Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Ce n’est pas nécessairement le tremblement de terre qui provoque les hécatombes, mais les mauvaises constructions Beyrouth vulnérable face aux risques sismiques (photos)

Le Liban est un pays où le risque sismique est bien réel. Même si les experts sont réticents à donner une estimation de la magnitude qui pourrait le frapper, on est en droit de se demander quelles sont les mesures de prévention adoptées dans le secteur du bâtiment pour lutter contre un tel danger. «L’expérience l’a prouvé, les bâtiments construits selon les règles de la prévention parasismique supportent très bien les séismes majeurs », a déclaré, à « L’Orient-Le Jour » (1), Wolfgang Jalil, expert et président du groupe de rédaction des règles parasismiques françaises. «Un code de sécurité publique s’articulant autour de l’électricité, l’incendie et le séisme existe au Liban, mais il n’a reçu aucun support législatif pour contrôler la responsabilité du constructeur et le condamner en cas de négligence, car son acte aurait exposé des personnes à la mort», indique Assem Salam, ancien président de l’Ordre des architectes et ingénieurs. «Les normes qui ont été élaborées par la Direction générale de l’urbanisme ont fait l’objet de décrets parus dans le Journal officiel, le 11-12-97. Toutefois, aucun comité (accreditation board) n’a été créé pour valider les bureaux de contrôle. Et malgré ses moyens techniques, humains et financiers, l’Ordre ne peut se substituer à l’État pour contrôler leur application sur le terrain. C’est une opération d’envergure qui ne peut être entreprise que par un organisme étatique». Il ajoute que pour obtenir le permis de construire, les bureaux d’architecture se conforment aux standards en vigueur « mais en l’absence d’un organisme de contrôle, comment s’assurer que les études et l’exécution sont conformes aux règlements de la sécurité publique ? » «Seule Solidere – qui a ses propres standards et son bureau de contrôle qui veille à leur application – construit selon les normes parasismiques», affirme Assem Salam, ajoutant, néanmoins, que «les grandes boîtes d’architecture collaborent avec des ingénieurs de structure ou font appel à eux pour remplir un cahier des charges rigoureux. Mais les milliers d’architectes que nous avons tiennent-ils compte de la réglementation du code ? Sans un support législatif peuvent-ils faire face à un client qui refuse des normes de sécurité impliquant des dépenses supplémentaires, pouvant s’élever jusqu’à 30% ? » En ce qui concerne l’adoption des normes antisismiques aux édifices déjà existants, l’ancien président de l’Ordre des architectes et ingénieurs souligne que «le problème est plus complexe et très coûteux puisque l’urgence ne serait pas seulement de consolider les bâtiments par des chaînages mais aussi de leur assurer des trappes d’évacuation de fumée; des sprinkles d’extinction d’incendie, des valves de circuit de gaz, etc.». Réglementation antisismique appliquée par Solidere Interrogé à son tour, l’ingénieur de structure Rudolph Matar estime que «la plupart de nos constructions ne sont pas étudiées pour résister aux effets dynamiques d’un séisme. Il y a trois décennies, une loi faisait mention de structures antisismiques pour les bâtiments supérieurs à 40 mètres de hauteur mais elle ne signalait ni les degrés ni la procédure à respecter, et la décision de son application avait été laissée à l’initiative des ingénieurs. Il est vrai que plus de 95% de nos constructions sont solides grâce à leur structure de béton armé. Toutefois ce béton ne résiste pas à un tremblement de terre d’amplitude supérieure à 7 sur l’échelle de Richter. Pour prévenir les risques d’effondrement des bâtiments, poursuit Matar, la structure doit être calculée de manière à absorber les effets sismiques : il faut donc augmenter les dimensions des éléments de structure, notamment en y intégrant des dispositifs destinés à limiter la réponse du bâtiment à l’oscillation du sol. Là encore, l’opération est laissée à l’initiative du client». L’ingénieur de structure ajoute que «toutes les constructions entreprises par le gouvernement et Solidere sont soumises à une étude de résistance aux séismes et leur exécution est contrôlée par un bureau spécialisé ». L’architecte Bernard Khoury signale, pour sa part, que «ce n’est pas le bordel total. À l’Ordre des architectes et ingénieurs, il