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Interview exclusive à « L’Orient-Le Jour » de l’ancien directeur-général du Fonds monétaire international Michel Camdessus : « Quand on est à la tête du FMI, on n’est ni Dieu le Père ni Jupiter »(PHOTO)

Michel Camdessus n’est pas très loquace. Il est même connu pour éviter les journalistes. Aussi n’a-t-il pas été facile (merci Bernard Kouchner) de lui arracher l’interview dans laquelle il a été prié de faire le bilan de son mandat de 13 années passées à la tête du Fonds monétaire international. Un mandat turbulent, alors que le monde connaissait une ouverture sans précédent.
Treize années tumultueuses au cours desquelles M. Camdessus a été la cible de critiques pour son rigorisme envers les pays en développement auxquels il a souvent administré des remèdes sévères. On a accusé ses « programmes d’ajustements structurels » d’avoir augmenté la misère et la pauvreté dans les pays émergents. On l’a accusé d’avoir mis en priorité l’assainissement financier des États aux dépens du bien-être de la population.
Pourtant, Camdessus l’humaniste, le socialiste-chrétien, ne cessait de clamer haut et fort son attachement aux réformes et à la justice sociale.
Nul n’est prophète dans son pays. Cette formule s’applique parfaitement à l’ancien grand argentier de la planète, qui avait un jour dit à la presse : « Pour les Américains, votre humble serviteur est, bien sûr, un socialiste français, alors qu’en France, je suis un ultra néolibéral anglo-saxon et, en fait, un membre du cercle fermé de Washington. »

« L’extrême misère du monde et l’extrême parcimonie
des pays riches »
« Je ne cherche pas à me défendre, je n’ai pas d’états d’âme à ce sujet. » dit-il à L’Orient-Le Jour. « Quand on est directeur général d’une institution comme le FMI, on n’est ni Dieu le Père ni Jupiter, on est l’objet de toutes les critiques. » Et d’enchaîner : « Partant d’un état des choses qui est l’extrême misère du monde et l’extrême parcimonie des pays riches dans leur aide au développement, on est là pour trouver les moyens, les côtes mal taillées, de réduire tant qu’on le peut la souffrance des plus pauvres, mais on ne peut le faire qu’avec l’accord d’un conseil d’administration de 24 personnes qui représente le monde et qui détient la décision finale. » « Quels que soient mes désirs personnels, je n’avais qu’un pouvoir de proposition, le pouvoir de décision n’étant pas le mien. »
Mais ce n’était pas le volume des aides consenties par le FMI qui était insuffisant, mais les sacrifices demandés aux gouvernements par le Fonds monétaire international qui alimentaient la polémique. Les fameux ajustements structurels ont fait couler beaucoup d’encre.
« Là aussi je n’ai aucun état d’âme », répond-il avec humeur. Il avoue néanmoins que « des erreurs ont été commises, mais le FMI et la Banque mondiale ont évolué, et quand on parle des ajustements structurels aujourd’hui, on se réfère aux expériences malheureuses des années 70, sans tenir compte des changements qui ont été introduits pour tenir compte des évolutions des sciences économiques, du savoir et des expériences passées. Et mieux, trouver les formules qui concilient la médiocrité des moyens financiers et les besoins des gens ».
Visiblement irrité, il se dit prêt à examiner n’importe quel programme qui a été adopté à l’époque où il présidait aux destinées du FMI . « Je me rends compte avec plaisir que les dernières réformes que nous avions introduites dans les plans d’ajustements structurels destinés aux pays pauvres, dans le cas de la stratégie de réduction de la dette par exemple, sont actuellement soutenus, non seulement par l’ensemble des organisations internationales, mais aussi par une grande partie de ceux qui ont daigné les examiner. »
M. Camdessus rappelle qu’il a lui-même introduit ses réformes à partir de 1997, alors que les critiques continuaient à se référer à des expériences passées.

« Éviter la diabolisation des institutions multilatérales »
Sortant de sa réserve, il vilipende tout particulièrement la société civile, en particulier les ONG qui critiquent les organisations multilatérales comme le FMI, la Banque mondiale et l’OMC. Il s’insurge contre la « satanisation » constante de ces institutions, priant les ONG de ne plus applaudir leurs éventuels échecs à l’image du dernier sommet de l’OMC à Cancun. « On ne peut pas être à la fois aux côtés des pauvres et critiquer les institutions multilatérales, cet “archipel d’institutions” qui gravitent autour des Nations unies ».
Il s’est montré particulièrement irrité par les critiques du prix Nobel d’économie 2001 Joseph Stiglitz : « Qu’ils disent ce qu’ils veulent, et je n’ai absolument pas l’intention de perdre mon temps à me justifier devant ceux qui sont troublés par ce que dit Stiglitz. Qu’ils se demandent d’abord si ce qu’on dit est vrai, et ils verront ainsi que très souvent ce n’est pas le cas. »

