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Dossier régional - Restauration d’Israël, retour de l’imam caché, règne du Christ La guerre contre l’Irak et ses enjeux religieux

Il y a plusieurs manières de suivre la guerre contre l’Irak. On peut la suivre militairement, sur le théâtre des opérations, comme on peut la suivre dans les esprits. Et là, elle est encore plus inquiétante que sur le terrain. La guerre contre l’Irak est en effet davantage un choc frontal entre deux civilisations étroitement identifiées à deux religions, le christianisme et l’islam, qu’un clash entre deux interprétations chrétiennes, fondamentaliste et catholique, des fins dernières, notamment la restauration d’Israël sur sa terre et le second avènement du Christ. Paradoxalement, le second choc a notamment pour fonction d’amortir le premier. Par ailleurs, bien au-delà de la simple neutralisation politique et militaire de l’Iran, de la Syrie ou du Hezbollah, et en dernière analyse bien au-delà de l’avenir de la Palestine, la guerre contre l’Irak paraît être aux yeux de beaucoup d’Arabes, pour lesquels les États-Unis sont inséparables d’Israël, une guerre pour le contrôle de Jérusalem et de la Terre sainte... et celui de l’imaginaire des peuples. Un contrôle où se recoupent, momentanément du moins, les intérêts du sionisme et d’un messianisme chrétien d’inspiration fondamentaliste protestante. Ce qui n’aurait pas eu beaucoup de conséquences si ces intérêts n’avaient réussi à s’infiltrer jusqu’au bureau Ovale pour infléchir la politique de la première puissance mondiale. Le sujet paraît être compliqué de prime abord. Pourtant, il n’est pas difficile d’y entrer, car ce domaine a été défriché depuis un certain temps. La publication d’ouvrages sur les rapports entre les prophéties bibliques sur la restauration d’Israël et la politique ne date pas d’aujourd’hui. En fait, dans les Églises protestantes, notamment anglicane, ce thème est l’objet d’analyses passionnées depuis le XVIIe siècle anglo-saxon d’Oliver Cromwell. Ce qui est nouveau, par contre, c’est la généralisation de la prise de consience de ce rapport par les élites politiques musulmanes arabes, après les attentats du 11 septembre. On peut le constater par le mouvement de traduction des ouvrages portant sur la question, où Mohammed Sammak s’est notamment illustré, ou comme le reflètent les discours politiques d’un Hassan Nasrallah, d’un Walid Joumblatt ou d’un Mohammed Hussein Fadlallah. Sur le plan événementiel, la dimension religieuse peut paraître secondaire, surtout au regard des intentions déclarées des dirigeants américains, qui font de leur mieux pour désamorçer cet aspect du conflit. Toutefois, il serait imprudent de négliger ce qui se passe dans les esprits des stratèges. La création d’Israël De quoi s’agit-il ? Indépendamment de la lutte contre le terrorisme ou de la volonté d’instaurer un modèle démocratique, trois thèmes majeurs peuvent être distingués dans la dimension religieuse du conflit : la création d’Israël sur « sa terre », comme accomplissement d’une prophétie biblique, la seconde venue du Christ, comme prophétie eschatologique et l’intervalle entre ces deux événements, dont le premier est comme le garant de l’autre. Pour l’école fondamentaliste évangélique à laquelle appartiennent des proches du président George Bush, comme le pasteur Pat Robertson ou le pasteur Jerry Falwell, le peuple juif est toujours le « peuple élu », en dépit de l’existence de l’Église. De même, la naissance de l’État d’Israël est l’accomplissement d’une prophétie biblique dont les sources existent aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, notamment dans la Lettre aux Romains de saint Paul. Cette restauration ne doit pas être remise en question, au contraire. Chez des auteurs évangéliques populaires comme Hal Lindsey, dont l’ouvrage The Late Great Planet Earth a été un grand best-seller, cette restauration, pour être complète, doit s’accompagner d’événements symboliques comme la reconstruction du Temple de Jérusalem, rasé par les Romains en l’an 70 et sur le site duquel s’élève aujourd’hui le Masjid al-Aqsa, la Grande Mosquée, second plus important sanctuaire musulman, après la Kaaba. Au demeurant, le scénario prévu par Hal Lindsey est digne d’un film de science-fiction, et prévoit notamment, après la reconstruction du Temple de Jérusalem, une bataille homérique en terre de Palestine, à