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Communautés - Après un long conflit avec certaines parties iraniennes, l’uléma retrouve sa place d’autorité réformiste Mohammed Hussein Fadlallah ou l’émergence d’un chiisme arabe (photo)

Homme de dialogue, fervent partisan de l’unité, entre les chiites d’abord, puis entre les sunnites et les chiites, et même entre tous les humains, sayyed Mohammed Hussein Fadlallah s’impose comme une autorité religieuse incontournable de la communauté chiite, libanaise et internationale. Pendant des années, pourtant, son conflit avec certaines parties conservatrices iraniennes l’avait contraint à une sorte de profil bas. Mais depuis le retour sur la scène politique des chiites d’Irak, son prestige ne cesse d’augmenter, et le récent assassinat de son cousin, l’ayatollah Baker el-Hakim, l’a projeté sur le devant de la scène. Pourtant, égal à lui-même, le personnage refuse de se laisser entraîner dans les dédales de la politique politicienne. Son action se situe au-delà de ces considérations, sur le plan de l’esprit et de l’éducation. Et si son « royaume », comme disent certains de ses admirateurs, formé d’écoles et d’associations de bienfaisance, et d’écrits doctrinaires, s’étend partout dans la communauté, le dignitaire religieux ne compte toujours pas former un mouvement, se contentant d’être une autorité de plus en plus écoutée, qui milite pour un islam moderne.
Chaque jour qui passe montre encore plus son importance au sein de la communauté chiite. On l’avait dit, dans les années 80, « guide spirituel du Hezbollah », dans une tentative de réduire son rôle à la formation intégriste. Et, malgré ses démentis répétés, le titre lui est resté longtemps. Jusqu’à ce que les médias, intéressés par la question, découvrent l’ampleur de la guerre que lui mènent les autorités religieuses en Iran.
Formé à l’école doctrinaire de Najaf (Irak), sayyed Mohammed Hussein Fadlallah est aujourd’hui, avec l’ayatollah Sistani, la dernière grande figure de cette école, depuis que toutes les autres sont soit décédées, soit assassinées. Disciple, avec ses compagnons, de l’imam Khoï, sayyed Fadlallah a choisi de se lancer dans une vision réformiste et moderne de l’islam chiite, se mettant à dos tous les courants réactionnaires ou conservateurs. Aujourd’hui, avec l’émergence de la communauté chiite en Irak, étouffée pendant des années par un régime officiellement laïc, mais officieusement sunnite, sayyed Fadlallah prend une nouvelle dimension, redonnant à l’école de Najaf son aura dans l’univers chiite, face à l’école de Qom (Iran), qui n’arrive plus à suivre l’évolution du monde moderne.

Des élèves devenus
depuis des députés
Mohammed Hussein Fadlallah est donc rentré d’Irak en 1966. Il s’est d’abord établi à Nabaa (banlieue est de Beyrouth), où il a commencé à répandre ses enseignements, avec pour élèves des personnalités comme les députés membres du bloc du Hezbollah, Mohammed Fneiche et Mohammed Raad. Lorsqu’est apparu l’imam Moussa Sadr, avec le mouvement Amal, ils y ont adhéré, surtout pour faire avancer le courant musulman. Et lorsque le Hezbollah est né, ils en sont devenus membres. Fadlallah, lui, n’a jamais adhéré à un parti et un de ses proches s’étonne d’une telle question. « C’est comme si le pape devenait membre des FL », commente-t-il.
Comment est venue pourtant l’appellation « guide spirituel du Hezbollah » ? À ses débuts, dans les années 80, cette formation n’avait aucune structure reconnue et n’avait pas un commandement connu. Les médias, à la recherche d’un nom à mettre sur ce groupe jusque-là inconnu, ont trouvé celui de sayyed Fadlallah, d’autant que la mosquée de Bir el-Abed dans laquelle il prononçait ses prêches du vendredi était l’une des plus actives de la région, une sorte de vivier qui répandait le souffle de la résistance et qui a joué un grand rôle dans la lutte contre l’accord du 17 mai. Lorsque l’attentat contre le QG des Marines s’est produit, on l’a accusé d’en être l’instigateur, faute d’autres noms à avancer. Certes, Fadlallah ne pouvait condamner des actions de lutte contre une force « occupante », mais son rôle était surtout religieux et doctrinaire.
Pendant ce temps, le Hezbollah poursuivait dans le plus grand secret ses activités. Et ce n’est que le 16/2/85 que sayyed Ibrahim el-Amine est apparu pour lire le document constitutif du Hezbollah. Le 8 mars de la même année, une voiture piégée explosait devant le domicile de Fadlallah. Dans son ouvrage The Mask, le journaliste Bob Woodward attribue à William Casey, ancien responsable de CIA, les propos suivants : « Cet homme (Fadlallah) est devenu gênant. Il doit partir. »
Pourtant, à l’époque comme aujourd’hui, il n’avait rien à voir dans les questions sécuritaires. Son univers à lui, c’est celui de la doctrine et de la religion. Peu de gens s’en souviennent, mais en 1986, il avait publié un article dans la revue al-Moultaka dans lequel il critiquait le Hezbollah, se demandant s’il y avait un parti de la « oumma » ou si toute la « oumma » se résumait au parti.

