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Actualités

Opinion Les défis du mouvement étudiant


Un tournant dans l’histoire n’est pas nécessairement un événement qui, au moment même, a eu un impact considérable. Il s’agit d’un changement qui a des conséquences à long terme sur une situation précise.
L’année 1998 a été un tournant dans l’histoire du Liban, vu sous l’angle estudiantin. C’est l’année où l’on a vu naître une nouvelle forme de lutte, un des combats les plus durs mais aussi des plus purs, celui du mouvement étudiant né de l’après-guerre. Quatre-vingt-dix-huit a été la victoire d’un Liban sur un Liban, du Liban retrouvé sur le Liban consterné.
Certes, l’occupation dure toujours, mais notre combat n’est pas téléologique. C’est un combat tout simplement, c’est-à-dire qu’il risque d’être perdu. Mais cela ne veut pas pour autant dire qu’il ne mérite pas d’être mené. Car gagner est important. Mais l’essentiel est d’abord de croire en cette lutte. Et c’est de cette conviction que sortira la détermination jusqu’à la victoire.
Les forces du bien ne triomphent pas toujours des forces du mal. Il faut que nous en soyons conscients.
Qu’avons-nous fait ces derniers mois ? Où en sommes-nous aujourd’hui ? Le repos du militant ? Peut-être, pourvu que l’on n’ait annoncé, avec quelque prémonition, une sorte d’essoufflement par exemple. Sommes-nous écœurés du trop de sang versé ? La douleur des matraques est encore vive. Mais pourquoi ce recul ? Il semble que nous tergiversons. Arrivés à un point de non-retour, surtout après avoir fait de la prison au nom de la liberté, nous sommes aujourd’hui comme confrontés à une impasse. Toujours la même idée nous revient à l’esprit : que faire ? Après tant d’engagement, nous ne pouvons plus abandonner. Et nous nous devons de continuer. Une fois la lutte entamée, il faudra la mener jusqu’au bout. Nous pêcherons, sinon, par réticence et nous sombrerons inexorablement dans l’avant 98, c’est-à-dire dans l’abîme et le désespoir. Malgré l’émigration massive des jeunes, le mouvement s’est lancé en improvisant, sans retenue mais non sans résultats, sur le front de la liberté. Un mot-clé a été prononcé : la spontanéité.
La conscience et la mémoire collectives retiendront, parmi les chamboulements politiques du système issu de Taëf, notre action. Mais cela ne nous empêchera pas de faire de l’autocritique.
Le mouvement est en crise. Feu le mouvement étudiant ? Non, mais il est en crise d’identité d’abord. Qui sommes-nous ? On écrit souvent : les étudiants. La généralisation est bien sûr tentante et facile, dans le sens où elle simplifie les choses. L’irruption du mouvement sur le devant de la scène a été pour beaucoup une surprise. On a bien vite braqué les projecteurs sur lui à des fins qui ne relevaient pas du pur désintéressement. De là à voir dans ce mouvement une unité, plus postulée que vraiment constatée, il y n’avait qu’un pas, vite franchi par les familiers de l’amalgame.
Notre milieu n’est pas politiquement homogène. Il y a d’abord le courant souverainiste composé des vieux partis chrétiens : Parti national libéral, base Kataëb, Forces libanaises, Bloc national. Dans le même camp souverainiste, l’on retrouve le Courant patriotique libre. Il y a aussi les islamistes, Hezbollah en tête, la gauche regroupant des partis socialistes et populaires comme l’Organisation des jeunes progressistes (du PSP), le Mouvement du peuple, et les inconditionnels de la Syrie comme le Baas ou le PSNS. La liste risque d’être longue. Mais il y a aussi d’autres clivages ou d’autres faux clivages : droite gauche, indépendants partisans, des binômes que l’on associe souvent, mais qui sont loin de refléter une réalité. Ainsi, la jeunesse libanaise n’est pas uniforme.
