Rechercher
Rechercher

Actualités - interview

Interview - L’environnement politique n’est pas propice à des élections démocratiques, affirme le politologue Joseph Bahout : Les règles du jeu électoral augurent d’une volonté de décapiter l’opposition

Rien ne sert de perdre son temps dans les dédales des techniques électorales, car l’enjeu se trouve ailleurs, affirme Joseph Bahout, professeur et analyste politique. Dans une entrevue accordée à L’Orient-Le Jour, il soutient que l’environnement politique n’est pas favorable à une bataille électorale qui serait menée conformément aux règles du jeu. Car, dit-il, le clivage est désormais tellement profond entre l’opposition et le pouvoir, qu’il est inespéré de s’attendre à un scrutin démocratique à proprement parler. A priori, les jeux sont biaisés par la volonté manifeste du régime de réduire, voir d’éradiquer l’opposition du jeu politique, soutient le politologue. Q- Pensez-vous que le débat qui dure depuis un certain temps sur la loi électorale portera ses fruits au moment de l’élaboration du texte ? Toute loi électorale sous le règne du pouvoir actuel aboutira inéluctablement à des résultats catastrophiques à l’ombre de l’environnement politique actuel. La question électorale en elle-même est l’aboutissement d’un processus politique et non pas un moment isolé. À la limite, les opérations électorales à proprement parler, le dépouillement, tout comme la loi, ne sont pas tellement importants. Techniquement, il n’y a pratiquement plus de fraude électorale au Liban. Cependant, la question est de savoir quel est le contexte politique qui va mener aux élections. Si l’on considère le contexte politique actuel, on constate que les élections sont biaisées d’avance et manipulées à la base par l’environnement politique qui prévaut, en présence notamment d’un pouvoir qui est largement tenu pour illégitime par les citoyens et qui a contribué à scinder la société en deux camps : celui qui le soutient et celui qu’il considère comme le clan des traîtres à la patrie. De plus, les élections sont organisées par un pouvoir qui dit haut et fort que ceux qui sont dans son camp vont constituer une majorité à sa solde pour maintenir l’état de fait dans un État de fait. Pour moi, le jeu est déjà biaisé. Il est en plus faussé par les contraintes structurelles qui sont mises à l’action politique, que ce soit la liberté d’association ou la contrainte exercée contre certains groupes politiques. Tant qu’il y a des gens en prison, des gens en exil, il y a des forces politiques qui ne peuvent pas s’exprimer au même titre que d’autres. Qu’est-ce que les élections sinon le moment où sont confrontées concrètement l’offre et la demande politiques ? Si l’offre politique est altérée, forcément le résultat de cette tractation va être faussé. Q- Pourtant le pouvoir a fait savoir à maintes reprises que les portes du dialogue étaient grandes ouvertes. Aussi bien l’ancien ministre de l’Intérieur Élias Murr que le nouveau, Sleimane Frangié, ont invité toutes les formations politiques à présenter leur proposition pour l’élaboration d’une nouvelle loi électorale ? Recueillir des projets de loi ne signifie pas grand-chose, car tous les projets, tous les modèles et toutes les techniques ont déjà été conçus, écrits et publiés depuis 1996 sans arrêt. Il n’y qu’à faire un travail de recherche documentaire pour retrouver toutes les formules possibles et imaginables. Le peuple libanais est convaincu que la fonction du pouvoir en place est d’éradiquer l’opposition. Comment peut-on croire leur promesse d’améliorer les conditions des élections, quand on sait d’avance qu’elles sont faites pour vous couper la tête ? Q- L’opposition ne doit-elle pas toutefois prendre le pouvoir au mot en jouant cartes sur table ? Ici on entre dans les détails techniques. Il faut savoir déceler, à travers les techniques des élections, les contradictions. L’opposition, depuis un moment, est piégée par cette question du modèle électoral. Il faut éviter de rentrer dans le jeu de la négociation sur la loi électorale. Sans pour autant rentrer dans les détails du découpage des circonscriptions, il faut savoir qu’il existe des critères généraux comme l’égalité des citoyens devant la loi qui suppose un découpage pratiquement égalitaire dans toutes les régions du Liban. Il faut partir du grand principe et c’était précisément ce que revendiquait le document de Kornet Chehwane : ou bien on va vers la grande circonscription qui doit alors être assortie du vote proportionnel, ou bien on va vers la petite circonscription et on reste dans le système majoritaire. On sait très bien que l’enjeu ne se situe pas à ce niveau mais plutôt au