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Société - Dans un Liban en crise, une réception de noces pour 650 dollars Financer et organiser des mariages à crédit(photos)

Marier les couples à crédit. Dans un pays en pleine crise, il fallait y penser. Évidemment, depuis quelques années, les banques en ont lancé l’initiative, puis en octobre dernier, une entreprise spécialisée a vu le jour. À son actif – en l’espace de quelques mois –, une quarantaine de mariages contractés ou en vue.
Contrairement aux banques qui se contentent de verser de l’argent aux couples qui se marient, Easy Wedding – tel est le nom de l’entreprise – organise les réceptions de mariage, à l’instar de toutes les compagnies qui fleurissent ces derniers temps à Beyrouth. Elle offre un choix à ceux et celles qui veulent convoler, entre traiteurs, fleuristes, imprimeurs, restaurants, salles de bal, photographes, maquilleurs, joailliers, marchand de ballons, chanteurs et danseurs de zaffé. Et on en passe. L’entreprise a déjà organisé des mariages d’un coût variant entre 22 000 dollars et 650 dollars, le tout payé à crédit selon les capacités du couple.
Les frais du dernier mariage – celui qui a coûté 650 dollars – seront échelonnés sur un an. Et le couple, qui travaille dans une boulangerie, n’a pas eu besoin de toute la somme prévue : il a réussi à économiser cent dollars utilisés après les noces.
Cinq-cent-cinquante dollars donc ont servi à couvrir les frais de la location de la robe de mariée et de la salle de réception, du coiffeur, du maquilleur, du photographe et des boissons rafraîchissantes offertes aux invités.
Il faut dire que toutes les cérémonies de mariage ne sont pas aussi modestes et tous les couples ne sont pas aussi raisonnables.
Easy Wedding a marié des couples venus d’horizons divers : des garagistes, des coiffeurs, des employés de banque, des secrétaires de direction, des ingénieurs, des dentistes, des médecins...
L’idée d’une telle compagnie a germé, il y a quelque temps, dans la tête d’André Anhoury. Et il a chargé deux femmes, deux sœurs, dynamiques et accueillantes, de s’occuper du reste : Régina Azzam qui avait détenu un poste dans une importante entreprise spécialisée, entre autres, dans les décorations florales et Liliane Turquieh, qui était chargée des relations publiques d’une grande compagnie.
Les deux femmes sont mariées depuis longtemps ; elles ont des enfants et l’une d’elles, Liliane, est grand-mère.
D’ailleurs, dans les locaux sobres de l’entreprise, située à l’hôtel Promenade, à Zalka, quatre photos de couples sont affichées. « Quatre générations de notre famille : de nos grands-parents, qui ont convolé à l’aube du XXe siècle, à mon fils, qui s’est marié il y a quelques années », indique Liliane.
C’est Régina qui explique le fonctionnement de l’entreprise : « Les couples qui veulent se marier viennent chez nous pour les crédits. Nous faisons appel à des entreprises ou des banques pour alimenter ce crédit, et ce après avoir vérifié la capacité de ces personnes à rembourser la dette. Ensuite, nous aidons les couples, selon leurs possibilités, à choisir les diverses entreprises ou personnes qui seront impliquées dans la cérémonie. Nous leur présentons une liste des divers spécialistes (fleuristes, traiteurs, photographes, compagnies de location de voitures, joailliers, boutiques de robes de mariée, de lingerie et de linge de maison...) avec la fourchette de prix pour chacun, et c’est au couple d’établir le contact et de choisir », explique-t-elle, soulignant que dans ce cadre, « nous ne sommes pas comme les organisateurs de mariages qui s’occupent de tout sans impliquer les futurs époux dans la cérémonie ».
Liliane renchérit : « Même si nous sommes une entreprise qui s’occupe principalement du financement interrogeons le couple qui vient nous consulter sur ses préférences ; ensuite, on essaie d’arranger les choses selon les moyens de chacun. »
Liliane et Régina parlent de ces couples qui visitent les locaux aux couleurs pastel de l’entreprise, à Zalka : ils sont amoureux, ils se connaissent depuis longtemps mais ils ne parviennent pas à se marier parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Qu’ils soient ingénieurs, employés de banque, secrétaires ou coiffeurs, modestes ou nantis, ils viennent d’un milieu traditionnel. « Beaucoup d’entre eux n’acceptent pas le fait de placer leur liste de mariage dans une banque par exemple, même s’ils ont besoin d’argent pour financer la cérémonie », indique Liliane.
