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Entretien - L’ancien député, membre fondateur de KC et du RD, répond aux questions de « L’Orient-Le Jour » Camille Ziadé : Le but de l’opposition ? Réconcilier les Libanais avec la véritable politique

Il avait perdu son strapontin place de l’Étoile, un soir d’août, il ne lui manquait qu’à peine 250 voix. Par frilosité, ont dit les uns ; parce qu’il se battait contre des « décideurs régionaux », contre le régime, contre l’argent, ont assuré d’autres. Tout cela n’a pas empêché Camille Ziadé d’être l’un des membres actifs du Rassemblement de Kornet Chehwane et du mouvement du Renouveau démocratique, que préside son ami Nassib Lahoud. Doublement contre, hors les murs du Parlement cette fois – contre le pouvoir en place et tous ses pôles –, il (se) prépare pour les échéances à venir en participant aux prises de décision de l’opposition, en tentant de faire en sorte d’en resserrer les rangs, d’en atténuer sa multiplicité. Et en répondant aux questions de L’Orient-Le Jour. Sans langue de bois.
Revenir au dimanche 14 septembre, tard en soirée, au moment de l’annonce des résultats de la partielle de Baabda-Aley. Comment l’opposition est sortie de ce scrutin ? « Avec un score important pour Hikmat Dib. Un score dont le noyau aura été le vote des aounistes, auquel il faut ajouter le vote de tous ceux – pas nécessairement des aounistes convaincus – qui refusent désormais la pratique des gens du pouvoir, le vote de ceux qui ont décidé de sanctionner les maladresses de Walid Joumblatt. » Hikmat Dib était donc le candidat de l’opposition ? « Pas vraiment, puisque nous ne considérions pas la bataille comme un duel entre un candidat loyaliste et un candidat de l’opposition. Mais je voudrais m’arrêter sur les abstentionnistes, les 80 % que ni Michel Aoun ni Walid Joumblatt n’ont su mobiliser. Ce taux est la manifestation d’une crise particulièrement profonde qui secoue le pays. L’image de la classe politique, toutes catégories confondues, est aujourd’hui dépréciée et dégradée. Et, surtout, les Libanais ne croient plus en l’alternance pour résoudre les problèmes, maintenant que les partis politiques ont perdu tout impact. » Le ministre de l’Intérieur avait également évoqué la désaffection des Libanais pour la politique, « politicienne » avait-il précisé, mais pour lui les 80 % d’abstentionnistes étaient bien plus intéressés, entre autres, par « la réforme du président Lahoud ». Vous êtes d’accord ? « Certainement pas. Mais j’avoue que c’est la seule chose qui a déridé les Libanais ce soir-là. »

Rechercher un nouveau langage
Quel est l’enjeu pour l’opposition aujourd’hui ? « La politique est en crise et les hommes politiques doivent chercher sérieusement un nouveau langage, une nouvelle manière de concevoir et de faire la politique, une nouvelle crédibilité, il faut arrêter la langue de bois. Et cette nouvelle manière de faire doit être la marque de fabrique de l’opposition. Ce n’est pas facile dans un pays beaucoup plus malade qu’on ne le pense. » L’opposition plus que plurielle peut réfléchir à un nouveau discours, une nouvelle attitude ? « Il faut que l’on resserre les rangs, que l’on renoue des alliances à l’intérieur de l’opposition – sachant qu’il est évident que l’opposition ne peut pas être unie. Si l’on ne réfléchit pas ensemble, nous aurons à subir les mêmes résultats, la même abstention. Or, la politique est essentielle. Trop de gens au pouvoir veulent détourner les Libanais de la chose politique pour qu’ils puissent “s’occuper” d’eux. L’opposition doit réconcilier les Libanais avec la véritable politique, celle au service de la chose publique. C’est une tâche primordiale, et elle doit être du ressort de l’opposition. »
Et Kornet Chehwane ? « La crise de KC est moins profonde qu’on ne le pense. Nous sommes tous d’accord sur l’essentiel, même s’il est difficile de trouver une unanimité entre une trentaine d’hommes politiques venus des quatre coins du pays. » Et vous comptez faire quoi ? À quand des listes communes du nord au sud, pour que l’opposition puisse remporter le maximum de sièges au Parlement ? « C’est ce que KC fera probablement, avec ses alliés. Cela est souhaitable, mais ça ne peut pas réussir partout. » Justement, quelle loi électorale préconisez-vous ? « Nous voulons quelque chose de clair. Ou une circonscription relativement petite avec un système majoritaire, ou bien, si la circonscription est moyenne ou grande, la proportionnelle. Pour éviter les “autobus” électoraux. »
L’opposition va se préparer pour la bataille électorale ? « Bien sûr. » Et pour la présidentielle, elle aura son mot à dire ? « Je ne sais pas. Mais cette échéance est très importante. Il est absolument nécessaire que les hommes au pouvoir changent, ce pays ne peut plus être gouverné tel qu’il l’est aujourd’hui. L’opposition peut contribuer à créer un climat propice, pour que les sujets soient proposés de la bonne manière. » C’est une question de personnes ? « Pas seulement. Mais si la présidentielle de 2004 va dans le bon sens, nous pourrions espérer un début de tournant – sinon, nous rentrons dans le mur. La présidentielle 2004 sera un point d’inflexion. Sachant que la priorité est de ne pas toucher à la Constitution : l’article interdisant toute reconduction a été rédigé sagement, et pas gratuitement. »

