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Interview - « Le monde à venir sera nécessairement multipolaire », affirme l’ancien président de la Chambre Husseini : Les régimes et les institutions sont le fruit de la culture et de l’environnement(photo)

Hussein Husseini a toujours une lecture spéciale des événements. Pétri de philosophie politique et juridique, l’ancien président de la Chambre analyse l’actualité sous un angle particulier, à partir d’une sensibilité libanaise qui lui tient particulièrement à cœur, celle que génère en lui le modèle consensuel libanais, auquel il croit dur comme fer. C’est donc sous le signe du dialogue, de l’ouverture, de l’équilibre et de l’ordre qu’il place son discours. Pour M. Husseini, l’offensive américaine en Irak découle de l’unilatéralisme qui prévaut sur la scène internationale depuis l’implosion de l’Union soviétique et l’effondrement du système bipolaire. Conséquence de cet unilatéralisme américain, la marginalisation de l’Onu et l’impossibilité, à l’heure actuelle, de recourir au droit de veto, ce qui était possible, dit-il, sous la bipolarité. À ce sujet, M. Husseini est lapidaire : « L’Onu est devenue une annexe de la Maison-Blanche. » « La légalité internationale n’existe plus », affirme-t-il. « Par ailleurs, les États-Unis sont en train de mettre en œuvre la force de destruction extraordinaire qu’ils possèdent. Il n’y a plus d’équilibre de la terreur. L’Amérique rêve d’un empire qu’elle dominerait. Elle rêve d’imposer un blocus à l’Europe, l’Asie et l’Afrique », indique M. Husseini. Une force de destruction libérée par « un choc psychologique et traumatique », celui des attaques contre les deux tours jumelles du World Trade Center à New York, le 11 septembre 2001. « Ce choc a poussé les États-Unis à vouloir réaliser leurs aspirations », estime-t-il. Les USA, « défenseurs du monde libre » ? L’ironie, pour l’ancien président de la Chambre, c’est que les États-Unis, entraînés dans cette guerre par leurs velléités politiques, en ressortiront perdants politiquement et, surtout, moralement. Car, s’interroge Hussein Husseini, « qui peut encore croire les États-Unis quand ils se posent en défenseurs du monde libre ? Où sont passées les valeurs de John Locke et de Montesquieu, dont se sont toujours réclamés les Américains ? » Et de citer dans ce sens l’imam Ali ben Abi Taleb : « Faites attention à l’ivresse de la victoire (...), car elle détruit en quelques secondes ce qui a été construit durant des années. » En l’occurrence, la vocation que Washington s’était assignée depuis toujours, « bien avant le messianisme du président Woodrow Wilson ». Sur la même lancée, M. Husseini poursuit : « Qu’est-il advenu de cette vocation ? Comment peut-on encore y croire lorsque les États-Unis ont transformé, après les événements du 11 septembre, la mondialisation en phénomène sécuritaire ? » « Pourquoi cherchent-ils à cloner des régimes à même de réaliser leurs aspirations ? Pourtant, la reconnaissance du pluralisme des peuples va de pair avec la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais il semble que ce dernier ait disparu avec l’Onu », s’interroge l’ancien président de la Chambre. Ce qui est d’autant plus étrange, pour Hussein Husseini, c’est que les États-Unis soient intervenus militairement en 1991 contre l’Irak pour condamner l’annexion du Koweït et éviter un précédent. « Plus de dix ans après, ils font exactement la même chose que l’Irak et créent le même précédent ! » s’étonne-t-il. De toute façon, même la théorie au nom de laquelle les États-Unis sont entrés en guerre, celle du « choc des civilisations » de Samuel P. Huntington a été mise en échec par la position de l’Église, souligne-t-il. Un retour nécessaire à l’Onu Quelle mutation la guerre en Irak provoquera-t-elle sur le plan du système international, selon Hussein Husseini ? « On va déboucher sur un monde multilatéral, avec un retour à l’Onu et une refonte de la représentation au sein de cette instance. L’existence de l’Onu est devenue sine qua non. D’elle dépend le salut du monde », affirme-t-il. L’élargissement du Conseil de sécurité est devenu « une nécessité », dit-il. Un organe où doivent désormais être représentés le monde arabo-islamique, l’Allemagne, le Japon et l’Inde, explique-t-il. « Nous sommes forcément devant une multipolarité », dit-il, en citant le président russe Vladimir Poutine, pour qui la multipolarité est « un besoin nécessaire ». Sinon ? « Sinon, c’est le désordre mondial », réplique-t-il immédiatement. « L’hégémonie américaine est impossible. La force ne peut pas se faire accepter au plan mondial. Le Mexique, qui s’est fermement opposé aux États-Unis, en est la preuve la plus éclatante », souligne M. Husseini. « Les États-Unis ciblent autre chose que l’Irak. Il s’agit bien d’un déploiement de force dans les pays arabes. Mais ce qu’ils font est très dangereux. Ils ne peuvent pas empêcher la Russie et la Chine d’accéder aux mers chaudes à travers la Turquie sans mettre en péril l’unité de la Turquie, de l’Irak et de l’Iran. Il s’agit d’une grossière erreur géostratégique », estime l’ancien président de la Chambre. Et la démocratie ? Hussein Husseini croit peu à une démocratisation de la région à l’américaine. « George Bush avait affirmé lors de la guerre de 1991 que la démocratie (en Irak) ne pouvait être imposée de l’extérieur. Je ne vois pas ce qui a changé depuis », affirme-t-il. Pourtant, M. Husseini estime qu’il