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TRIBUNE - Avant même la chute de l’empire ottoman, beaucoup de Libanais avaient préconisé un nationalisme laïque De la renaissance arabe à la décadence, y a-t-il un remède ?

Par Abdel-Hamid EL-AHDAB
Avocat

Comment les Arabes ont-ils pu choir aussi bas ?
Comment pourraient-ils faire pour sortir de cette épreuve ?
Le temps est venu de poser les vraies questions afin de cerner le mal et pouvoir rechercher le remède.
Dans les années qui ont suivi la Conférence de la paix tenue à Paris en 1919 à l’issue de la chute des anciens empires despotiques (les empires ottoman, russe, germanique et austro-hongrois), une occasion historique s’était présentée. Ces empires avaient été défaits par les vénérables démocraties d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord et tout était donc prêt pour une large propagation de la liberté, de la démocratie et des valeurs y associées.
Beaucoup de Libanais avaient été à l’avant-garde du mouvement qui avait appelé à une renaissance arabe avant la chute de l’empire ottoman et dans les premières années du Mandat. Citons, à titre d’exemple, Ahmad Farès al-Chidiac, Maroun Naccache, Boutros al-Boustany, Ibrahim al-Yazigi, Salim et Souleiman al-Boustany, Gergé Zaïdan, Khalil Moutran, Amin al-Rihani et d’autres... Leur message avait pour nom liberté et leur patrie avait pour image la langue arabe. À partir de la notion de langue-patrie, ils ont lancé le concept d’arabité fondateur d’un nationalisme qu’ils ont voulu laïque, non religieux et non clanique, et c’est à travers cette conception de l’arabisme qu’ils ont posé les jalons d’un dialogue entre les deux civilisations orientale et occidentale. Leur prêche portait principalement sur un élément de leur culture commune, à savoir les grands principes de la Révolution française et son appel à la liberté, l’égalité et la fraternité.
Les pionniers libanais de la Renaissance arabe avaient lancé leur cri à partir de la France, de l’Égypte, des États-Unis et, quelque peu, du Liban, en un temps où ils souffraient encore de l’oppression ottomane, mais la pensée à l’origine de cette renaissance a vu le jour en Égypte où de grands esprits ont œuvré pour concilier la religion et la raison, puis la religion et la modernité. Les plus éminents étaient Mohammed Abdo, Loutfi al-Sayed, Taha Hussein, Saad Zaghloul et le cadi d’el-Azhar, Ali Abderrazak, auteur du livre L’islam et les règles de gouvernement.
Pour la première fois dans l’histoire de la pensée musulmane, un ouvrage prenait appui sur des arguments et motifs religieux puisés dans le Coran, la Sunna et l’histoire de l’islam, pour justifier la laïcité. Celle-ci était ainsi prônée dans le cadre de la foi religieuse et non à partir d’une logique qui la combat.
Avec l’arrivée de Abdel-Nasser au pouvoir, un vrai choix devait être opéré sur la question de la religion et de la liberté. L’homme avait été nourri à l’école de la liberté avant d’accéder au pouvoir. Mohammed Hassanein Haykal dit de lui (dans l’ouvrage de Youssef al-Akid intitulé : Mohammed Hassanein Haykal se remémore) : « Il y avait chez Abdel-Nasser – depuis ses premières années de pouvoir – des préoccupations culturelles, mais il était très sensible aux symboles et réagissait en leur fonction. Il avait, par la suite, tenté de créer lui-même des symboles, valeurs et signes culturels, et c’est ainsi qu’il avait commencé à écrire un roman demeuré inachevé et qui avait pour titre : Pour la liberté. Il avait rédigé auparavant un article sur Voltaire, L’homme de la liberté » (p. 29 de l’ouvrage).
Abdel-Nasser, qui faisait la distinction entre le spirituel et le temporel, avait une conception moderne de l’islam. Preuve en est qu’il s’est violemment heurté au mouvement des Frères musulmans, lesquels ont tenté de l’assassiner. À la page 9 des minutes de la réunion qu’il avait tenue avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, il dit : « Je ne voudrais pas que vous souscriviez à la thèse qui dit que l’islam constitue un obstacle au développement. La caractéristique de l’islam, à mon sens, est qu’il est une religion ouverte sur toutes les époques et toutes les étapes de développement. Je répète souvent ces paroles du Prophète appelant à répondre aux besoins des diverses époques : “ Vous êtes les plus aptes à connaître des affaires de votre monde ” » (L’Explosion de Haykal, p. 410 à 416).
Comment les choses en sont-elles arrivées là ? Des pionniers libanais de la renaissance jusqu’à l’esprit conciliateur islamique qui a ouvert les portes du progrès, aux al-Azhari, Ali Abderrazak qui prône la laïcité, Taha Hussein et Abdel-Nasser qui cite Voltaire comme le champion de la liberté, et qui a distingué entre le spirituel et le temporel dans l’islam !
Comment les choses ont-elles évolué jusqu’à ce point ?
Il est certain que le chemin emprunté par le courant de la renaissance et de la liberté n’a pas été facile. L’ouvrage de Ali Abderrazak a été interdit, les livres de Taha Hussein ont été brûlés et leurs ouvrages ont disparu des librairies. Néanmoins le courant de la renaissance est demeuré fort. Alors comment a-t-on abouti à Saddam Hussein et aux régimes arabes ?
