Rechercher
Rechercher

Actualités

Des péripéties moins risibles qu’inquiétantes

Les chansonniers doivent s’arracher les cheveux. Le pouvoir leur ôte le pain de la bouche. En multipliant les sketches et les quiproquos involontaires. Mardi, Hariri et Samaha sortent annoncer que le Conseil des ministres ne se retrouvera pas avant la semaine prochaine. Pour que le CDR ait le temps de préparer les réponses aux questions posées sur les 110 milliards (de livres, pas de dollars, mais on y viendra un jour). Quelques dizaines de minutes plus tard, on apprend qu’un «accord » a été conclu pour mettre les bouchées doubles. Et pour tenir une séance dès le lendemain mercredi, c’est-à-dire hier. Un « arrangement » soudain, qui arrange bien le régime. Dont les décideurs ont décidé, encore une fois, de soutenir les positions en parachutant d’urgence un mot d’ordre de célérité. Nouvelle déconvenue donc pour Hariri. Avant que le Conseil de mardi ne se sépare, plusieurs ministres l’avaient prié de fixer un rendez-vous rapproché, par égard pour les délais légaux. Il avait refusé, en arguant de la nécessité de prendre d’abord connaissance du rapport demandé au CDR. Ajoutant que, de plus, Fouad Siniora n’en avait pas terminé avec la rédaction de l’introduction explicative du projet de budget 2004. Les ministres ont insisté, mais Hariri aussi. En s’armant, pour rejeter leur requête, des prérogatives que la Constitution lui confère en matière de convocation du Conseil. Selon des témoins, ces échanges se sont déroulés sans aucune intervention du chef de l’État. Il était assez évident cependant que la passe d’armes découlait de la tension relationnelle enclenchée, en début de séance, par les vives critiques que le président de la République a formulées, sans toutefois nommer M. Hariri. Le chef de l’État a fustigé en termes sévères le comportement de responsables qui se dépensent en déclarations publiques pointues avant les réunions du Conseil. L’atmosphère en a été tout de suite alourdie, indiquent les témoins présents, et les visages sont restés fermés un bon bout de temps. Puis l’on a noté une certaine détente au fil des débats. Mais la fièvre a regrimpé en fin de parcours lorsqu’on a parlé du cas épineux du CDR et de ses 110 milliards. Hariri, précisent ces ministres, s’est montré tout le long de la séance (du round, devrait-on dire) plus volubile que d’habitude. On sentait qu’il avait résolu de nuancer ou même de modifier sa stratégie du dos rond, de la défense passive. Il a ainsi résolument pris la défense du CDR (ou plutôt de sa conception du rôle de supraministère que cet organisme doit avoir) ainsi que de Siniora. Hariri a de la sorte affirmé que le comité du CDR, confronté au problème des nominations, n’avait pas manqué de consulter le chef de l’État. Qui lui aurait laissé carte blanche pour ses choix, à en croire le Premier ministre. Pour s’étonner dès lors des critiques lancées (sous-entendu par le régime) contre les nominations et de la demande subséquente de leur annulation.
Les discussions sur le budget ont de leur côté prouvé, si besoin était, qu’il n’y a pas moyen de parvenir à une vraie détente relationnelle entre les deux têtes de l’Exécutif. Même une trêve boudeuse semble difficile à établir en l’état actuel des choses. Car les enjeux sont de taille et aucun des deux pôles ne peut, manifestement, lâcher du lest. Assez paradoxalement, la règle sous-jacente d’en référer aux institutions, seul point (presque) sur lequel les présidents se montrent d’accord, complique encore les choses. Pour la bonne raison que, comme on l’a dit et écrit mille fois, les textes constitutionnels concernant les prérogatives sont confus. Et ne peuvent, dès lors, que produire de la confusion donnant lieu à de vives querelles d’interprétation.
Le pouvoir est donc en crise. Les protagonistes ne songent qu’à marquer des points les uns contre les autres. Au mépris de la situation précaire du pays et de sa population, comme des dangers régionaux de l’heure. Les intérêts nationaux bien compris se trouvent foulés aux pieds et l’irresponsabilité évidente que cela implique se trouve dénoncée par la plupart des députés, loyalistes compris. À ce propos, les politiciens réputés proches de Damas marquent vis-à-vis de l’opposition un point certain. En faisant valoir, non sans raison apparemment, que sans la Syrie, la situation politique de ce pays serait devenue rapidement incontrôlable à cause des disputes entre les dirigeants. Dans leur ensemble, les parlementaires ont mal réagi, mardi soir, aux propos de Hariri annonçant le report de la séance du Conseil des ministres à la semaine prochaine. Ils y ont trouvé une perte de temps préjudiciable à l’économie, dans la mesure où le budget 2004 doit être mis au point, discuté et approuvé dans sa mouture finale avant la fin de l’année en cours. Or, on est déjà pratiquement en novembre et le chemin à parcourir reste long, puisque le texte doit d’abord être examiné, passé au crible même, par les commissions parlementaires puis débattu, article par article, à la Chambre.
Pour en revenir au fond institutionnel, même les ultras loyalistes conviennent désormais qu’il faut revoir la Constitution issue de Taëf. Non pas, selon eux, pour hâter le retrait syrien, mais pour arrondir les angles entre les pouvoirs et mieux en huiler le fonctionnement. Ainsi que pour trouver une instance locale habilitée à arbitrer les conflits intérieurs, rôle que la Syrie assume à son corps défendant, selon ses sympathisants. Même ces derniers sont en effet un peu choqués que mardi soir l’on ait dû recourir au « téléphone de Anjar » pour arranger les choses.

Philippe ABI-AKL
Les chansonniers doivent s’arracher les cheveux. Le pouvoir leur ôte le pain de la bouche. En multipliant les sketches et les quiproquos involontaires. Mardi, Hariri et Samaha sortent annoncer que le Conseil des ministres ne se retrouvera pas avant la semaine prochaine. Pour que le CDR ait le temps de préparer les réponses aux questions posées sur les 110 milliards (de livres,...