours des années écoulées, exprimant la solidarité des étudiants de l’USJ avec « Walid Joumblatt et ses compagnons face aux campagnes sécuritaires dont ils sont la cible actuellement. Et, dans ce cadre, nous affirmons, nous aussi, que nous n’oublierons pas l’attentat qui a failli coûter la vie à Marwan Hamadé ». De son côté, M. Samir Frangié, modérateur de la séance, en a profité pour diffuser un message fort : « Il plane désormais sur la ville une odeur de printemps. L’espoir d’en finir avec cette chape de plomb qui nous étouffe est aujourd’hui possible. La peur, qui a été jusque-là le principal instrument de pouvoir, commence à s’estomper. Plus personne n’accepte de continuer à vivre dans la honte d’un État qui, pour justifier la tutelle qui nous est imposée, proclame que nous sommes incapables de nous gouverner. Walid Joumblatt est pour beaucoup dans ce renouveau qui s’annonce. » Walid Joumblatt Répondant au thème de la conférence-débat, axée sur le renouvellement du contrat social interlibanais, M. Joumblatt a d’abord estimé, concernant les responsabilités de la guerre, qu’il « est nécessaire de sortir de l’engrenage des accusations réciproques, tout en reconnaissant nos responsabilités dans le cycle de violence et, donc, ses conséquences. Reconnaître également qu’en tant que belligérant, nul n’a remporté de victoire, nul ne peut remporter de victoire sur ses propres compatriotes, ses voisins, ses frères, en détruisant une coexistence millénaire. Non. Mais il faut se rappeler également que, quelque part, nous étions des pions sur un échiquier arabe et international beaucoup trop complexe pour empêcher la conflagration ». « La réconciliation longtemps entamée après la fin des hostilités a été couronnée par la visite du patriarche Sfeir à la Montagne en l’an 2001. Et de là s’inscrit ma visite à la maison de Samir Geagea ; c’est dans cette même logique qu’a eu lieu le contact officiel avec le général Aoun à Paris. Mais d’ores et déjà, il nous faut réadapter nos discours, nos slogans, notre façon de voir en fonction de la nouvelle situation que nous vivons, sachant que le pouvoir, appuyé par les Syriens, tente par tous les moyens de relancer la tension confessionnelle dans le pays sans parvenir à un résultat. Dans cette perspective, je voudrais mettre en garde toutes les formations de l’opposition contre le danger de revenir aux pratiques antérieures en donnant la priorité aux rivalités partisanes sur l’unité du front opposant. La prochaine échéance électorale est d’une importance capitale pour l’avenir du pays. Notre but devrait être de mettre fin par des moyens démocratiques à la tutelle syrienne, de tourner définitivement la page de la guerre, de jeter les bases d’un État de droit et de relancer le rôle du Liban dans sa région », a-t-il souligné. « Dans cette même approche, certains ténors d’une certaine presse prétendent qu’il y aurait “un axe du mal” entre druzes, chrétiens et sunnites, visant les chiites. Je crois que l’accord de Taëf est clair pour ce qui est de la redistribution des pouvoirs, et que les valeurs universelles de liberté, d’indépendance, de souveraineté et d’État de droit dépassent les frontières artificielles, confessionnelles ou sectaires », a-t-il noté. Concernant le rôle du Liban, M. Joumblatt a affirmé que « par le fait de maintenir sa formule de coexistence, de diversité, de pluralisme, le Liban indépendant est un message, un défi, un espoir – oui, un espoir – pour les opprimés du monde arabe, et Dieu sait combien sont nombreux ceux qui misent sur notre détermination, notre ténacité et notre réussite. Les murs de Berlin dans le monde arabe doivent tomber. La force de la raison, de la parole, de la vérité finira par l’emporter sur la logique de la répression, des prisons, des assassinats et des services de renseignements ». « Le gauleiter de Anjar » Sur les relations avec la Syrie, M. Joumblatt a estimé que « le Liban ne peut pas se permettre de se positionner dans un axe régional ou international antisyrien. L’expérience douloureuse de l’histoire l’a prouvé », relevant toutefois qu’« un Liban satellisé, sous tutelle syrienne, est une aberration ». « Comment faire pour imposer la reconnaissance du Grand Liban ? Et parce qu’il est grand, ils le détestent. Comment le faire reconnaître, en dehors des velléités syriennes nationalistes ou baassistes ? Comment faire pour affirmer que l’arabité, en tant que fait culturel et historique diversifié, est un destin où chaque chrétien, musulman, juif, kurde ou autre s’est retrouvé à un moment donné ; que la dimension culturelle de l’arabité ne veut pas dire négation du pluralisme et acceptation des affirmations nationalistes inspirées d’idéologies fascistes qui datent du début du siècle passé et qui sont à jamais révolues ? Comment faire pour établir un consensus des peuples arabes sur le concept du respect de la différence, ou des différences, en rattachant les libertés fondamentales à l’arabité ? Il est nécessaire de sortir de la peur, de la culture de la peur imposée par le “gauleiter” de la Békaa et ses acolytes libanais, et d’entamer des discussions sérieuses sur les relations libano-syriennes, tant sur le tracé des