La chute du Mur et la crise asiatique
De 1987 à 2000, Michel Camdessus a dirigé le FMI à une époque où le monde vivait au rythme de l’ouverture des pays de l’Est et de la Russie avec la fin du communisme.
Il rejette les reproches selon lesquels le FMI aurait privilégié la Russie : « Quand j’ai quitté le FMI, il y avait 80 pays liés à des programmes de cette institution. N’oubliez pas que je me suis aussi occupé de la crise asiatique de 1997. » Sur cette crise sans précédent qui a failli provoquer un véritable cataclysme financier mondial, Michel Camdessus réaffirme : « J’aurais voulu être architecte, j’ai trop souvent été pompier. » Un pompier qui a été obligé de voler au secours d’une légion d’États en détresse, mais qui, six ans après, n’en garde qu’un lointain souvenir.
Mais pourquoi la Russie ? « Parce que la chute du Mur de Berlin représentait un enjeu formidable pour l’équilibre du monde. Il était tout à fait normal que le monde se soucie d’un pays qui a apporté une telle contribution à la civilisation, et qui avait été réduit, pendant 70 ans, à une situation d’appauvrissement par le régime politique, le régime de guerre et de négation des droits des notions humaines que l’on sait. » « En effet, on s’y est mis autant qu’on a pu, avec les moyens limités que nous avions. Je regrette que la communauté internationale n’ait pas été plus généreuse à ce moment-là, mais, néanmoins, quand je regarde 10 ans après l’état de la Russie, je trouve que l’économie de ce pays croît actuellement entre 5 et 7 % par an. L’inflation a été réduite, l’économie de marché s’y développe. Il reste d’énormes problèmes, de corruption en particulier, d’insuffisance de l’appareil de gouvernance, mais c’est un pays qui, maintenant, vole de ses propres ailes et qui a remboursé la dette du FMI. »

La forteresse Europe
Sur un autre plan, M. Camdessus a été prié de s’exprimer sur la politique européenne actuelle.
Première puissance commerciale, l’UE adopte en effet une politique protectionniste décriée par les pays pauvres. Subventions agricoles, manque d’ouverture aux marchés des pays du tiers-monde, politique agricole commune… Autant d’anachronismes qui font de l’Union européenne une forteresse commerciale imprenable, avec 60 % des échanges qui se font à l’intérieur de l’UE, et seulement 40 % avec le reste du monde.
« Premièrement, nous ne sommes pas dans un monde idéal », affirme M. Camdessus, laconique. « Il ne faut pas oublier que l’Europe a aussi des paysans et que ce sont des êtres humains comme tant d’autres. Il faut les défendre en faisant en sorte que leur défense ne nuise pas aux paysans d’ailleurs, plus pauvres qu’eux. Et c’est à ce niveau qu’il y a un problème avec la PAC ». Et d’ajouter : « Je vous signale que l’Europe, à l’initiative de la France, a été à Cancun avec une proposition consistant premièrement à suspendre toute subvention agricole et, deuxièmement, à établir un régime de préférences pour les pays pauvres, qui soit élargi et homogénéisé pour l’ensemble des pays en développement. Car le système actuel est très complexe. Troisièmement, elle a proposé de rouvrir la discussion sur la stabilisation des prix des matières premières, un problème plus grave pour les pays pauvres puisqu’ils souffrent constamment de la volatilité des prix. » « L’échec de Cancun n’a pas permis de débattre de ces propositions et ceci est grave. »
Pourquoi la conférence de Cancun a-t-elle échoué ? « Il y a eu des maladresses dans la conduite des négociations et des imperfections dans la préparation de la conférence. Il y a aussi un problème d’inadaptation structurelle de l’OMC face aux problèmes commerciaux actuels. L’OMC a crû très vite, elle est passée d’une soixantaine de pays membres à beaucoup plus aujourd’hui. Les sujets sont devenus beaucoup plus complexes, et l’OMC ne les maîtrise pas assez. Et donc elle n’est pas bien équipée pour ces négociations. »
Mais l’échec de Cancun et les inégalités Nord-Sud ne semblent pas décourager Michel Camdessus. Pas plus que l’unilatéralisme de l’actuelle Administration américaine : « Je ne sais pas si je suis un pessimiste actif ou un optimiste passif, ce que je sais c’est qu’il y a eu des engagements de la communauté internationale lors des sommets (de l’Onu) de Monterrey, de New York, dit du Millénaire, et de Johannesbourg. On a donné notre parole et il faut la tenir ».