En 1994, la rupture
avec les conservateurs
iraniens est officielle
Bref, les divergences de vues existaient depuis le départ, surtout que sayyed Fadlallah prônait un islam moderne contrairement à certaines figures de l’école de Qom desquelles relevait le Hezbollah. Le conflit est apparu au grand jour en 1994, lorsque Fadlallah s’est déclaré « autorité religieuse » et que ses écrits et ses fatwas ont commencé à se répandre dans le monde chiite. Certaines figures réactionnaires à Qom ne voyaient pas d’un bon œil l’émergence d’une autorité chiite arabe et elles craignaient que cela ne réduise leur influence dans cette région du monde, et notamment dans le Golfe où les chiites sont riches. Fadlallah n’est certes pas combattu par tous les religieux iraniens, mais certaines figures du courant conservateur, qui contrôlent d’ailleurs certains rouages de l’État, lui sont hostiles. Il aurait ainsi d’excellentes relations avec le président Khatami, qui s’inspire de ses ouvrages dans sa conception du dialogue des cultures, notamment. Mais Khatami a ses propres ennemis et son propre combat.
Fadlallah, lui, poursuit sa lutte pour un islam moderne, réussissant à conserver son indépendance, malgré les diverses propositions. En fait, il ne reçoit aucune aide financière d’un pays ou d’un parti. Mais il a réussi à bâtir un « royaume », avec son association des « mabarrat » et ses écoles, près de 14 au Liban et trois en Irak. D’où vient le financement ? Chez les chiites, il y a une taxe évaluée à 10 % des bénéfices annuels que tout homme doit payer à l’autorité religieuse qu’il reconnaît. Beaucoup payent ainsi à sayyed Fadlallah. Sans compter que jusqu’à leur mort, il était le représentant des imams Khoï et Khomeiny. (Aujourd’hui, c’est sayyed Nasrallah qui est le représentant de l’ayatollah Khaménéi).

Des centres
culturels en Irak
Dans son « royaume », Fadlallah refuse toutefois de faire de la politique. Seule la religion et son évolution l’intéressent. Même si ses ennemis le combattent férocement. Sur l’injonction des figures conservatrices de Qom, certains membres de l’ASRII (Assemblée supérieure de la révolution islamique irakienne formée en Iran et installée en Irak après la chute du régime de Saddam Hussein) lui ont mené une guerre sans merci. Pourtant, le chef assassiné de cette assemblée, Mohammed Baker el-Hakim, était un de ses cousins par sa mère, originaire de Bint Jbeil. D’ailleurs, l’ayatollah Baker el-Hakim s’était toujours gardé de le critiquer ouvertement et après son assassinat, Fadlallah a reçu les condoléances des fidèles.
Le sayyed est aussi très proche du parti al-Dawaa irakien et aide plusieurs centres culturels à Bagdad, à Najaf, à Sammara et à Karbala. Ses écrits sont étudiés dans les « haouza », mais il n’en tire aucune fierté. Son but, c’est de parvenir à renforcer le courant réformiste dans l’islam chiite et ses fatwas se veulent toujours proches de la vie des gens, dictées par un mélange de pragmatisme et de respect des dogmes. Il a ainsi autorisé les jeux de Pokémon, les jeux de cartes, le jeu d’échec, et appelé à un boycott des produits américains, lorsqu’on peut les remplacer par d’autres. Ainsi, il n’est pas question de renoncer aux ordinateurs, mais aux boissons gazeuses, puisqu’il y en a de fabrication iranienne notamment. Courageux, il a osé se prononcer sur un sujet que la plupart des ulémas évitent soigneusement : il a légitimé les opérations-suicide, estimant que les moujahidins ont le droit de se défendre face à l’occupant israélien, mais qu’ils ne doivent pas avoir pour objectif de tuer des civils. Il a aussi des positions très modernes au sujet de la femme. Quant à la situation en Irak, il rejette bien sûr l’occupation, mais laisse aux Irakiens la liberté de choisir comment lutter contre elle.
Le plus important reste toutefois son image d’homme de dialogue, entre les chiites, mais aussi entre les chiites et les sunnites et entre les chrétiens et les musulmans. Il a d’ailleurs beaucoup fait pour rapprocher les points de vues entre les Libanais. Et aujourd’hui, il est l’un des principaux artisans de la fameuse théorie du dialogue des cultures. Pour beaucoup d’observateurs, il est la figure chiite la plus habilitée à jouer un grand rôle. Mais les enjeux régionaux et internationaux pourraient compromettre cette destinée, même si la situation en Irak a réduit les pressions exercées par ses adversaires. Dans le monde d’aujourd’hui, on ne peut rester impunément indépendant.

Scarlett HADDAD
Homme de dialogue, fervent partisan de l’unité, entre les chiites d’abord, puis entre les sunnites et les chiites, et même entre tous les humains, sayyed Mohammed Hussein Fadlallah s’impose comme une autorité religieuse incontournable de la communauté chiite, libanaise et internationale. Pendant des années, pourtant, son conflit avec certaines parties conservatrices...