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CÉLÉBRATION - Quatre témoignages recueillis à l’occasion de la fête des mères «Élever une grande famille, un bonheur plutôt qu’un souci»

«Jean, Jacques, Zeina, Omar, Carole, Danièle. À table !» Ce genre de tirades (les noms sont imaginaires) risque de se faire moins fréquent dans des familles qui sont de plus en plus restreintes. Pour des raisons financières, sociales ou relatives au changement de mentalité, les parents modernes évitent généralement les familles trop nombreuses. En ce jour où les mères, toutes les mères, sont à l’honneur, «L’Orient-Le Jour» a choisi de recueillir le témoignage de quatre d’entre elles qui ont eu la sacrée tâche – et la chance aussi, disent-elles sans hésiter – d’élever non moins de cinq enfants. Leur témoignage permet de pénétrer quelque peu dans le secret de leur savoir-faire. «Je suis moi-même issue d’un foyer de six enfants, et j’ai toujours désiré avoir une famille nombreuse», raconte Marie-Claude Rahmé, pédagogue, mère de six garçons dont les âges varient entre 26 et 42 ans, et qui lui ont donné quatorze petits-enfants. « À chaque fois, nous espérions une fille », ajoute-t-elle, avec humour. « C’est par choix que nous avons eu une si grande famille, j’ai toujours aimé les enfants, explique Salwa Gharios, mère de six garçons et d’une fille, dont la tranche d’âge varie entre 32 et 50 ans. Ma mère m’a toujours cité ce dicton : Tu ne sauras jamais par quel enfant ton bonheur viendra. » « J’en aurais voulu davantage s’il n’y avait pas eu la guerre, assure Mona Ghannagé, mère de cinq filles et présidente du comité des Créneaux. Élever une famille nombreuse a présenté un avantage certain : mes filles ne connaissaient pratiquement pas l’ennui. C’est un problème qui existe souvent dans les foyers qui comptent un ou deux enfants. » En effet, les mères auxquelles nous nous sommes adressées bouleversent les idées reçues sur les difficultés de s’occuper d’une grande famille. « L’éducation ne devient pas plus difficile à mesure que la famille grandit, estime Mme Rahmé. Il suffit de faire respecter les règles à tout le monde avec fermeté. Il faut cependant dire qu’on finit par avoir six crises d’adolescence sur les bras au lieu de deux ! Heureusement qu’elles n’ont pas toutes lieu en même temps ! » Mme Ghannagé assure qu’« une fois l’aînée bien imprégnée des principes d’éducation, elle a donné l’exemple aux autres, ce qui a simplifié la tâche.» Quant à Mme Gharios, elle considère qu’il lui a été facile de donner à chacun sa part d’éducation. « Le plus important, c’est de donner le bon exemple, estime-t-elle. Je n’entrais jamais en conflit avec mon mari devant eux, par exemple. Et en fin de compte, quand je les vois réussir dans la vie (et c’est leur cas à tous), je réalise que je leur ai offert la meilleure éducation qui soit. » Et les inconvénients ? Les mères rechignent à en parler, semblant considérer qu’ils sont minimes en comparaison aux joies apportées à leurs familles. Tout juste Mme Gharios a-t-elle évoqué « les sacrifices durant vingt ans où je me suis négligée plus ou moins », tout en précisant que « l’esprit de sacrifice est au cœur de l’éducation ». Cette femme qui déclare n’avoir jamais perdu la tête face à l’énormité de la tâche ajoute que l’éducation de ses enfants ne l’a pas empêchée à long terme d’avoir des activités sociales (elle a notamment été présidente de la YWCA). Mme Ghannagé affirme tout simplement qu’elle était « hantée par la peur de perdre l’une de mes filles quand elles étaient petites, d’où le fait que je les comptais constamment, au sortir de l’ascenseur ou en promenade ! » Pour sa part, Mme Rahmé affirme avoir été très bien secondée, ce qui lui a permis de travailler durant toute sa vie (dans le domaine pédagogique, où elle a notamment été directrice d’école). « Matériellement, il y avait toujours quelqu’un pour s’occuper des enfants, dit-elle. Mais c’était moi qui leur prodiguait toute l’attention et l’affection. » Cela veut-il dire qu’elle conseille aux jeunes couples, où la femme travaille souvent, de se lancer dans