Propos recueillis par Roger BARAKEH

Les Libanais doivent respecter les engagements pris à Paris II

Prié de commenter la politique économique et financière du gouvernement Hariri après Paris II, Michel Camdessus se montrait peu loquace : « Je ne suis pas venu à Beyrouth pour parler de cela. J’ai été chargé par le président Chirac d’organiser Paris II et de faire en sorte qu’à cette réunion, le Liban soit servi le mieux possible. Je suis content du résultat que nous avons obtenu. »
Faisant référence au billet de notre collègue Sibylle Rizk, il déclare : « Dans les colonnes de votre journal ce matin j’ai constaté que lorsqu’on compare Paris II à d’autres opérations de financement international, cette réunion a apporté au Liban une réponse satisfaisante. » Et d’enchaîner : « Cela dit, Paris II n’était pas seulement une affaire d’argent, c’était aussi le soutien, par la communauté internationale, d’un plan de redressement du Liban présenté par le gouvernement de M. Rafic Hariri. J’observe que les financements se mettent en place, que les taux d’intérêt ont baissé, que les réserves de la Banque centrale se sont améliorées considérablement et que la confiance internationale dans le Liban s’est redressée. » Avant d’encourager le gouvernement Hariri de respecter ses engagements pris à Paris II : « Je souhaite de tout mon cœur que les Libanais maintiennent leurs efforts et qu’ils fassent toute leur part du programme d’assainissement financier et budgétaire auquel ils se sont engagés devant la communauté internationale », a-t-il ajouté, tout en se refusant à tout commentaire sur la politique appliquée par le gouvernement.

Un grand commis de l’État
Prototype du haut fonctionnaire formé dans la tradition de l’Administration française, Michel Camdessus et né le 1er mai 1933 à Bayonne, au Pays basque, dans une famille de la petite bourgeoisie catholique, pétri de fortes convictions chrétiennes-démocrates. Il sort de l’École nationale d’administration (ENA) en 1960 après avoir servi dans une unité de déminage pendant la guerre d’Algérie.
Sa carrière, résumée en quelques dates, n’est qu’une suite d’ascensions : il entre à la direction du Trésor en 1968, devient directeur adjoint du Trésor en 1974, puis directeur en 1982 après l’élection du président François Mitterrand, en qui il a souvent trouvé un soutien, sans jamais avoir été au Parti socialiste. En 1984, il devient gouverneur de la Banque de France, poste qu’il a conservé jusqu’à sa nomination, le 16 janvier 1987, comme directeur général et président du conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI). Le 22 mai 1996, le conseil d’administration du FMI lui confie à l’unanimité un nouveau mandat de directeur général du FMI, pour une troisième période de cinq ans commençant le 16 janvier 1997. Michel Camdessus quitte ses fonctions auprès du FMI le 14 février 2000.
Parmi les grands défis qui se présentent au FMI sous le mandat de Michel Camdessus, les crises financières du Mexique au début des années 80 et de l’Asie à la fin des années 90 furent les plus graves. Le FMI a dû monter des plans de sauvetage énormes, notamment un prêt de 60 milliards de dollars à la Corée du Sud.
Tout au long de son mandat, des critiques de gauche reprochent au FMI de négliger l’environnement, les droits des travailleurs et les besoins des pauvres, alors que les propos de M. Camdessus ne le faisaient guère apprécier parmi les conservateurs au Congrès américain pour qui l’argent donné par Washington au FMI serait mieux utilisé aux États-Unis mêmes. Ces conservateurs ont même reproché aux divers plans de sauvetage du Fonds d’encourager l’irresponsabilité des pays débiteurs.
En 2001, il est chargé par l’Onu de mettre en place un programme de financement mondial pour les investissements dans le domaine des infrastructures d’eau et d’assainissement.
Michel Camdessus préside actuellement les Semaines sociales de France qui sont « une sorte d’université populaire où tous les problèmes de la société et du monde contemporain, année après année, sont analysés et étudiés à la lumière de l’enseignement social-chrétien ». Il est aussi membre de la commission pontificale Justice et Paix au Vatican.
Marié et père de six enfants, il a une passion pour l’art moderne, pour l’humour, un sens aigu de la diplomatie et une réputation de grande discrétion dans ses rapports avec la presse.
Michel Camdessus n’est pas très loquace. Il est même connu pour éviter les journalistes. Aussi n’a-t-il pas été facile (merci Bernard Kouchner) de lui arracher l’interview dans laquelle il a été prié de faire le bilan de son mandat de 13 années passées à la tête du Fonds monétaire international. Un mandat turbulent, alors que le monde connaissait une ouverture sans...