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Le miroir brisé



On connaît la musique. On n’est jamais trahi que par les siens. France, 1943. Vingt-trois résistants fusillés, la plupart arméniens. Aragon, poète officiel du Parti communiste français, qui avait livré ces étrangers pour protéger ses réseaux, fait acte de repentance implicite en 54. Avec sa célèbre Affiche rouge, plus tard mise en musique et chantée par Léo Ferré :
Onze ans, que cela passe vite onze ans
La mort n’éblouit pas les yeux des partisans
Marie-toi, sois heureuse et pense à moi souvent
Quand tout sera fini plus tard en Erevan.
Onze ans, quand on n’a ni la gloire ni l’aisance d’un Aragon pour litière, c’est très long. C’est en 1992 qu’aux termes de Taëf le Liban aurait dû redevenir maître de ses destinées. Aujourd’hui, la belle au bois dormant se réveille. Pour une fois d’accord, les États-Unis et la France demandent le retrait syrien.
Qui l’eût cru ? Cadeau empoisonné, répliquent... les souverainistes du cru. En affirmant qu’il ne faut pas miser sur l’extérieur. Qu’il ne faut compter que sur soi.
Ce qui est la définition même de l’indépendance. À condition de l’obtenir. Et pour cela, de savoir d’abord qui on est, ce que l’on veut, où l’on va. Ce soi que l’on retient comme unique recours, il faut l’identifier. Dans quelle partie, dans quel parti, se reconnaître, même en limitant le regard à l’Est. Dans les Kataëb, défenseurs de la ligne nationale du pouvoir ? Dans Kornet Chehwane et Bkerké ? Combien de régiments ? aurait ricané Staline. Dans le PNL, qui annonce un proche départ des hôtes syriens, tout en ne croyant pas à l’engagement US ? Et j’en dirais, et j’en dirais, murmurait également l’inévitable Aragon.
De quelle logique procède la présente confusion des sentiments et des idées ? L’argument des sceptiques est que les States ne sont peut-être pas sérieux. Ils ne chercheraient qu’à faire pression sur la Syrie. Et si ce pays se montrait coulant, le nœud du même nom continuerait à enserrer notre pauvre gorge. Une répétition de la récompense octroyée à Damas en 91 pour sa participation à la première guerre du Golfe.
Ce raisonnement est défectueux à la base. D’abord parce qu’il s’appuie sur la méthode dite de l’analogie, alors que l’histoire ne repasse jamais les mêmes plats. Ensuite, et surtout, parce qu’il est fondamentalement contradictoire. Il confirme en effet, pour commencer, une évidence qui crève les yeux : le cas libanais relève exclusivement d’une décision extérieure, régionale et internationale. Et il prétend ensuite qu’il ne faut pas en tenir compte. En oubliant qu’en diplomatie, les mots ont un sens bien déterminé. Quand Washington dénonce l’occupation syrienne, quand Condoleezza Rice mais aussi Powell martèlent qu’il n’y a rien à négocier, la barre est trop élevée pour que l’on puisse parler de pression banale. De simple manœuvre tactique. Il s’agit bien de menaces. Il est très possible que Damas comprenne le message et décroche. Mais il est également envisageable que, fort d’un soutien libanais élargi à l’Est, par bienveillante neutralité, ou par défaut, il réussisse à rester. Et à ce moment, qu’est-ce qu’ils feraient, les magnanimes, regretter d’avoir raté le train et se remettre à pester ?
Jean ISSA
On connaît la musique. On n’est jamais trahi que par les siens. France, 1943. Vingt-trois résistants fusillés, la plupart arméniens. Aragon, poète officiel du Parti communiste français, qui avait livré ces étrangers pour protéger ses réseaux, fait acte de repentance implicite en 54. Avec sa célèbre Affiche rouge, plus tard mise en musique et chantée par Léo Ferré :Onze...