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Séminaire - En coopération avec l’Union européenne et la Banque mondiale, une réflexion pour une meilleure gouvernance Georges Corm : Le secteur privé assume une grande part de responsabilité dans la corruption

Fidèle à sa réputation, l’ancien ministre des Finances, M. Georges Corm, a bousculé les idées reçues, faisant un diagnostic aussi nouveau que révolutionnaire sur la cause du désastre que vivent actuellement les régimes de la région. Et c’est le Lebanese Center for Policy Studies (LCPS) qui lui a fourni l’occasion de tenir un tel langage dans le cadre du séminaire qu’il organise sur les moyens d’« approfondir le dialogue pour une meilleure gouvernance au Moyen-Orient et en Afrique du Nord », en collaboration avec l’Union européenne et la Banque mondiale.
C’était la conférence d’ouverture et elle annonce un séminaire plein de surprises, en tout cas d’une réflexion profonde sur la gouvernance dans les pays de la région, et qui pourrait, comme l’a suggéré l’ambassadeur de l’Union européenne à Beyrouth, M. Patrick Renauld, produire des idées concrètes à transmettre aux autorités concernées.
M. Salim Nasr, directeur général du LCPS, a commencé par introduire l’idée même du séminaire, mettant l’accent sur les besoins et la demande de changement, dans les sociétés de la région, tout en s’interrogeant sur la question de savoir si le changement doit se faire de l’intérieur ou avec l’aide de l’extérieur, par le haut, ou par le bas ou grâce à une coopération entre les différentes composantes de la société, progressivement ou grâce à un seul choc. Bref, il a posé toute la problématique qui servira de base aux réunions d’aujourd’hui et de demain.
M. Omar Razzaz, directeur du bureau de la Banque mondiale au Liban, a insisté sur le rôle conjoint de l’État et de la société civile.
Mais c’est le Dr Georges Corm qui a réellement fait l’événement hier. Sa conférence plutôt axée sur l’économie, qui reste la clé du développement durable, a lancé une idée tout à fait nouvelle.

Les écoles, une antichambre
de l’émigration
Selon lui, c’est le secteur privé qui porterait la plus grande responsabilité de la situation actuelle, en refusant d’initier un changement, en encourageant la corruption et en ne créant pas d’emplois utiles.
Cela peut paraître choquant, mais le développement de l’idée montre une certaine cohérence. L’ancien ministre commence par préciser que l’économie est une politique nationale, englobant le double aspect social et législatif. Elle comporte aussi la notion de rendre des comptes aux citoyens, conformément à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme, que la plupart des responsables et des citoyens semblent avoir oublié.
Le Dr Corm expose ensuite certaines causes de l’absence de développement durable dans les pays de la région. Il y a bien sûr les régimes autoritaires ou semi-autoritaires qui permettent aux gens du pouvoir d’exploiter les richesses du pays. « Certains avancent aussi que l’islam et les structures tribales ne seraient pas favorables au développement de la démocratie », dit-il, avant d’évoquer la fluidité des classes sociales dans les sociétés arabes.
Selon lui, le développement durable se fait sur trois niveaux : le politique et le social, le culturel et l’éducatif, enfin l’économique et le financier.
Sur le plan politique, les régimes autoritaires qui contrôlent les ressources sont une entrave au développement, « mais il faut souvent leur ajouter une utilisation machiavélique de la religion. C’est ce qu’ont fait par exemple les Américains, dans la dernière phase de la guerre froide, afin de parvenir à vaincre l’URSS, donnant ainsi un contenu à la fameuse théorie du choc des civilisations, développée par M. Samuel Huntington ». M. Corm développe ensuite une idée qui lui est chère, selon laquelle l’Orient n’est pas condamné au sacré, puisqu’il était séculaire avant même que les autres parties du monde ne le deviennent.
Sur le plan de l’éducation, le Dr Corm estime qu’elle est rigide et traditionnelle et prépare les élites à l’émigration, au lieu de les aider à s’intégrer. « Les écoles et les universités ne sont plus que des antichambres de l’émigration », martèle l’ancien ministre. De plus, le système des valeurs est assez fermé. Il y a trois modèles de réussite : commerciale, militaire et religieuse. « On ne parle jamais d’un brillant ingénieur etc. », ajoute-t-il.
Le Dr Corm aborde ensuite le plan économique, tout en précisant qu’il est lié aux deux autres. Selon lui, le système actuel est basé sur une économie de rente, qui a créé de grandes richesses pour une catégorie déterminée, mais qui est loin de mener au développement. D’ailleurs, dans le monde arabe, l’investissement se fait essentiellement dans le domaine foncier, hôtels de luxe, centres commerciaux, mais aucun projet d’intérêt commun. Quelques grandes entreprises tiennent la production et les autres parviennent à peine à survivre, les syndicats sont marginalisés et les chambres de commerce et d’industrie sont des royaumes fermés.
Quant à la corruption, pour qu’elle puisse exister, il faut deux parties. Dans nos pays, le corrupteur est le secteur privé, qui préfère garder cette sorte de lien avec le secteur public, renforçant le clientélisme, pour servir ses intérêts. Le moyen de l’éviter serait de relever les salaires du secteur public, qui continuent à être très bas dans les pays de la région. « Une telle démarche ne peut intervenir qu’après avoir dégraissé le secteur public, souligne le Dr Corm. Mais pour cela, il faut que le secteur privé produise plus d’emplois. C’est sur ces thèmes que devrait s’établir un dialogue profond entre les secteurs privé et public. Mais la situation actuelle est rentable pour le secteur privé, puisqu’elle ne favorise pas la concurrence. Nous avions essayé de faire adopter des lois favorisant la concurrence, en vain. Dans notre région, le secteur privé n’est pas habitué à être concurrentiel. La mauvaise productivité entraîne le chômage, qui, à son tour, provoque l’immigration. C’est un véritable cercle vicieux. »
Pour s’en sortir, il faut toutefois adopter un processus progressif, insiste l’ancien ministre, tout en ajoutant que lorsque dans un pays la moitié des jeunes songe à l’émigration, c’est que la situation est très grave. Les participants au séminaire qui dure deux jours étudieront plus longuement ces idées nouvelles et échangeront leurs expériences, puisque le forum regroupe des experts du monde arabe, de l’Union européenne et de la Banque mondiale. Que du beau monde donc, et, peut-être, enfin, une réflexion efficace.

Scarlett HADDAD
Fidèle à sa réputation, l’ancien ministre des Finances, M. Georges Corm, a bousculé les idées reçues, faisant un diagnostic aussi nouveau que révolutionnaire sur la cause du désastre que vivent actuellement les régimes de la région. Et c’est le Lebanese Center for Policy Studies (LCPS) qui lui a fourni l’occasion de tenir un tel langage dans le cadre du séminaire...