l’aventure de la grande famille ? Contrairement à Mmes Gharios et Ghannagé, Mme Rahmé ne trouve pas du tout que c’est une bonne idée. « Nous avons vécu à une autre époque, estime-t-elle. Les familles étaient plus liées, alors qu’aujourd’hui les mères et les belles-mères travaillent souvent et sont moins disponibles. La situation économique est plus précaire : notre vie à l’époque était moins chère et plus facile. D’un autre côté, nous étions mieux secondées par un personnel de confiance, qui faisait presque partie de la famille. Enfin, il n’y avait pas le souci du m’as-tu-vu et les exigences nées avec la vie moderne. » Respecter la singularité de chacun Tout le monde n’est apparemment pas de cet avis. Hughette Angelini, mère de cinq filles (de 21 à quatre ans et demi) et enceinte pour la sixième fois, assure que « chaque enfant est une bénédiction. Quand nous nous sommes mariés, le prêtre nous a présenté un livret de famille de dix pages (chaque page étant réservée à un enfant à naître selon cette tradition), raconte-t-elle. Mon mari a aussitôt déclaré qu’il voulait les remplir toutes. Cela m’a fait rire au moment même, mais je me demande si nous n’allons pas finir par y parvenir ! » Se déclarant d’une foi inébranlable, Mme Angelini, employée de banque depuis 22 ans, est catégorique: «L’éducation ne gagne pas en difficulté avec la naissance de plus d’enfants, surtout quand cette éducation est profondément chrétienne et que les membres de la famille restent proches de l’Église, ce qui les garde disciplinés. Mes collègues s’étonnent souvent que je ne me plaigne jamais. Or mes enfants apprennent à se débrouiller dès leur plus jeune âge. Ils me procurent plus de joie que de tracas. » Comment, selon l’expérience de ces mamans, les enfants réagissent-ils en si abondante compagnie, en comparaison avec ceux nés dans des familles plus restreintes ? « Selon mes observations, les enfants ayant plusieurs frères et sœurs se jalousent moins que quand ils ne sont que deux ou trois », estime Mme Gharios. « À mon avis, dans une famille nombreuse, l’enfant est plus ouvert, il écoute davantage les autres, il est en contact avec des centres d’intérêt différents, souligne Mme Ghannagé. Mais il faut rester attentif à la nuance des caractères. » Est-il plus difficile, à leur avis, de s’affirmer dans ces cas-là ? « Il est certain que chaque enfant, quel que soit le nombre de frères et sœurs, requiert le temps et l’attention qu’il faut, mais il n’est pas moins vrai que les jeunes acquièrent plus d’assurance, habitués à s’exprimer devant tant de personnes, dit Mme Rahmé. Nous avons toujours veillé à respecter l’individualité de chacun. À titre d’exemple, même s’ils sont nombreux, quand nous devions les appeler tous à la fois, nous les citions un à un. Toutefois, l’avantage des grandes familles, c’est que chacun apprend à occuper sa place sans prendre celle de l’autre. » La cacophonie au moment des repas, instants privilégiés de dialogue, les Rahmé l’ont résolue d’une manière amusante : tour à tour, chaque enfant ne prenait la parole que dès qu’on lui « passait l’appel ». À tant parler des mères, il ne faut pas oublier le rôle des pères. « Si mon mari ne m’aidait pas autant, je n’aurais pas pu accomplir aussi bien ma tâche », assure Mme Angelini. « Il consacre tout son temps à ses enfants », ajoute-t-elle. « J’ai toujours été très soutenue par mon mari qui m’avait donné son entière confiance », se souvient Mme Gharios. Mères de famille nombreuse ou plus restreinte, avec des enfants adultes, adolescents ou de prime et tendre jeunesse, elles sont toutes symbole d’amour inconditionnel. C’est aujourd’hui qu’on les célèbre au Liban, en même temps que l’arrivée du printemps. Suzanne BAAKLINI
«Jean, Jacques, Zeina, Omar, Carole, Danièle. À table !» Ce genre de tirades (les noms sont imaginaires) risque de se faire moins fréquent dans des familles qui sont de plus en plus restreintes. Pour des raisons financières, sociales ou relatives au changement de mentalité, les parents modernes évitent généralement les familles trop nombreuses. En ce jour où les mères,...