est de l’intérêt de tous les pays de la région d’initier un chantier de démocratisation. « Tous ces régimes ne pourront pas perdurer sans réformes politiques. Une démocratie fondée sur un appui extérieur ne présente aucune garantie : elle risque de s’effondrer dès que le soutien extérieur cesse, c’est-à-dire à tout moment », précise l’ancien chef du Parlement. Ce que le monde arabo-musulman doit faire, d’après lui, c’est « revoir les moyens de normaliser les relations avec l’Occident, les États-Unis, la Russie, la Chine et le Vatican, mais surtout l’Union européenne, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne en tête ». « Il faut œuvrer avec les États-Unis. Il est impossible d’ignorer leurs intérêts », ajoute-t-il. Pour Hussein Husseini, le monde arabe n’aspire qu’à normaliser ses relations avec les États-Unis sur la base de l’égalité, un partenariat qui reposerait notamment sur répartition équitable au niveau des ressources pétrolières. « Il n’est pas normal que le monde arabe ne puisse exploiter que 7 % des ressources pétrolières alors qu’il produit 75 % de la production globale. Parallèlement, les États-Unis ne produisent que 2 % de la production globale et en exploitent 24 % », s’insurge-t-il. Le Liban a un rôle important à jouer entre l’Orient et l’Occident dans le cadre de cette normalisation et « nul ne peut le remplacer », souligne-t-il. Mais toute cette construction ne peut être révolutionnaire, initiée par la force. Il faut qu’elle se fasse lentement et naturellement, selon l’ancien président de la Chambre. Ce que prône Hussein Husseini, c’est une solidarité entre les pays arabo-musulmans à plusieurs niveaux, notamment au niveau des ressources pétrolières, mais aussi dans la diffusion d’une culture tout autre, celle des libertés publiques. Régionalement, le rôle du Liban est très important. Aucun régime n’avait le climat de libertés publiques qui règnent au Liban. Mais, à partir de maintenant, ce climat est devenu une nécessité pour tous les pays de la région, puisque lui seul garantit l’unité nationale qui est à la base de l’immunité d’un régime, estime M. Husseini. Revenant à la pseudodémocratisation de la région promise par l’Administration américaine, l’ancien président de la Chambre relève que les troupes US ne peuvent pas se déployer dans un environnement hostile et auront besoin par conséquent de se faire accepter. Mais la solution ne se trouve pas au niveau des régimes, précise-t-il, d’autant plus que « les régimes et les institutions sont le produit de la culture et de l’environnement ». « C’est d’ailleurs pour cela que le droit des peuples à l’autodétermination existe », souligne-t-il. « Ce n’est pas pour autant qu’il faut défendre le régime irakien actuel », renchérit toutefois M. Husseini. En définitive, ce discours sur la démocratisation de l’extérieur lui paraît être une mauvaise plaisanterie. « Ce qui est frappant, c’est que le coût réservé à la guerre en Irak est bien plus élevé que les fonds destinés à la démocratisation de la région promis par Colin Powell ! » dit-il avec un sourire ironique. Reprendre le chemin de l’entente nationale Au plan interne, Hussein Husseini est persuadé qu’il est nécessaire de reprendre le chemin de l’entente nationale et de la reconstruction politique et économique du pays. Interrogé sur les contacts du général Michel Aoun avec des milieux proches de l’Administration américaine, M. Husseini répond que « ceux qui parient sur la guerre se placent de facto hors du modèle libanais ». « La coexistence est un message culturel et civilisationnel adressé par le Liban au monde entier », affirme-t-il en rappelant les propos tenus par le cardinal Cook à Beyrouth lors de l’invasion israélienne de 1982 : « L’expérience libanaise a une portée universelle. » M. Husseini précise que c’est à lui que le pape Jean-Paul II avait dit en premier que « le Liban est un message », le 29 mars 1985, lors d’une visite au Vatican. « On ne peut pas obtenir l’indépendance sans unité nationale, ni de souveraineté sans solidarité interne », indique-t-il. L’ancien président de la Chambre réclame l’application de quatre points majeurs, qui renvoient au préambule de l’accord de Taëf, dont il est l’artisan et qui constitue pour lui l’essence et la vocation du Liban : l’élaboration d’une loi électorale, la mise en place d’un pouvoir judiciaire autonome, un développement global qui est la garantie d’une véritable allégeance à la nation et un développement économique accompagné d’une décentralisation administrative. « Nous n’en sommes pas encore là, mais nous n’en sommes pas loin non plus », estime M. Husseini, qui lance un appel à la reprise du mouvement pour une reconstruction effective, c’est-à-dire politique, socio-économique et culturelle, du Liban : « La Syrie est amenée à assumer son rôle de promoteur de l’entente nationale au Liban. Même si ce processus s’est arrêté au cours des dix dernières années, il est nécessaire de le reprendre maintenant, et le soutien syrien est important dans ce sens. » Le message est clair et sans équivoque. Michel HAJJI GEORGIOU
Hussein Husseini a toujours une lecture spéciale des événements. Pétri de philosophie politique et juridique, l’ancien président de la Chambre analyse l’actualité sous un angle particulier, à partir d’une sensibilité libanaise qui lui tient particulièrement à cœur, celle que génère en lui le modèle consensuel libanais, auquel il croit dur comme fer. C’est donc...