Armaguedon, où les ennemis d’Israël se seraient rassemblés pour un assaut final sur Jérusalem, et qui serait conclue par l’utilisation de l’arme atomique. Le scénario prévoit aussi un règne de mille ans du Christ, avant la fin du monde et le Jugement dernier, d’où la doctrine dite du « millénarisme ». Cette restauration défendue par les fondamentalistes évangéliques concorde évidemment avec les intérêts compris du sionisme. Les dirigeants israéliens l’ont compris, qui ont déclaré Jérusalem capitale éternelle de l’État d’Israël, ce qui illustre parfaitement l’importance de la charge affective et religieuse que les juifs, même les plus sécularisés et antireligieux, accordent à Jérusalem. Mais pour les fondamentalistes évangéliques, le rétablissement d’Israël ou la reconstruction du Temple ne sont pas des objectifs en soi. Le but n’est pas tant de flatter le nationalisme juif que de réunir les conditions d’une conversion collective, nationale, d’Israël à la religion chrétienne – et non pas nécessairement à l’Église. La reconnaissance de Jésus comme étant le Messie attendu par les juifs est l’intérêt primordial que les fondamentalistes évangéliques trouvent dans le rétablissement d’Israël. Il faut répéter à ce stade que ces idées ne sont pas nouvelles, mais qu’elles font leur chemin depuis longtemps dans la conscience des Églises protestantes, comme aussi dans l’esprit d’une partie du peuple américain, dont font partie le président George Bush et le cercle rapproché de ses conseillers. L’historique de la création aux États-Unis des Missions protestantes pour l’évangélisation des juifs, au XIXe et au XXe siècle l’atteste fort bien, comme le démontre un ouvrage en cours de traduction. On voit très bien comment le sionisme a trouvé son compte dans ce messianisme protestant, et comment à son tour ce messianisme a endossé sans remords le sionisme, chacun estimant utiliser l’autre pour parvenir à ses propres fins. Le point de vue de l’Église catholique Il va de soi que ces points de vue ne sont pas du tout partagés par l’Église catholique, qui se garde de toute interprétation littéraliste des prophéties bibliques et surtout de toute prétention « d’accomplir dans l’histoire l’espérance messianique ». Car à travers le rétablissement d’Israël, les fondamentalistes préparent en fait le triomphe de l’Église et prétendent « hâter le retour du Christ », par des moyens humains et historiques. La désapprobation de l’Église catholique à cet égard ressemble plutôt à une méfiance radicale à l’égard de ce qui pourrait se révéler être « une imposture ». Voici ce qu’écrit le Catéchisme de l’Église catholique, au sujet de l’interprétation littérale du « règne de mille ans » dont il est question au chapitre 20 de l’Apocalypse : « Cette imposture antichristique se dessine déjà dans le monde chaque fois que l’on prétend accomplir dans l’histoire l’espérance messianique qui ne peut s’achever qu’au-delà d’elle, à travers le jugement eschatologique » (676). « L’Église a rejeté cette falsification du Royaume à venir sous le nom de millénarisme, surtout sous la forme politique d’un messianisme sécularisé intrinsèquement pervers », écrivait au XIXe siècle Pie XI dans son encyclique Divinis Redemptoris. Pour la plupart des théologiens, le « règne de mille ans » se réfère à une période de grâce d’une longue durée où l’Église sera aimée et écoutée. « Le Royaume ne s’accomplira donc pas par un triomphe historique de l’Église selon un progrès ascendant », écrit encore le Catéchisme de l’Église catholique (677). La Bible de Jérusalem écrit enfin en note, au chapitre 20 de l’Apocalypse : « Un important courant de la tradition primitive a interprété littéralement ce verset; après une première résurrection réelle, celle des martyrs, le Christ reviendrait sur terre pour y régner mille années en compagnie de ses fidèles. Ce millénarisme littéral a été désapprouvé par l’Église. » Certains ont vu dans les points de vue contradictoires des fondamentalistes protestants et de l’Église catholique les raisons profondes de l’opposition de l’Église catholique à l’aventure américaine en Irak. Disons plutôt qu’il s’agit de l’une des raisons de cette hostilité. Beaucoup estiment que c’est pour protéger les chrétiens vivant dans le monde arabe contre un clivage islam-christianisme que Jean-Paul II a si violemment désavoué l’équipée militaire de George Bush en Irak. Mais cette désapprobation n’est