y a des règlements clairs et tout permis déposé pour le bâtiment est soumis à une étude d’ingénierie de structure ; en conséquence, l’ingénieur sous-traitant qui ne se conforme pas aux directives prend ses responsabilités. Il faudrait toutefois s’assurer que l’exécution sur le chantier soit conforme à ce qui est prescrit dans la norme parasismique. Malheureusement, le contrôle n’est pas systématique ». L’architecte Simone Kosrmelli révèle qu’en dehors de Solidere où la réglementation est strictement appliquée, beaucoup de clients hésitent, en raison du coût, à adopter les règles parasismiques : les matériaux adéquats constitueraient 20% du coût total de la construction. Au centre-ville, la société immobilière s’est même penchée sur la protection maritime. Selon un des responsables, le système qui est étalé sur une longueur de 1 350 mètres et qui permet de casser des vagues de 18 mètres de haut prévoit deux lignes de défense. L’une comprend un platier immergé, de 140 mètres de profondeurs, et l’autre, 80 caissons antisismiques capables de faire face à une accélération horizontale de 0,2 g, ce qui équivaut à peu près à l’amplitude 7 de l’échelle de Richter. Les facteurs à risques Les experts sont toutefois d’accord sur un point : Ce n’est pas le séisme qui tue mais les constructions. Lors d’une conférence donné au Centre culturel français, Mme Laurence Pico Harb s’est penchée sur « La vulnérabilité de la ville de Beyrouth aux risques sismiques» (2). Doctorante en géographie, DEA de géomorphologie et diplômée de l’École nationale d’assurances, à Paris, conseillère à la SNA, filiale du groupe AGF, où elle a mis en place des méthodes permettant l’évaluation des sinistres, des dommages, des tremblements de terre maximum et probables, Mme Pico Harb a énuméré une série de facteurs provoquant les destructions. Elle a souligné d’abord que l’intensité du séisme dépend de la nature géologique du sol : les sols meubles argileux, par exemple, amplifient les vibrations et leur durée ; en bordure de mer, les sols contenant de fortes proportions de sable sont susceptibles d’être liquéfiés. De même, l’instabilité des pentes peut entraîner des effondrements. Prenant à titre d’exemple le versant oriental de la colline d’Achrafieh où la suppression de la butée du pied du versant a laissé des surfaces de rupture, la spécialiste signale qu’en cas d’ondes sismiques, tout le versant peut être déstabilisé, d’autant plus qu’il est surchargé de constructions et situé à proximité de la faille du fleuve de Beyrouth. Risque d’effondrement aussi à Ras-Beyrouth en raison des roches carbonatées du sol dont la propriété est d’être soluble mais aussi à Sodeco où les fondations des constructions sont ancrées dans les « sables rouges », formation très répandue, semble-t-il, dans le site de Beyrouth. Ces sables rouges, amenés à se tasser, peuvent provoquer des dommages très importants, particulièrement sur les bâtisses en moellons de grès datant d’avant les années 50. De même, les « sables dunaires » de Ramlet el-Beida qui sont saturés par l’eau risquent de se liquéfier, entraînant par la même occasion le tassement et par conséquent une déstabilisation de la construction, voire même son renversement. Par ailleurs, si le séisme a son épicentre en mer, le littoral sera exposé à un tsunami dont la lame de fond peut atteindre 30 mètres de haut et dévaster un immeuble. Il existe toutefois un dispositif de constructions pour diminuer les effets d’un tsunami et réduire le phénomène de résonance : « Évitez d’exposer les larges façades de l’immeuble sur le front de mer», a dit la conférencière. En fait, c’est le secteur de la construction qui est pointé du doigt. Prenant le bâtiment et la densité du tissu urbain comme fil conducteur de son analyse, Mme Pico Harb expose les critères permettant d’évaluer la vulnérabilité à un séisme. Elle met tout d’abord en exergue les pratiques de construction et les formes architecturales, facteurs d’instabilité : par exemple, les balcons en porte-à-faux, les immeubles sur pilotis, fortement déconseillés dans les milieux sismiques ; de même, la forme architecturale en L est particulièrement vulnérable si les deux volets du L n’ont pas été construits avec un joint parasismique. On peut craindre qu’à la jonction de ces deux parties, des dommages importants puissent être engendrés. Sur la sellette aussi, le nombre d’étages et le