Dans une perspective estudiantine, la première tâche de celle-ci consistera donc, en toute logique et loin des passions collectives, à rapprocher les points de vue. Nous disons rapprocher et non unifier car la démocratie, c’est avant tout la diversité. Et il n’y a pas de mal à cela. Tout le salut libanais s’est exprimé dans sa richesse pluriculturelle. La nécessité impérieuse sera donc d’œuvrer sur une plate-forme commune pour jeter les bases d’une véritable reconstruction nationale et du rétablissement des tissus sociaux. Le premier enjeu réside dans le dialogue. Et le dialogue devra être sincère. Ce sera notre arme fatale contre l’autocratie, la militarisation du régime. Mais l’entreprise s’avère périlleuse, la nuit du 7 août 2001 vient cruellement nous le rappeler. La répression étatique avait été la virulente réponse à la réconciliation dans la Montagne. Aussi le dialogue ne devra surtout pas être unilatéral, avec des concessions à la charge d’une seule partie. Le dialogue sera à double sens ou ne sera pas. Nous sommes intransigeants sur ce point.
Peu de fois les Libanais ont sérieusement dialogué. Il y a dans ce constat tout le scandale du monde : la guerre a mobilisé plus que la paix. Le dialogue est l’authentique pari de la nation libanaise, sa raison d’être. En cela, la nation n’a pas droit à l’échec. Si jamais elle échoue, ce n’est pas le pari en soi qui est perdu, mais ce sera elle qui aura été responsable de l’annihilation.
La diversité culturelle est à double tranchant, elle peut dégénérer en un déferlement de violence, comme elle peut servir de leçon de tolérance dans un monde plus que jamais confronté au dialogue des cultures. Entre la bêtise et le bonheur il n’y a qu’un pas à franchir.
Le mouvement étudiant est ensuite en crise d’organisation. On ne fait que de l’événementiel, c’est-à-dire qu’on vit au jour le jour, au rythme de journées à thèmes, de conférences, de débats... Bref au rythme d’événements auxquels on ne pourrait renoncer car ils contribuent d’une façon ou d’une autre à un éveil politique. Mais ces événements ne sauraient à eux seuls constituer l’armature de notre combat, son essence. Ils ne sont que son accessoire. La presse universitaire se développe. Les manifestations sont elles aussi autant un outil redoutable, la rue étant devenue le dernier espace où l’on peut encore exprimer clairement nos doléances et faire entendre nos revendications.
L’important reste de créer une véritable infrastructure étudiante, comme celle des amicales et des fédérations estudiantines, mais avec une plus forte institutionnalisation : des bureaux internationaux pour établir de précieux contacts avec les étudiants libanais à l’extérieur, des bureaux visant à proposer des projets de lois comme la réforme du service militaire, la carte d’étudiant, ou plus ambitieux, l’unification des statuts personnels, et enfin des bureaux de relations publiques.
La rupture avec l’événementiel aveugle devra faire converger nos efforts vers une meilleure organisation dans les universités, en créant des organes infra et supra-universitaires et en « politisant » davantage les élections estudiantines, c’est-à-dire faire en sorte que les candidats proposent de véritables programmes sociaux et politiques.
La troisième crise que connaît le mouvement est celle du vide intellectuel.
L’université est le cadre de prédilection d’une vie réfléchie. Mais la réflexion dans les universités locales se penche uniquement sur l’académique. Pallier ce vide, c’est orienter la réflexion vers le politique. C’est engager la réflexion académique : la « résistance culturelle », chère au père Abou. Il est illusoire de vouloir faire de la science pour la science, de rechercher l’idée pour l’idée. Le devoir intellectuel de l’étudiant sera de prendre position sur chaque situation, de s’estomper individuellement au profit de la collectivité, d’ériger en vertu démocratique la participation réfléchie aux affaires de la Cité et de penser le Liban de demain.
Amine ASSOUAD
Étudiant en droit à l’USJ
Un tournant dans l’histoire n’est pas nécessairement un événement qui, au moment même, a eu un impact considérable. Il s’agit d’un changement qui a des conséquences à long terme sur une situation précise.L’année 1998 a été un tournant dans l’histoire du Liban, vu sous l’angle estudiantin. C’est l’année où l’on a vu naître une nouvelle forme de lutte,...