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Actualités - CHRONOLOGIE

Tsunami - « À notre retour, ils nous ont fouillés à l’aéroport de Beyrouth » Le paradis s’est transformé en enfer, racontent les rescapés libanais (photo)

Ils avaient programmé leurs vacances de fin d’année, rêvant, dans la grisaille de l’hiver, de plages de sable blond et de soleil éclatant. Mais quelques jours après leur arrivée dans les divers pays chauds de l’Asie du Sud, le 26 décembre dernier, le paradis rêvé s’est métamorphosé en enfer en l’espace de quelques minutes. On ne connaît toujours pas le nombre de Libanais qui ont échappé au tsunami asiatique. Vu les offres vantées par plusieurs tours opérateurs, ils devraient être plusieurs dizaines. C’est après leur retour sains et saufs au pays que les rescapés commencent à témoigner. Nous avons rencontré trois d’entre eux. De leur séjour au soleil, ils n’ont gardé de beau que la peau bronzée. Ils racontent leur expérience le regard perdu dans le vide. Comme s’ils se repassaient le film des événements de ce dimanche 26 décembre. Certains sont rentrés avec une immense foi en Dieu, d’autres croient désormais au destin. Et tous conviennent que « personne ne peut mourir avant son heure ». Pour leur lune de miel, Sarmad et Patricia Sahhar avaient choisi de visiter plusieurs pays d’Asie du Sud. Le 26 décembre dernier, ils se trouvaient sur l’île de Phuket, en Thaïlande. En pyjama et chemise de nuit qu’ils sont arrivés le lendemain à l’aéroport de Dubaï. C’est quelques heures avant de regagner Beyrouth qu’ils ont pensé à se changer... Sarmad, 36 ans, raconte l’histoire. « Dimanche à 8h, nous avons senti un tremblement de terre. À 9h15, quelqu’un a frappé à la porte pour nous dire que l’hôtel était en train de couler. Nous sommes montés avec beaucoup d’autres sur le toit », raconte-t-il. Sarmad ne sait pas combien de personnes étaient coincées sur le toit et dans les escaliers de l’hôtel. « Plusieurs centaines », indique-t-il. « Nous y sommes restés peut-être trois heures. Il fallait voir la puissance de l’eau. Les voitures qui flottaient. Une camionnette était même accrochée au deuxième étage de l’hôtel d’en face », dit-il. « Cinq étages plus bas, des “choses” flottaient partout. C’était le moment du petit déjeuner... La veille, les hôtels et les restaurants de Phuket étaient bondés... », ajoute-t-il. Au bout de trois heures, quand l’eau a commencé à se retirer, Sarmad descend dans sa chambre du deuxième étage. « Avant de monter sur le toit, le courant électrique s’est coupé, et comme la serrure était magnétique, je n’avais donc pas fermé la porte, la coinçant avec une barre de fer », raconte-t-il. Il range l’argent, les passeports et deux billets d’avion et il part à la recherche d’un taxi. Au bout de quelques heures, il trouve un touk-touk (véhicule tiré par une motocyclette). Il revient à l’hôtel, son épouse avait déjà fait les valises. Ils s’en vont vers l’aéroport. Sarmad ne s’est pas changé et son épouse avait juste glissé une robe d’intérieur. Le jeune homme parvient à appeler le représentant de son agence de voyages. Ce dernier lui conseille de rester sur place, il refuse. « Ces îles ne sont pas équipées pour ce genre de catastrophe, il n’y avait pas d’eau courante ou d’électricité, plus rien ne restait des cuisines... Il fallait fuir, aller ailleurs », raconte-t-il. Le couple arrive donc à l’aéroport de Phuket et veut poursuivre son voyage de noces. Destination Bangkok. Une fois dans la capitale de la Thaïlande, Sarmad et Patricia veulent se rendre en Malaisie. Ils ne savaient pas encore que le tsunami avait frappé également cette péninsule d’Asie. « L’aéroport de Bangkok était presque désert, mais c’est à ce moment-là que nous avons su que le raz-de-marée avait touché toute la région. Il fallait prendre donc un vol pour Dubaï », indique le jeune marié. « Vous savez, je crois de plus en plus fort en mon ange gardien », relève-t-il. Et d’expliquer : « Une fois au guichet, je compte l’argent que j’avais. Il me manquait 350 dollars en liquide pour réserver deux billets Bangkok-Dubaï-Beyrouth. » « Une femme thaïlandaise me donne une tape dans l’épaule et me dit en anglais : “Il faut sortir de l’aéroport, il y a un bureau où tu peux trouver des billets moins chers qu’ici, et ne dis à personne que c’est moi qui t’ai envoyé”. » Sarmad sort de l’aéroport et arrive à l’endroit indiqué. Il achète les deux billets, 350 dollars moins cher qu’à l’aéroport. « Jusqu’à présent, je me demande comment cette femme, qui n’était pas présente au guichet de l’aéroport, a pu savoir que je manquais d’argent », relève le jeune homme. Témoignage anonyme Un autre rescapé, qui a requis l’anonymat, était sur « une toute petite île en face de Phuket » au moment du tsunami. Lui aussi évoque « la puissance de la nature et de l’eau ». « Je suis un homme croyant, mais à ce moment-là, j’ai senti véritablement la présence de Dieu », dit-il, soulignant qu’il a échappé « par miracle » à la catastrophe. « Je suis arrivé sur cette île à 9 heures du matin, un quart