certainement pas uniquement tactique. Entre les scénarios apocalyptiques de Hal Lindsey et Jean-Paul II, il ne pouvait y avoir de juste milieu. D’où les accents passionnés du pape et de ses proches mettant en garde contre le conflit en Irak et la guerre en général, considérée comme « une défaite pour l’humanité ». Il n’est pas exclu non plus que le pape ait entrevu les conséquences catastrophiques de l’utilisation de la religion comme facteur de division entre les États, et redouté les violences à l’échelle planétaire qui pourraient opposer un islam et un christianisme qui cohabitent désormais dans les trois quarts des pays du monde, aussi bien en Indonésie, en Irak ou en Égypte, que dans des pays comme la France et les États-Unis. Dans le monde musulman Dans l’islam, on se montre extrêmement sensibles aux convictions religieuses des doctrinaires de la Maison-Blanche et du Pentagone, et l’on pense que ces convictions dictent une bonne partie des décisions prises par l’Administration Bush, notamment à l’égard d’Israël, mais aussi en ce qui concerne toute la région du Moyen-Orient et bien entendu de l’Irak. Voici, pour s’en convaincre, un extrait d’un discours prononcé par le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, à la neuvième veillée de la Achoura, cette année : « Toutes les informations disponibles laissent croire que l’Administration américaine, qui relève du sionisme chrétien, base une grande partie de ses plans, de ses actions et de ses projets sur des prophéties et des passages des Écritures. Des études américaines dignes de respect assurent que si les États-Unis établissent des bases en Arabie saoudite et dans la Péninsule arabique, comme en Irak, c’est parce que leurs Écritures et leurs prophéties laissent entendre que le chef que les musulmans attendent doit venir de La Mecque, et que ses premières actions d’éclat se feront dans la Péninsule arabique. C’est l’une des principales raisons de la venue dans la région des armées américaines (...) pour combattre ce chef qui viendra de La Mecque et unira la communauté des croyants (...). Si des bases américaines sont établies dans la région, c’est aussi pour protéger une entité (Israël) dont l’existence est réellement menacée par l’intifada, pour peu qu’elle se poursuive et reçoive l’aide nécessaire (...). Les États-Unis viennent pour défendre cette entité. » Dans son discours, Nasrallah ne s’était pas privé de parler de ce chef comme étant le Mehdi ou encore « l’imam caché » dont la venue est annoncée dans la doctrine chiite sur les fins dernières. Une venue qui précédera le retour du Christ, également évoquée par Nasrallah, partie intégrante de la doctrine musulmane sur la fin des temps. On voit comment, dans le discours arabe, Irak, Israël, venue du Mehdi et retour du Christ sont mêlés indistinctement et comment, en quelque sorte, ce discours fait pendant au messianisme dont le fondamentalisme protestant s’est fait le promoteur. Si l’on sait, par ailleurs, que les juifs religieux attendent toujours un messie, leur messie, sous la forme d’un chef historique et que l’Église catholique croit en un retour du Christ, ou encore en un second avènement, on voit comment ce cocktail de doctrines contradictoires, cristallisé sur la ville de Jérusalem, peut devenir explosif et l’on comprend, d’une certaine façon, l’inquiétude du pape. La seule voie de sortie de ce tunnel où l’humanité entière est engagée semble être dans le passage du sens littéral de l’attente messianique des trois religions monothéistes à son sens spirituel. Certains juifs l’ont compris, qui sont profondément hostiles à l’État d’Israël parce que fabriqué de main d’hommes. Si le Dieu qui s’est révélé à Moïse et Mahomet et que Jésus a révélé aux hommes est le même, et s’il est bien amour par essence, comme l’affirment les trois religions monothéistes, alors c’est uniquement par la notion d’amour que ces trois religions pourront dépasser la lettre de leur attente, et par la même occasion, éviter à la planète un holocauste sans précédent. Fady NOUN
Il y a plusieurs manières de suivre la guerre contre l’Irak. On peut la suivre militairement, sur le théâtre des opérations, comme on peut la suivre dans les esprits. Et là, elle est encore plus inquiétante que sur le terrain. La guerre contre l’Irak est en effet davantage un choc frontal entre deux civilisations étroitement identifiées à deux religions, le christianisme...