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Drame - Depuis la fin du mois dernier, le corps d’un chiffonnier attend à la morgue de l’hôpital Saint-Georges À 63 ans, Rizkallah Kahalé est mort de misère et de solitude

Rizkallah Michel Kahalé, 63 ans, chiffonnier, est mort le 27 juillet dernier dans son domicile situé au quartier Geïtaoui. Le rapport du médecin légiste a conclu au décès par arrêt cardiaque dû à la malnutrition. Depuis le 27 juillet dernier, le corps du malheureux attend à la morgue de l’hôpital Saint-Georges. Car jusqu’à présent, personne ne s’est présenté au commissariat pour prendre possession du cadavre.
Achrafieh, quartier Geïtaoui, rue Hobeiche. Rizkallah Kahalé – Razzouk pour les voisins – vivait dans un petit appartement au rez-de-chaussée d’un vieil immeuble. Il ne payait pas le loyer, le bâtiment étant la propriété de la Société Saint-Vincent-de-Paul. Il n’avait pas le téléphone. L’eau était coupée depuis plusieurs mois dans le petit appartement, Razzouk n’a pas pu assumer les dernières charges de la Compagnie des eaux de Beyrouth.
Hier, en plein jour, la lumière de la chambre où Rizkallah dormait était toujours allumée. Et la maison du malheureux était comme il l’avait quittée la dernière fois, comparable à une gigantesque benne à ordures.
C’est que Rizakallah Kahalé, né à Bourj-Hammoud en 1940 et originaire d’Achrafieh, était chiffonnier. Il ramassait les ordures, les triait chez lui et les revendait. C’est ainsi qu’il gagnait depuis plus d’une vingtaine d’années sa vie. Bien avant, selon les dires de ses voisins, Rizkallah était menuisier.
Il racontait à ceux qui s’intéressaient parfois à lui qu’il avait un frère habitant Dora, mais que ce frère ne voulait pas entendre parler de lui. Rizkallah était marié à une Jordanienne, Basma, qui ne vivait pas au Liban. Tous les deux ou trois mois, elle séjournait une quinzaine de jours chez lui pour regagner ensuite la Jordanie.
Les voisins n’ont pas pu retrouver le numéro de téléphone de l’épouse de Razzouk. Joseph, qui tient une lingerie en face de l’appartement où le sexagénaire habitait, rapporte que Rizkallah lui racontait souvent que « Basma venait pour lui soutirer de l’argent ». « Mais il était heureux quand elle était là, parfois il partait chez elle en Jordanie. D’ailleurs, c’est quand il est rentré que nous avons remarqué qu’il avait terriblement maigri », indique-t-il.
D’autres voisins se joignent à la conversation, racontent que Rizkallah était un homme solitaire, très discret, mais ni mentalement malade ni désaxé. Il n’avait jamais fait de mal à quiconque, n’avait jamais rendu visite à qui que se soit, n’avait jamais mendié. Il n’avait ni famille ni amis. Et les voisins le croisaient quand il partait ou rentrait du travail.
Joseph prend encore une fois la parole : « C’était un type normal, il ne faisait pas un noble métier certes. Mais il essayait de gagner sa vie, d’ailleurs quand il avait de l’argent, il se faisait plaisir en achetant une bonne bouteille de whisky. »
Comme les autres personnes du voisinage, Joseph est révolté. Choqué. Rizkallah est mort de solitude, de misère et de faim et il n’a pas pu intervenir. Quand il a su que Razzouk souffrait de malnutrition, c’était trop tard. Oui, le chiffonnier avait terriblement maigri, « il pesait à peine trente kilos et ressemblait aux sous-alimentés du continent africain », rapportent les voisins.
Tout au long du mois de juillet, Rizkallah Kahalé n’était plus sorti de chez lui. Et personne ne s’en était rendu compte. Ce n’est qu’à la dernière semaine du mois dernier que l’un des voisins a décidé de prendre une chaise pour pouvoir jeter un coup d’œil, à travers la fenêtre, sur la maison du malheureux.
Rizkallah était dans son lit, il ne pouvait pas parler ou bouger. La Croix-Rouge est intervenue, mais la porte de l’appartement était fermée à clé. Les FSI sont arrivées et l’ont transporté à l’hôpital Saint-Georges. Il y a passé quelques heures.