1. Après la défaite des armées arabes en Palestine, à la fin des années quarante et au début des années cinquante, les organes des Parlements arabes, formés des fils des classes moyennes, ont commencé à succomber sous les coups des militaires originaires des campagnes. La Palestine fut le prétexte utilisé par les militaires pour s’emparer du pouvoir, et les régimes militaires devinrent la règle. Ainsi en fut-il de la Syrie, de l’Irak, de l’Égypte, de la Libye, du Yémen et du Soudan... Les pays du Maghreb suivirent dès qu’ils eurent acquis l’indépendance, à l’exception du Maroc monarchiste.
2. Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale et à l’issue de la naissance de la guerre froide, l’ennemi stratégique des États-Unis devint le communisme. La puissance outre-atlantique finança alors le « Plan Marshal » pour assurer la résurrection économique de la rive occidentale de la Méditerranée, l’Europe, afin de résister au communisme. En ce qui concerne la rive arabe de cette même mer, l’Amérique choisit de compter sur l’intégrisme musulman et l’appuya donc politiquement en le laissant accumuler, par ailleurs, des fortunes. De même choisit-elle de compter sur les militaires là où l’intégrisme n’avait pas le pouvoir. Et c’est ainsi que le monde arabe s’est trouvé partagé entre les militaires et les intégristes.
3. Puis apparut Abdel-Nasser, la légende. L’homme donna corps à tous les rêves arabes dans le message qu’il transmit sur le nationalisme arabe. Mais il ne conçut aucun plan laïque pouvant constituer une alternative à l’intégrisme religieux, alors qu’il était le seul à pouvoir entreprendre un tel projet.
4. Le nassérisme consistait en une culture politique, un discours politique nationaliste. Mais il ne faisait pas état de la liberté, et ce sont les services de renseignements qui finirent par imposer leurs propres slogans... Le nationalisme arabe fut ensuite défait avec la défaite du nassérisme en 1967, et la mort de Abdel-Nasser en 1970. Mais la légitimité des « moukhabarats » et de l’économie dirigée et l’absence de liberté et de respect de la dignité de l’homme demeurèrent l’essence du discours politique arabe.
5. À la chute du nassérisme, l’intégrisme musulman devait remplir le vide laissé par le nationalisme arabe défait avec Abdel-Nasser. Les deux axes de la politique arabe devinrent donc les militaires et les intégristes. Cela eut des conséquences graves sur la culture et le discours politique, les manifestations de cet impact étant les suivantes :
a) les écoles se sont multipliées mais l’instruction a disparu. Elle est devenue primitive et politiquement dirigée. La connaissance a été politisée pour glorifier les régimes politiques despotiques et les renforcer. En d’autres termes, la connaissance a été réduite à une explication totalement axée sur la religion;
b) les régimes despotiques sont convenus avec une certaine catégorie de religieux pour élaborer des conceptions de l’islam qui servent leur pouvoir et sont contraires à tout épanouissement humain;
c) le pouvoir despotique et les puissances d’argent ont réussi à récupérer les intellectuels arabes. Aussi les travaux de ces derniers ne sont-ils utilisés que pour donner un caractère légal aux régimes;
d) les cerveaux et les gens compétents ont été contraints d’émigrer et l’émigration est devenue le premier rêve de la jeunesse arabe;
e) la valeur sociale de l’instruction, de l’homme instruit et de l’intellectuel a été atrophiée, les éléments les plus valorisés étant à présent la fortune, l’argent et le pouvoir despote, sans considération des moyens utilisés pour y parvenir;
f) la classe moyenne s’est trouvée considérablement réduite en nombre sous les coups de butoir de la pauvreté et de la peur. La corruption sociale et morale s’est substituée à la justice sociale.
Il est de notre droit, face à cette situation, d’opter pour une vision stratégique qui serait élaborée par les élites arabes restantes ou celles qui ont émigré pour échapper à l’oppression des pouvoirs en place et aux méfaits des puissances de l’argent. Ces élites sont appelées à mener une action créative, sociale et patriote, qui reconstituerait la région de l’intérieur et servirait ainsi le progrès dans cette zone du globe. La réforme de l’intérieur, bâtie sur une autocritique sévère, est en effet l’alternative qu’il faut pour faire face aux risques de « remodelage » de la région de l’extérieur.
Le seul espoir de changement réside dans le fait que l’Amérique commence à considérer que la situation arabe actuelle constitue un danger pour sa sécurité intérieure en dépit de la soumission de tous les régimes à sa politique. À cet égard, le 11 septembre a donc eu un effet positif : il a jeté la lumière sur la situation arabe aux niveaux politique, social, économique et religieux et il a rendu le changement inéluctable.
Mais il est nécessaire que le changement, ou la pensée préconisant le changement, vienne de l’intérieur du monde arabe pour qu’il ne vienne pas du dehors, et il ne faut pas répéter que le changement ne viendra qu’avec la solution de la question palestinienne. La question palestinienne constituait « l’affaire », mais avec la décadence du monde arabe et sa chute à des niveaux si bas sur les plans moral, social et politique, elle n’est plus que l’une des affaires du monde arabe et sa solution ne résoudra certainement pas tous les problèmes accumulés en un demi-siècle.
Par Abdel-Hamid EL-AHDABAvocatComment les Arabes ont-ils pu choir aussi bas ? Comment pourraient-ils faire pour sortir de cette épreuve ?Le temps est venu de poser les vraies questions afin de cerner le mal et pouvoir rechercher le remède.Dans les années qui ont suivi la Conférence de la paix tenue à Paris en 1919 à l’issue de la chute des anciens empires despotiques (les...