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Actualités - ANALYSE

Analyse Un découpage électoral en 26 circonscriptions renouant avec la formule de 1960, sauf dans la capitale Beyrouth, mère de toutes les batailles

Sleimane Frangié a tenu parole. Le projet de découpage électoral en 26 circonscriptions qu’il a présenté lundi soir aux membres du gouvernement, en attendant qu’il soit soumis demain à l’approbation du Conseil des ministres, répond dans son essence aux attentes d’une grande partie de l’opposition, principalement chrétienne. Avec l’adoption du caza comme principale unité électorale, c’est en effet un retour à l’esprit de la loi de 1960 que propose le ministre de l’Intérieur. De ce fait, des forces politiques chrétiennes, systématiquement tenues à l’écart du jeu politique depuis 1992, seraient en mesure, au cas où le projet était avalisé, de faire leur réapparition, non seulement dans les régions monochromes, mais aussi dans certaines circonscriptions mixtes. Bécharré, redevenu autonome, pourrait par exemple définitivement consacrer la mainmise des Forces libanaises sur ce caza. Jezzine aurait de nouveau la possibilité d’élire ses propres députés. Et l’étendard de la « capitale des chrétiens », selon les termes mêmes de M. Frangié, flotterait à nouveau à Achrafieh. D’autre part, le poids de l’électorat chrétien – et donc des forces politiques qui le représentent – pèserait plus lourd dans des circonscriptions comme Baabda, mais aussi dans certaines régions où les chrétiens sont minoritaires, comme par exemple Zahrani (est de Saïda) et Marjeyoun-Hasbaya. Il est paradoxal de constater que ce qui a été refusé pendant des années à l’opposition chrétienne, au nom d’une fallacieuse idée de la cohésion nationale, lui a finalement été concédé par un pouvoir qui, pourtant, se dit plus que jamais attaché à ses « constantes » stratégiques. C’est qu’en réalité les priorités du pouvoir et de son tuteur syrien ont évolué dans l’intervalle, et cette évolution est elle-même liée aux développements survenus depuis la prorogation du mandat présidentiel. Aujourd’hui, la cible privilégiée n’est plus l’opposition chrétienne, mais l’opposition tout court. Incapable au cours des derniers mois d’enrayer le formidable développement quantitatif et qualitatif de cette dernière, le pouvoir cherche tout simplement à l’effriter, à empêcher autant que possible toute interaction entre ses différentes composantes. On offre des cadeaux aux uns, on piège les autres et, surtout, on s’efforce de supprimer les espaces de regroupement, d’entente interconfessionnelle. En 1992, 1996 et 2000, les grandes et moyennes circonscriptions servaient les intérêts du pouvoir. Tel n’est plus le cas en 2005, au moins dans certaines régions du pays. D’où ce retour à la formule d’avant-guerre, la seule en définitive en mesure de limiter les pertes des loyalistes et, dans le même temps, d’adresser un message de « démocratie » aux chancelleries occidentales. Les calculs arithmétiques ne sont pas étrangers à ce choix. Avec le nouveau découpage, le camp prosyrien risque de perdre quelques sièges qui lui étaient jusqu’ici acquis ou du moins bienveillants dans certaines régions chrétiennes. Mais il compte bien les compenser par des gains substantiels là où la logique uniforme et rigide du caza ne tient pas, où des mains folles peuvent promener des ciseaux non moins fous au-dessus des têtes des habitants. En un mot, à Beyrouth. Et c’est précisément à une véritable entreprise de hold-up électoral que l’on se prépare dans la capitale. Il n’y a pas d’autre terme pour qualifier le découpage prévu par le projet du ministre de l’Intérieur, permettant aux partisans du pouvoir et de la Syrie de « barboter » presque la moitié des dix-neuf sièges en jeu. Comme en 1960, Beyrouth est divisé en trois circonscriptions fondées grosso modo sur des critères confessionnels. Dans l’ancienne loi, la circonscription chrétienne, formée à l’époque des quartiers d’Achrafieh, Saïfi, Rmeil et Medawar, était la plus grande en nombre de sièges, mais aussi en termes d’inscrits. Suivait la circonscription à majorité sunnite, comprenant Mazraa, Mousseitbé et Ras Beyrouth. Quant à l’unité mixte (sunnite-chiite-chrétienne-juive), regroupant Bachoura, Zokak el-Blatt, Port, Minet el-Hosn et Aïn Mreyssé, elle était la plus petite, à la fois en inscrits et en sièges. Dans le projet de M. Frangié, cet ordre est totalement inversé, alors même que le rapport entre nombre d’inscrits et nombre de sièges se trouve ignoré. D’autre part, on a pris soin de déplacer la circonscription mixte, pour faire en sorte qu’elle englobe un important bloc d’électeurs appartenant à des communautés généralement plus loyalistes, en l’occurrence les chiites et les arméniens. Ainsi, à Bachoura et Zokak el-Blatt, quartiers à forte concentration chiite, on a adjoint Medawar, fief suprême du Tachnag s’il en est. Détachés d’Achrafieh, Rmeil et Saïfi sont venus compléter le lot, dans le but évident de donner davantage d’embonpoint à la circonscription, sans véritable risque. Dans cette configuration, les sunnites – que l’on soupçonne d’être haririens – et les chrétiens non arméniens – majoritairement opposants – passent donc par pertes et profits. Or, c’est bien cette circonscription qui est dotée du plus grand nombre de sièges (9) avec un électorat de quelque 168 000 inscrits. En revanche, la circonscription à vaste majorité sunnite (Mazraa, Mousseitbé, Ras Beyrouth, Aïn Mreyssé, Minet el-Hosn et Port) ne comprend que six sièges en dépit du fait qu’elle abrite près de 200 000 inscrits. Quant à Achrafieh, réduite à sa plus simple expression, elle dispose de quatre sièges pour un peu plus de 50 000 inscrits. Autant dire une goutte d’eau pour faire avaler la grosse pilule... et surtout pour tenter d’enrayer – une fois de plus – l’inéluctable rapprochement entre Rafic Hariri et l’opposition chrétienne. Ailleurs dans le pays, on s’en est tenu strictement au découpage de 1960. Comme si des « évolutions démographiques » n’avaient eu lieu qu’à Beyrouth. Même les exceptions de l’ancienne loi ont été maintenues. Ainsi, les cazas de Baalbeck et du Hermel formeront une seule circonscription, de même que la Békaa-Ouest et Rachaya d’une part, Marjeyoun et Hasbaya de l’autre. Inversement, et comme par le passé, Saïda et Zahrani, qui forment un seul caza, seront divisés en deux circonscriptions. La montagne a donc accouché d’une souris. Mais d’une souris qui, à n’en pas douter, rugira à Beyrouth. Élie FAYAD

Sleimane Frangié a tenu parole. Le projet de découpage électoral en 26 circonscriptions qu’il a présenté lundi soir aux membres du gouvernement, en attendant qu’il soit soumis demain à l’approbation du Conseil des ministres, répond dans son essence aux attentes d’une grande partie de l’opposition, principalement chrétienne.
Avec l’adoption du caza comme principale unité...