rajout de l’étage dit Murr. « Quand bien même une construction aurait été renforcée et ses murs calibrés, serait-elle à même de supporter une sollicitation d’origine sismique ? En tout cas, avec le phénomène de résonance, elle ne peut que s’effondrer », a souligné l’intervenante, enchaînant sur la surcharge des toits (des antennes, des réservoirs d’eau, etc.) qui, ainsi lourdement chargés, ne peuvent plus être supportés par les murs latéraux. D’ailleurs, en cas de séisme, les débris des antennes ou des réservoirs d’eau vont atterrir sur la chaussée et bloquer l’acheminement des secours. D’autres facteurs à risques se présentent à l’échelle du tissu urbain : – La densité urbaine. En cas de séisme, les immeubles, accolés les uns aux autres, vont entrer en vibration. Or, si ces vibrations ne sont pas en « phasage », ils vont s’entrechoquer et la collision engendrera des dégâts importants. – L’étroitesse des rues est aussi un danger puisqu’en cas d’encombrement, il y aura des difficultés pour acheminer les secours, et les conséquences sur les habitants seront amplifiées. – La répartition des stations-service présente un risque d’inflammabilité. Mme Pico Harb donne à titre d’exemple le séisme de Kobé où un million de mètres carrés ont été dévastés par les incendies. Par la même occasion, elle déconseille vivement les bonbonnes de gaz non sécurisées dans les appartements. – Les dégâts causés au réseau électrique peuvent entraîner des courts-circuits. – La vulnérabilité des conduites d’eau. Celles-ci devraient être accessibles en cas d’incendie. Concernant le chapitre des mesures parasismiques, l’accent est mis sur les opérations de réhabilitation des bâtiments et des réseaux, sur la mise au point des « plans de microzonage du risque » et d’occupation du sol, et sur les scénarios catastrophes dont le fonctionnement devrait être testé par des simulations sur le terrain. May MAKAREM (1) Voir « L’Orient-Le Jour» du 13 janvier 2000. (2) Voir « L’Orient-Le Jour» du 26 avril 2004. La conduite à tenir Lors d’un séisme, se réfugier près d’un mur porteur ou sous une table pour protéger la tête, mais jamais près d’une fenêtre où l’on peut être éclaboussé par les débris d’une vitre. Jamais sous un poteau électrique ou au milieu d’une rue (pour éviter les chutes d’objets). Au cas où vous seriez dans une voiture, coupez le moteur et ne bougez plus car elle peut vous protéger de tout ce qui peut vous tomber sur la tête. De même, il y a toujours plus de morts par piétinement que par effondrement d’immeubles, alors pas de panique. Si les enfants sont à l’école, laissez-les sur place, les responsables les prendront en charge. Conseils techniques Le but de la construction parasismique consiste à trouver des techniques de génie civil permettant aux habitations de résister à toutes les secousses d’intensités inférieures ou égales à l’intensité nominale fixée par la loi. À retenir principalement : l’implantation judicieuse des constructions, hors des zones instables; l’adaptation des fondations au type de sol; l’utilisation de matériaux de qualité adéquate; le respect des dispositions énoncées dans les guides techniques de construction parasismique (distribution des masses, chaînages horizontaux et verticaux, etc) mais aussi le renforcement des bâtiments existants en rajoutant des structures appelées « longrines » qui consolident les zones de discontinuités. Le tsunami Le raz-de-marée qu’on appelle du nom japonais « tsunami » et qui avait dévasté Beyrouth, en 551, constitue un phénomène particulièrement destructeur. Il est en quelque sorte sournois parce qu’il peut survenir plusieurs heures après un séisme déclenché sous la croûte océanique et engendrer un mouvement oscillatoire de l’eau (vagues). Ces vagues sont à peine perceptibles en eau profonde (moins d’un mètre d’amplitude), mais s’enflent en eau peu profonde pour atteindre des amplitudes allant jusqu’à 30 mètres. La vitesse de leur propagation est de 500 à 800 km/heure et leur périodicité est de l’ordre de 15 à 60 minutes.
Le Liban est un pays où le risque sismique est bien réel. Même si les experts sont réticents à donner une estimation de la magnitude qui pourrait le frapper, on est en droit de se demander quelles sont les mesures de prévention adoptées dans le secteur du bâtiment pour lutter contre un tel danger. «L’expérience l’a prouvé, les bâtiments construits selon les règles de la...