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Qu’implique le retour de Ghazi Kanaan sur la scène locale ? Pour Damas, la priorité n’est pas libanaise mais régionale

Le retour sur la scène locale du général Ghazi Kanaan – ancien responsable des services de renseignements syriens au Liban nouvellement promu à la tête de la sécurité syrienne – pour régler les dissensions entre les hauts responsables constitue-t-il vraiment une surprise ? À bien y réfléchir, pas vraiment. Sauf pour certains milieux politiques qui ont pensé un moment qu’avec son départ du Liban, le général syrien avait été déchargé de la gestion du dossier libanais. Que nenni. Et pourtant, des rumeurs selon lesquelles les affaires libanaises avaient été confiées au jeune général Maher el-Assad, frère du président syrien, et à deux de ses aînés, des généraux eux aussi, ont rapidement circulé. D’autres bruits ont couru au sujet d’un retour sur la scène libanaise du vice-président syrien, Abdel Halim Khaddam. Alimentés par sa rencontre avec le Premier ministre, Rafic Hariri, et d’autres personnalités politiques locales. Mieux encore. Le départ de Ghazi Kanaan a ouvert la voie à toute une série d’hypothèses, donnant l’illusion d’un changement dans la pratique syrienne à l’égard du dossier et des forces politiques libanais, voire même d’une entrée en matière à une réduction sensible de l’hégémonie syrienne sur les pôles de décision. Certaines figures politiques ont même été jusqu’à miser sur un repli syrien sur les plans politique et militaire. D’autres ont carrément cru à un redéploiement imminent des forces syriennes dans certaines régions, en prélude à leur retrait, et à un rétablissement de la souveraineté sur l’ensemble du territoire libanais. Le retour du général syrien a sonné le glas des rêves fous des uns et les paris des autres. Ce come-back a prouvé que, dans le fond, rien n’a vraiment changé et que Ghazi Kanaan, malgré l’importance de ses nouvelles fonctions syriennes, contrôle toujours d’une main (ferme) la gestion du dossier libanais. En ce qui concerne la forme et le timing de sa visite, on s’étonnera du fait que c’est à travers le volet régional que l’ancien locataire de Anjar est revenu sur la scène locale, après un crochet sur le chemin d’Istanbul où il a participé à la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays limitrophes de l’Irak, en compagnie de M. Farouk el-Chareh. Ce n’est pas un hasard, au demeurant, que ce soit le président Bachar el-Assad qui ait lui-même chargé le général Kanaan de sa toute récente mission au Liban. Une mission durant lequelle il lui aura été demandé de délivrer plus d’un message à différentes parties. Selon certains milieux politiques, l’officiel syrien n’a pas manqué de rappeler, au cours de sa visite éclair, qu’il avait été mandaté pour une mission spéciale : informer les responsables libanais de la nécessité d’unir leurs positions, de serrer les rangs, de renforcer la scène interne dans le cadre de l’étape actuelle, de mettre fin aux tensions pour propager un climat d’entente, d’éviter la paralysie des institutions et la politique du boycott ou de la rupture... Le message de Damas D’après ces milieux politiques, les autorités syriennes ont voulu transmettre, sans ambages, un message clair aux hauts responsables libanais : Damas est actuellement accaparé par la situation régionale, et n’a pas le temps de s’enliser dans les querelles internes et de prêter l’oreille aux revendications internes, concernant la formation d’un nouveau gouvernement. Même s’il reste conscient de la nécessité de soutenir les institutions libanaises. Ce message, le général Kanaan l’a communiqué à toutes les parties. Pour lui donner sa pleine dimension, Damas y a mis les formes, à travers la réunion, au palais de Baabda, entre le président de la République, le Premier ministre, le président de la Chambre et le ministre des Affaires étrangères. La Syrie a voulu, en particulier, donner l’image d’un pouvoir uni, symbolisé par la présence du Premier ministre et du président de la Chambre autour du chef de l’État, qui bénéficie d’un soutien spécial de la part de Damas du fait de ses relations privilégiés avec le président Bachar el-Assad. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la Syrie soit pour la réduction des institutions à un seul centre d’impulsion, mais simplement pour une entente entre responsables. Dans cette optique, il convient de remarquer que le général Kanaan a rendu visite à chacun des pôles du pouvoir séparément et au siège de son institution pour manifester l’appui de Damas au rôle de chacune de ces institutions et le respect qu’elle porte à la fonction assumée par chacun des dirigeants libanais. La visite de l’ancien responsable des SR syriens au Liban au commandant en chef de l’armée libanaise, le général Michel Sleimane, et au ministre de la Défense revêt toutefois une autre dimension. Il s’agirait, dit-on, de mettre l’accent sur le fait que l’armée est une ligne rouge bénéficiant de l’appui total de la Syrie, qu’il n’est en aucun cas permis de porter atteinte à la sécurité du pays et que l’institution militaire aura un rôle important à jouer dans un avenir proche. Nul n’est irremplaçable Qu’en est-il enfin de la rencontre entre le général Kanaan et l’ancien Premier ministre, Omar Karamé ? À première vue, jugent certains observateurs, il ne s’agit que d’une rencontre protocolaire, l’officiel syrien n’ayant pas eu le temps de faire ses adieux au leader tripolitain avant de partir pour la Syrie. Mais pour les sources bien informées, l’entrevue est bien plus significative : il s’agirait d’un avertissement au Premier ministre, Rafic Hariri, à l’heure où il est de plus en plus question de la formation d’un nouveau cabinet. Et, ajoutent les observateurs, d’une réponse à l’entrevue télévisée accordée par M. Hariri à sa chaîne de télévision privée, dans le cadre de laquelle il avait indiqué qu’il n’était plus enthousiaste à l’idée d’assumer des responsabilités gouvernementales après Paris II. En d’autres termes, le message de Damas était à peu près le suivant : nul n’est irremplaçable. Un phénomène mérite enfin le détour : l’intervention syrienne dans les affaires locales se fait à la demande d’une partie libanaise. La moindre querelle insolvable, dans la relation triangulaire entre les pôles du pouvoir, requiert l’arbitrage de Damas, dont le résultat, quel qu’il soit, est toujours unanimement accepté. La capitale syrienne est devenue un palliatif aux institutions et à la Constitution – en matière de gestion des conflits. Certes, les responsables acceptent bien volontiers de taire leurs querelles et de mettre un terme à leurs revendications suite à l’immixtion syrienne, mais ils n’abandonnent jamais tout à fait ces dernières, même quand ils sont convaincus de leur illogique ou de leurs répercussions négatives sur la scène interne. Inutile de dire qu’une telle configuration politique déroute les milieux diplomatiques, qui se posent à bon escient cette question : comment concilier, en pratique, entre la revendication d’un retrait syrien et le recours à Damas pour arbitrer les conflits entre les gens du pouvoir ? Philippe ABI-AKL
Le retour sur la scène locale du général Ghazi Kanaan – ancien responsable des services de renseignements syriens au Liban nouvellement promu à la tête de la sécurité syrienne – pour régler les dissensions entre les hauts responsables constitue-t-il vraiment une surprise ? À bien y réfléchir, pas vraiment. Sauf pour certains milieux politiques qui ont pensé un moment...