Rien n’est possible
sans réforme politique
Pensez-vous que la réforme initiée par Émile Lahoud soit possible sans réforme politique ? « Il ne peut y avoir ni réforme administrative ni réforme économique sans réforme politique. Cela est même impossible. » Quels seraient les gros titres de cette mutation politique ? « Un régime qui croit profondément dans les libertés publiques, qui croit en une vie parlementaire, démocratique, qu’il cesse de la subir comme un moindre mal. Cela passe également par une loi électorale juste, par une justice dépolitisée et par le recouvrement de la solidarité, de l’indépendance et de la libre décision du pays. » Pensez-vous qu’Émile Lahoud, Nabih Berry ou Rafic Hariri en soient capables ? « Non. Je ne pense pas que ceux qui nous gouvernent soient capables de prendre ce tournant au cours des quelques mois qui restent. » Voilà pourquoi Camille Ziadé ne croit pas en la réforme lancée par le chef de l’État. « La crise est trop profonde pour être réglée par ces mesures ponctuelles destinées à épater la galerie. D’ailleurs, le budget 2004 reflète cette crise de l’État et de la société libanaise. Il ne peut pas y avoir de budget sans réforme politique. Cette loi de finances est une opération comptable même pas réussie. Le déficit n’est pas seulement fiscal ou financier, il est essentiellement politique. »
« Les tiraillements entravent le processus de privatisations. » Hariri dixit. Vous êtes convaincu par les excuses du Premier ministre, qui tente de justifier une situation économique catastrophique ? « Elles ne sont absolument pas valables. Les divergences entre les deux présidents nuisent à la gestion politique du pays, et la responsabilité est partagée. Toutes les institutions sont responsables. » Est-ce que le Conseil des ministres joue son rôle ? « Non. À cause justement de ces divergences. » Et la Chambre ? « Non plus. Elle légifère au minimum, mais elle ne contrôle en rien l’action du gouvernement. »
Adnane Addoum et Michel Aoun sont au moins d’accord sur une chose : la justice libanaise « n’existe pas » pour le second, elle « n’est pas reconnue » pour le premier. Et pour vous ? « C’est excessif. Nous ne pouvons pas mettre dans la même catégorie tous les magistrats. Il y en a que l’on peut louer pour leur intégrité, leur compétence, leur indépendance. D’autres, très nombreux, s’exposent tous les jours par leur comportement moral ou professionnel à des critiques largement justifiées. » Vous êtes contre le procès que l’on veut intenter au général Aoun ? « Oui. Parce que je suis pour la liberté d’expression, et que cela fait 12 ans qu’on nous menace de preuves de sa dilapidation de fonds publics et que l’on n’a rien vu. » Et l’affaire des comptes du Hamas ? « C’est un signe patent qu’un problème essentiellement technique au départ – le fait que la BDL ait demandé une information – ait été politisé. » Tout cela parce que Riad Salamé et Jean Obeid sont présidentiables ? « Oui. »
Ziyad MAKHOUL
Il avait perdu son strapontin place de l’Étoile, un soir d’août, il ne lui manquait qu’à peine 250 voix. Par frilosité, ont dit les uns ; parce qu’il se battait contre des « décideurs régionaux », contre le régime, contre l’argent, ont assuré d’autres. Tout cela n’a pas empêché Camille Ziadé d’être l’un des membres actifs du Rassemblement de Kornet...