d’heure avant le tsunami, et j’ai commencé à me promener sur la plage, m’éloignant de l’eau », poursuit-il. « Contrairement à mes habitudes, je ne sais pas pour quelle raison je n’ai pas mis mon maillot pour me baigner... », indique-t-il. « J’ai cru que c’était un simple courant. Au bout de quelques heures, quand la mer s’est calmée, je suis rentré pour voir l’île de Phuket – où j’avais passé le réveillon – complètement détruite », ajoute-t-il. Dia el-Zir, elle, était au Sri Lanka, à Hakadoué, non loin de Gallé. Monitrice de natation et d’aquagym, elle avait choisi l’Asie du Sud pour s’adonner à l’une de ses activités favorites : le windsurf. Dia, mariée depuis 30 ans et mère de deux enfants, est partie en vacances loin de sa famille. C’est aux côtés de son époux, Joseph, dont les yeux se remplissent de larmes quand elle parle de ce qu’elle a enduré, qu’elle témoigne. C’est sans complexes qu’elle dit que depuis son retour elle – qui s’endormait à huit heures du soir – ne parvient plus à fermer l’œil de la nuit. « J’ai des insomnies et quand j’ai voulu reprendre mon travail, j’ai eu un peu peur de l’eau », dit-elle. Le 26 décembre à midi, Dia devait quitter l’hôtel de Hakadoué pour se rendre dans une autre région du Sri Lanka. Le matin du 26, à 6 h, elle sent un tremblement de terre. Elle se rend ensuite au centre de massage de l’hôtel. Alors qu’elle se fait masser, au deuxième étage d’un bâtiment en bois, elle entend quelqu’un crier au rez-de-chaussée : « Something is happening. » Elle est en maillot et n’a pas le temps de s’habiller. Le bâtiment cède. Dia est propulsée dans l’eau, elle s’agrippe au chariot de massage. « C’est le chariot qui m’a permis de flotter durant quarante minutes. Il y avait un courant fou. Je pense que j’avais souvent la tête au-dessous de l’eau », dit-elle. Le chariot a été ensuite coincé entre deux arbres, ce qui a permis à la rescapée de grimper sur un palmier. « Je me suis agrippée durant deux heures, de toutes mes forces, à l’arbre. Je voyais le courant qui emportait des voitures et des minibus remplis de touristes. Plus je regardais ces scènes, plus je m’agrippais à l’arbre. Je me suis sentie seule au monde, mais je voulais survivre, à tout prix », dit-elle. Au bout de deux heures, quand la mer s’est retirée, Dia se rend au lobby de l’hôtel. Elle voit sa valise à 200 mètres de là. Elle court la récupérer, l’ouvre, met des vêtements trempés de henné (produit qu’elle devait rapporter au Liban), se dirige vers les cuisines, trouve une bouteille d’eau gazeuse intacte, un bout de pain et un couteau. Elle les cache, monte au deuxième étage, casse la serrure de la porte de sa chambre avec le couteau, récupère passeport, argent et billet d’avion. Le retour Elle passera quelques heures avec d’autres touristes sur le toit de l’hôtel. Un autre tsunami secoue la zone. « Quand j’ai réalisé qu’il n’y avait pas d’eau potable, j’ai paniqué. Il fallait partir à tout prix », dit-elle. En rentrant à l’hôtel, quelques heures plus tôt, elle avait repéré un taxi intact. Elle va retrouver le chauffeur, lui propose 10 000 roupies (soit l’équivalent de 100 dollars) pour rentrer à Colombo. Ce dernier veut l’emmener à condition que la femme qui l’emploie accepte. La rescapée attend et rejoint la capitale sri lankaise avec la locataire du taxi, une Italienne établie à Amman. « Il nous a fallu dix heures et demie pour arriver à Colombo », indique Dia. « Les routes étaient jonchées de débris. À chaque fois, je descendais pour dégager le chemin. J’ai porté des pierres et des troncs d’arbre, alors que je voyais des gens demander de l’aide », dit-elle. Dia doit dormir une nuit à Colombo avant de rejoindre Beyrouth. Elle est dans l’incapacité de contacter sa famille mais parvient à téléphoner à l’agent du tour opérateur, qui lui conseille de poursuivre son séjour... Après maintes recherches, notamment via Internet, et au bout de 48 heures, la famille de Dia parvient à joindre l’agent du tour opérateur libanais à Colombo. À l’AIB mardi 28 décembre, Joseph, l’époux de Dia, a retrouvé une femme méconnaissable. « Elle était toute noire et boursouflée de partout », dit-il. « Durant deux jours, nous avons vu les images à la télévision, croyant que nous n’allons plus jamais la revoir. Les gens venaient chez nous, comme pour des condoléances », indique-t-il d’une voix étranglée par l’émotion. Joseph et Dia, heureux de se retrouver, en veulent surtout au gouvernement libanais. « J’étais dans des vêtements trempés de henné, j’avais des tongs et une banane, j’avais vécu le cauchemar, et les forces de l’ordre ont voulu me fouiller à l’aéroport de Beyrouth », se plaint la rescapée. Patricia KHODER
Ils avaient programmé leurs vacances de fin d’année, rêvant, dans la grisaille de l’hiver, de plages de sable blond et de soleil éclatant. Mais quelques jours après leur arrivée dans les divers pays chauds de l’Asie du Sud, le 26 décembre dernier, le paradis rêvé s’est métamorphosé en enfer en l’espace de quelques minutes. On ne connaît toujours pas le nombre de Libanais qui...