Ému, un responsable de l’institution raconte que toute l’équipe médicale était choquée par la maigreur du patient qui avait 63 ans mais qui en paraissait 100.
Aux urgences de l’hôpital, le malheureux a eu droit à plusieurs examens et à un bon repas. Il nous avait dit : « J’ai faim et j’ai soif », indique le responsable qui a requis l’anonymat, soulignant que Razzouk avait commandé encore un jus de mangue.
Avant de le raccompagner à la maison, les infirmiers ont rasé le patient, lui ont donné un bain et l’ont habillé de vêtements propres. L’équipe n’a même pas oublié de le chausser de bottes neuves. Une personne lui a même glissé 20 000 livres dans la poche. Razzouk mourra deux jours plus tard.
Céline, 19 ans, qui suit des études d’infirmière, a presque les larmes aux yeux. « J’ai mis ses papiers, notamment une nouvelle carte d’identité, dans le tiroir de la table de nuit. Il avait 20 000 livres en poche, je les ai aussi rangées, peut-être que sa famille, s’il en a, viendra les récupérer », dit-elle.
Céline, c’est la jeune voisine qui s’est occupée deux jours durant de Razzouk. Elle ne savait pas que le chiffonnier était malade. Elle le connaissait, mais n’était jamais entrée auparavant chez lui. « Quand il est revenu de l’hôpital, j’ai voulu m’occuper de lui. J’ai voulu même faire le ménage de l’appartement, mais on m’a dit qu’il fallait une permission du procureur général parce que Razzouk n’était ni un parent ni un ami », raconte-t-elle.
À deux reprises, au cours des 24 heures qui ont précédé la mort du malheureux, Céline lui avait donné à manger : un plat de « mjaddara » le soir, et du lait et des galettes à midi, le lendemain.
« Oscar et moi, on lui a changé ses draps et ses vêtements parce qu’il était incontinent », dit-elle, soulignant qu’ils étaient les seuls à être entrés dans le petit appartement, les autres voisins restant sur le pas de la porte. La maison n’était pas propre et son odeur était nauséabonde. « Quelques heures avant sa mort, je lui avait demandé s’il voulait aller à l’hôpital, il a tout simplement chuchoté : je veux mourir », raconte-t-elle encore.
Oscar, 26 ans, est boulanger. Quand il a su que Razzouk est rentré de l’hôpital et qu’il était malade, il lui avait rapporté une « mankouché » que le malheureux n’a pas mangée.
« Il fallait qu’on reste avec lui pour qu’il mange, dit Oscar. Il ne parlait pas, mais on lui avait demandé de nous fournir le numéro de téléphone de son épouse, il n’avait pas accepté de le faire. » Au fil de la conversation, on apprend que le jeune homme a habillé Razzouk de ses propres vêtements. « Que voulez-vous que je fasse, il fallait lui procurer des vêtements propres », dit-il simplement en se souvenant qu’il a eu un peu peur de porter et de changer le malheureux. « Il était terriblement maigre et fragile », explique-t-il.
À l’hôpital Saint-Georges, on indique que « si personne ne vient pour prendre possession du corps, une association de bienfaisance pourra s’occuper de l’enterrement ». L’on souligne encore que « le 25 juillet, quand Rizkallah Kahalé avait été transporté vivant à l’hôpital, l’institution a voulu intervenir et elle a effectué les démarches nécessaires pour le placer à l’asile ».
« C’était trop tard, indique encore le responsable qui a requis l’anonymat en se demandant : « Comment peut-on mourir, au XXIe siècle, en plein Beyrouth, de misère et de solitude ? »

Patricia KHODER
Rizkallah Michel Kahalé, 63 ans, chiffonnier, est mort le 27 juillet dernier dans son domicile situé au quartier Geïtaoui. Le rapport du médecin légiste a conclu au décès par arrêt cardiaque dû à la malnutrition. Depuis le 27 juillet dernier, le corps du malheureux attend à la morgue de l’hôpital Saint-Georges. Car jusqu’à présent, personne ne s’est présenté au...