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Actualités

Esprit de résistance

« Paris est un lieu d’où on voit le monde entier ». Cette phrase prononcée par Jean-Paul II lors de son voyage en France, en 1980, le patriarche maronite et beaucoup de Libanais de France peuvent la reprendre à leur compte. Le discours par lequel le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, a accueilli le chef de l’Église maronite au Quai d’Orsay en est une éclatante illustration. Avec tact, sans détours, mais non sans subtilité, le chef de la diplomatie française a rappelé au Liban ses engagements, notamment économiques. Les messages allaient pourtant dans plusieurs directions. Respect des échéances présidentielle de 2004 et municipales de 2005, respect des engagements financiers et économiques pris en novembre 2002 à Paris, ces messages généraux pourraient aussi s’adresser, selon une grille de lecture interne, au président de la République.
En invoquant les « relations privilégiées » avec la Syrie et le Traité de fraternité, de coopération et de coordination entre le Liban et la Syrie conclu en 1991, M. de Villepin semble aussi légitimer un traité, alors que le patriarche maronite l’a dénoncé comme allant à l’encontre du pacte national de 1943 par lequel chrétiens et musulmans tournaient chacun le dos à une puissance étrangère, pour bâtir ensemble une nation libanaise. Pourtant, à bien considérer le message, si M. de Villepin a évoqué ce traité, ce n’était pas seulement pour en souligner la légitimité aux yeux de la France, mais pour réaffirmer la souveraineté du Liban par rapport à la Syrie. Au moins à ce niveau, le message était double et s’adressait plus à la Syrie qu’au Liban.
Ce message rejoignait une petite phrase dans laquelle le patriarche affirmait que ce que le Liban attend, c’est que les Libanais chrétiens et musulmans renouent avec l’esprit du pacte national et disent une nouvelle fois oui à une décision indépendante.
De fait, s’il est vrai que des rapports historiques anciens et profonds lient le Liban à la Syrie, il est tout aussi vrai que la théorie des nationalités attache plus d’importance aujourd’hui à la volonté de vivre en commun qu’aux liens familiaux ou linguistiques traditionnels, qui n’ont que trop souvent été invoqués pour justifier des convoitises et des tentatives d’annexion.
Le pape polonais en sait quelque chose, lui dont le pays a longtemps été déchiré entre l’Allemagne et la Russie. Lors de sa visite en France, Jean-Paul II a rendu hommage à l’esprit de résistance dont les Polonais émigrés en France ont su faire preuve, durant les heures noires de leur vie nationale, « où son destin (à la Pologne) était en jeu, son être ou ne pas être sur la carte du monde ».
« Le peuple français, qui a toujours attaché un grand prix à sa propre liberté, sut être attentif aux autres, lorsqu’ils se trouvaient dans une situation difficile, dit Jean-Paul II dans le message adressé le 31 mai 1980 aux Polonais de France. Aussi, est-ce sur cette terre, dans une grande mesure, dans cette ville, que s’élaborait notre réflexion nationale qui fut en même temps une réflexion sur la foi (...). Ici renaissait moralement l’émigration, en approfondissant la conscience de sa mission, afin de servir la patrie. »
« La pensée de l’émigration, son activité créatrice (...) est un complément inestimable et nécessaire. Sans cela, sans cette voix, sans cet apport, c’est un élément essentiel qui aurait manqué à cette si complexe et difficile totalité. Et si la Pologne vit son existence propre, si elle a conservé sa culture, sa souveraineté et son identité nationale, la liberté spirituelle, si elle a sa place au monde, et si aujourd’hui, à Paris, capitale de la France, c’est un pape polonais qui vous parle, le mérite en revient également à tous ces hommes qui, avec la foi en la puissance des paroles du Christ : “L’Esprit donne la vie”, surent défendre et développer les valeurs humaines et divines qui sont le fondement de notre existence nationale et chrétienne ».
En adressant ces paroles aux Polonais de France, le pape songeait aussi « à ces foules (...) qui furent forcées de chercher du pain à l’étranger, ce pain que leur patrie ne leur avait pas donné ».
Comment ne pas trouver dans toutes ces paroles des résonances, et même des similitudes, avec les épreuves que vivent les Libanais, les dizaines, les centaines de milliers de Libanais qui constituent l’émigration, partis écœurés ou la mort dans l’âme, chassés du Liban par la misère, l’insécurité ou l’absence de liberté, privés de leur patrie, de leurs espoirs.
À tous ces Libanais de l’émigration, à tous les Libanais aussi, les mots du pape devraient résonner comme autant de paroles de consolation. À Paris, le patriarche Sfeir a eu, sans doute par inadvertance, un mot terrible. Il a déclaré que le Liban devait se féliciter qu’en dépit de l’instabilité régionale, il fasse l’expérience d’une certaine stabilité, « car il n’y a plus rien à embraser » au Liban.
Oui, notre pays est en cendres. Nous sommes dans l’après-guerre. Nous sommes dans un temps de réflexion, on peut même dire d’enfouissement. C’est un moment précieux qui doit être mis à profit pour mûrir le Liban de demain. Réfléchissons aux valeurs qui sont à l’origine de notre vie nationale. Valeurs humaines, qui ont été à la base du pacte de 1943, valeurs religieuses que chaque communauté a apportées avec elle, quand elle a consenti au Liban. Notre patrie renaîtra.
Fady NOUN
« Paris est un lieu d’où on voit le monde entier ». Cette phrase prononcée par Jean-Paul II lors de son voyage en France, en 1980, le patriarche maronite et beaucoup de Libanais de France peuvent la reprendre à leur compte. Le discours par lequel le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, a accueilli le chef de l’Église maronite au Quai d’Orsay...