niveau du combat politique. Il est évident que, dans le dernier cas de figure, l’opposition gardera, dans le pire des cas, plus au moins le même nombre de députés. Au mieux, elle améliorera son score total en nombre de députés, si on exclut Rafic Hariri. Cette amélioration est de 20 % au maximum, c’est-à-dire trente-cinq à quarante députés au total. Mais la question qui se pose est de savoir si l’opposition qui continue de considérer ce pouvoir comme illégitime est en train de préparer la prise du pouvoir par les voies démocratiques. Car même un gain relatif ne saurait empêcher la prorogation. Quand Kornet Chehwane affirme son refus de la prorogation et ce qui s’en suit, cela signifie que la revendication est de mettre en place un pouvoir de substitution. Toute loi électorale sous le règne de ce pouvoir actuel peut au maximum améliorer un peu la position de l’opposition. D’où la nécessité de changer préalablement les règles du jeu politique. Si les Syriens renvoient ce gouvernement chez lui, ils admettent ainsi leur défaite au Liban. Q- Si l’opposition parvient à marquer certains points, n’est-ce pas le début d’une réforme démocratique à long terme ? Il y a plusieurs éléments de réponse à cette question. L’opposition a largement augmenté sa part dans les assises, numériquement aussi bien que qualitativement puisqu’il y a eu une jonction entre Walid Joumblatt, Kornet Chehwane et, dans une certaine mesure, Rafic Hariri. Mais cela n’a rien donné dans les faits. Le plus important c’est l’alternance démocratique, graduelle et douce. Je ne conteste pas du tout ce principe. Mais cette logique-là ne s’applique que dans un système où le jeu est réellement démocratique, c’est-à-dire où l’on gagne et l’on perd démocratiquement. Or, nous nous trouvons dans un système qui, d’emblée, a décidé de frapper l’opposition d’excommunication politique. Lorsque le pouvoir affirme que celle-ci est le « parti de l’étranger » et que les élections sont un moyen pour le peuple de manifester contre la 1559, je ne peux croire un instant que ce pouvoir acceptera les règles du jeu démocratique tel que le gain progressif. En principe le pouvoir doit être un arbitre neutre du jeu politique entre la majorité et la minorité, ou entre l’opposition et la majorité, ce qui n’est pas le cas. Q - La 1559 va-t-elle aider, selon vous, l’opposition à avancer un tant soit peu sur le chemin de la démocratisation, ou aura-t-elle au contraire, l’effet d’un « boomerang » ? Le clivage dont je parlais n’existe que depuis la prorogation et la 1559, qui en est le fruit, voire l’enfant illégitime. Cette question suppose que l’un a avancé et l’autre a reculé. Or, le pays se trouve dans une polarisation sans précédent et à ce stade-là, il n’y a plus de compromis possible entre ce pouvoir et cette opposition. En d’autres termes, sans ces deux événements, la logique progressive du gain et de la perte qui existe dans tout jeu démocratique était encore jouable. Depuis, il y a eu changement d’attitude des deux parties : la première qui soutient la prorogation malgré tout, et la seconde qui, sans être le « parti de la 1559 », affirme refuser les fruits de cette prorogation. Donc, nous ne sommes plus dans une logique de négociation. Q- Cette résolution a-t-elle au moins donné un coup de pouce à l’opposition ? Évidemment. Mais ce n’aurait pas été très intelligent de la part de l’opposition d’utiliser la 1559 comme argument. Ce qu’elle peut constater objectivement, c’est que la 1559 est venue répondre à une action, une gifle du pouvoir contrée par une autre gifle. L’opposition ne fait que prendre acte de ces deux gifles. Elle n’a aucun pouvoir de réversibilité sur ces deux actes. Donc, l’opposition navigue actuellement entre deux positions extrêmes. Q- La question des observateurs pourra-t-elle pallier les éventuels écueils de ce scrutin ? C’est une des choses qui peuvent contribuer à changer les règles du jeu. À condition toutefois que l’action d’observation commence aujourd’hui, c’est-à-dire par l’observation du débat qui entoure la loi électorale, des conditions du débat politique en général. Sinon, le travail des observateurs consistera uniquement à voir comment les gens mettent les bulletins dans les urnes. Ce qui, en définitive, ne veut rien dire. Propos recueillis par Jeanine JALKH
Rien ne sert de perdre son temps dans les dédales des techniques électorales, car l’enjeu se trouve ailleurs, affirme Joseph Bahout, professeur et analyste politique. Dans une entrevue accordée à L’Orient-Le Jour, il soutient que l’environnement politique n’est pas favorable à une bataille électorale qui serait menée conformément aux règles du jeu. Car, dit-il, le clivage est...