frontières, dont Chebaa, que sur la régularisation de la situation de la main-d’œuvre, en passant par des relations économiques et agricoles équitables, et, à la rigueur, demander des relations diplomatiques entre les deux États pour mettre fin à un slogan annexionniste qui date des années 1920, disant que Libanais et Syriens sont “un seul peuple dans deux États” », a-t-il précisé. « Quant à la thèse des parcours concomitants, ou l’unité des parcours, quel verbiage dangereux ! Oui, aux relations d’État à État, qui respectent les intérêts stratégiques des deux pays et des deux peuples, mais non à un ancrage indéfini du Liban à la Syrie sous prétexte de la poursuite du conflit israélo-arabe », a-t-il lancé, sous les applaudissements. Abordant enfin d’une manière rationnelle le problème palestinien, il a indiqué : « Quant à la surenchère stupide soutenant que Lahoud est une garantie contre l’implantation, c’est là une logique bizarre qui n’a rien à faire avec le droit international ou même avec la simple réalité. À partir de là, l’État libanais devrait accepter une ambassade palestinienne à Beyrouth et faciliter la tâche de cette mission pour mettre fin à cette situation et empêcher les surenchères ou l’utilisation de certains groupuscules à l’intérieur des camps par les services de renseignements syro-libanais dans des buts de déstabilisation. » Dans un moment particulièrement émouvant, il a conclu son intervention en évoquant la mémoire de son père : « Le 16 mars 1977 tombait sous les balles traîtresses Kamal Joumblatt, et avec lui périssaient des centaines de chrétiens innocents. À juste titre, André Fontaine décrivait l’événement comme l’“Avenir insulté”. Et, pendant des années, le jour de la commémoration de son décès, je déposais une fleur, avec tant d’autres, sur sa tombe. Et, le temps passant, je me résignais au destin qui veut que “c’est avec des rêves en morceaux qu’on descend, comme tout le monde, le fleuve de la vie”. Aujourd’hui, après 28 ans d’attente, j’ai la conscience tranquille. Finalement, je me sens libre. On pardonne, disait Mandela, mais on n’oublie pas. » Le débat Un long débat a suivi, avec deux étudiants de l’USJ (notre collaborateur Samer Ghamroun, et M. Julien Courson, en DEA d’économie), qui ont adressé leurs questions et celles du public à M. Joumblatt. Lequel a répondu avec sa verve et sa franchise habituelles. Ainsi, a-t-il estimé que « ceux qui ont libéré le Sud ne devraient pas se retourner contre l’intérieur et transmettre des messages » menaçants, et que, sur le plan chiite, Amal et le Hezbollah « empêchent les libéraux chiites de s’exprimer, mais que ces derniers finiront par le faire un jour ». M. Joumblatt a par ailleurs indiqué que « le Liban avait été livré par les États-Unis à la Syrie en vertu d’un feu vert kissingérien ». « La Syrie avait un feu vert pour tout faire au Liban, mais maintenant c’est terminé », a-t-il souligné. Il s’est également déchaîné contre le « fascisme » baassiste, idéologie désuète puisqu’inspirée, selon lui, « de la pensée mussolinienne, franquiste et nazie », estimant qu’« il est temps de remettre en cause cette pensée annexionniste ». Concernant la question des hameaux de Chebaa, il a estimé qu’il s’agit là d’un « appât », et que tant que la libanité de ce territoire n’a pas été authentifiée, toute l’affaire tombe sous le coup de la 242 et pas de la 425. Il a réfuté, dans ce cadre, la thèse de Baabda, selon laquelle « le retrait syrien ne doit s’accomplir qu’après la libération du Golan, l’édification de l’État palestinien, le retour des réfugiés. Dans ce cas de figure, le Liban restera indéfiniment l’otage de la Syrie ». Il a également dénoncé l’existence d’une « classe libano-syrienne de mafieux », soulignant qu’il faut « nettoyer la justice, les services, et sceller définitivement la porte de Anjar, où se décident certaines nominations au sein de l’armée libanaise ». Sur le plan électoral, M. Joumblatt a affirmé qu’il consultera ses colistiers pour régler la question de la représentation chrétienne au Metn-Sud et au Chouf, estimant que FL et aounistes doivent être représentés. Il a ensuite laissé entendre que le pouvoir n’entend pas libérer Geagea ni permettre le retour de Aoun. Rééxprimant son attachement à Taëf et son opposition à ce qui pourrait déstabiliser le régime syrien, il a néanmoins estimé que « si la 1559, quelque part, aide au rétablissement de la souveraineté et de l’indépendance du Liban, il n’y a pas de problème ». « Nous sommes pour la stabilité de la Syrie. Nous voulons juste que Damas nous laisse en paix », a-t-il ajouté. Et de conclure, sur l’assassinat de son père : « J’ai longtemps patienté (avant d’en parler). Je n’ai pas oublié. Peut-être que je n’avais pas assez d’audace à l’époque. Maintenant, tout est différent. » Michel HAJJI GEORGIOU

S’il restait quelques tabous encore à briser, Walid Joumblatt l’a fait hier, dans le cadre d’une conférence-débat mémorable à l’Université Saint-Joseph, en réponse à l’invitation des étudiants de l’université et de la Chaire Louis D – Institut de France d’anthropologie interculturelle. Devant un amphithéâtre plein à craquer (des sièges supplémentaires et un écran...