Les deux femmes parlent avec beaucoup d’enthousiasme des couples qui font appel à Easy Wedding, se souviennent avec attendrissement des réactions et des demandes de chacun et chacune. Celui qui téléphonait trois fois par jour afin de vérifier que tout se passera bien le jour J, ou encore celle qui a tout quitté – même un fiancé riche – pour épouser à crédit, quinze ans plus tard, l’amour de ses vingt ans. Ce dernier était parti à l’étranger sans donner de nouvelles. Il a fait irruption, après de longues années d’absence, dans la vie de celle qui était, quinze ans plus tôt, sa jeune dulcinée.
Le métier exercé par Régina et Liliane est loin d’être déplaisant. « Notre clientèle est formée de gens qui s’aiment mais qui ne parviennent pas à se marier parce qu’ils n’ont pas les moyens d’organiser une cérémonie », indique Liliane. « Que de couples ont avancé la date de leur mariage quand ils ont su qu’ils pouvaient organiser la cérémonie à crédit ! » s’exclame-t-elle. « D’ailleurs, ils se préparent à l’événement depuis des mois, voire des années, en attendant de pouvoir financer une réception. Ainsi, des jeunes filles achètent de la lingerie fine et du linge de maison qu’elles n’utilisent pas en attendant le jour J dont la date n’est pas fixée, ou encore des couples de fiancés contractent un crédit auprès de la Banque de l’habitat pour acheter une maison, qui reste inhabitée. Ces couples espèrent une amélioration de leurs finances pour se marier à l’église ou devant le cheikh », ajoute-t-elle.
« De plus, nous avons beaucoup appris sur les us et coutumes de toutes les communautés religieuses du pays », relève Liliane.
Dans ce cadre, il semble que les couples musulmans sont les plus réalistes. Ils se contentent de ce qu’ils ont et dépensent selon leurs moyens. Les plus modestes louent une salle, font appel à un DJ pour la musique, annulent le dîner et optent pour des rafraîchissements non alcoolisés.
Les druzes, qui veulent préserver leurs traditions, peuvent faire des mariages très simples et très beaux : dans chaque village, la communauté met gratuitement à la disposition du couple une salle de réception. Les nouveaux mariés paient uniquement les frais du jus, du baklawa et du chocolat.
La palme d’or du show-off revient aux chrétiens. Il paraît que même les couples les plus modestes rêvent des meilleurs traiteurs, maquilleurs et coiffeurs. Ce sont surtout eux qui tiennent à allonger la liste de leurs invités...
De plus, plus le couple est instruit, moins il dépense de l’argent emprunté pour les futilités d’une réception. Il profite autrement du crédit, notamment en optant pour un voyage de noces.
Faut-il un salaire minimum ou maximum pour bénéficier des crédits octroyés par l’entreprise ? « Nous avons financé et organisé le mariage de couples dont le revenu mensuel ne dépasse pas les 700 dollars, et celui de couples qui atteignent un revenu fixe frisant les 5 000 dollars par mois », indique Régina, rappelant que la dette contractée est toujours proportionnelle au montant du revenu.
Ainsi, l’entreprise est capable d’organiser au choix, selon les moyens et les souhaits des intéressés, un vin d’honneur au salon de l’église ou un dîner assis dans un hôtel quatre étoiles de la capitale ou de sa banlieue.
Actuellement, Easy Wedding offre un package à 3 200 dollars, incluant la location de la robe, de la voiture et de la salle, le DJ, les photos et la vidéo, le vin d’honneur, les cartes d’invitation et les arrangements de fleurs. Pour 4 000 dollars, les nouveaux mariés peuvent offrir à leurs invités un cocktail sucré-salé.
L’entreprise, unique au Liban, qui a réussi à organiser une réception de mariage à crédit pour 650 dollars, projette dans un futur proche de marier des couples qui comptent dépenser à crédit cent fois plus pour la même cérémonie.
Pour cela, comptez sur l’énergie et le savoir-faire de Régina Azzam et de Liliane Turquieh.

Patricia KHODER
Marier les couples à crédit. Dans un pays en pleine crise, il fallait y penser. Évidemment, depuis quelques années, les banques en ont lancé l’initiative, puis en octobre dernier, une entreprise spécialisée a vu le jour. À son actif – en l’espace de quelques mois –, une quarantaine de mariages contractés ou en vue.Contrairement aux banques qui se contentent de verser...