Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

Patrimoine - La citadelle des Chéhab de Hasbaya nécessite une restauration urgente Un monument en danger, une histoire oubliée (photos)

Le retrait israélien a permis de redécouvrir des sites historiques qui ont joué un rôle prépondérant dans l’histoire du Liban. Sites comme la citadelle des émirs Chéhab de Hasbaya, toujours habitée par leurs descendants, classée monument historique par la Direction générale des antiquités en 1962, mais complètement abandonnée par l’État depuis l’invasion israélienne du sud. La restauration de la citadelle, dans un état de délabrement inquiétant, est à présent urgente et nécessaire. Berceau d’une famille qui a longtemps régné sur Wadi Taym et sur le Mont-Liban, elle a été le témoin des premières tentatives d’indépendance des Maan et de leurs successeurs, les Chéhab, durant la période ottomane. Sans compter la manne économique que représente cette restauration pour toute la région du sud, que le tourisme contribuerait à faire revivre. Érigée sur une colline surplombant Wadi Taym et encerclée par le fleuve Hasbani, la citadelle des émirs Chéhab, conquise par eux au XIIe siècle, après de sanglantes batailles contre les Croisés, occupe une position militairement stratégique. Séparée du plateau par un fossé, la forteresse qui subsiste actuellement au pied des contreforts sud-ouest du mont Hermon «présente divers remaniements qui s’étagent du XIIe au XIXe siècle», indique le médiéviste Jean-Claude Voisin dans son livre, Églises et Forteresses du Moyen Âge au Liban. Il ajoute que les premiers aménagements fortifiés, qui remontent au XIIe siècle, seraient l’œuvre des Croisés. De plus, la seule tour qui tient encore debout parmi les quatre qui ceinturaient la forteresse, de forme rectangulaire, constitue la preuve évidente de la présence de ces chrétiens d’Occident. Les meurtrières et les mâchicoulis qui la constituent sont des éléments de défense qui auraient été rajoutés aux XIIIe et XIVe siècles par les émirs Chéhab après la conquête de la forteresse. Si les deux premiers étages ont été bâtis par les Croisés, «le troisième et dernier étage a été construit par la famille Chéhab, et regorge de voûtes, d’arcades et de fenêtres donnant au monument un aspect oriental», indique l’historien M. Hachi, dans un article qu’il a consacré à la citadelle. À l’entrée, deux lions, blason des Chéhab, bordent la voûte surplombant l’immense portail en bois, selon les traditions des siècles passés des grandes familles féodales. La grande porte d’entrée s’ouvre sur une large cour entourée de pièces aujourd’hui transformées en dépôt. Dans la majorité de ces salles du rez-de-chaussée, les puits d’eau creusés témoignent d’un passé où l’on faisait d’importantes réserves d’eau en prévision des longues périodes de siège. Quant aux pièces des étages supérieurs, elles sont encore habitées par l’émir Moufid Chéhab et sa famille, soucieux de conserver l’héritage de leurs ancêtres. Les chambres de la citadelle sont généralement vastes, et leurs murs sont décorés de marbres importés et de gravures représentant quelques versets du Coran. Parmi la centaine de chambres de la citadelle, l’iwan de l’émir Saad el-Dine Chéhab et la grande salle de réception. Appelée aussi «Festkyé», celle-ci est ornée d’un bassin en son centre, son sol est recouvert de mosaïques et ses sièges sont en pierre. C’est dans cette salle que les Beni Chéhab se réunissaient pour prendre des décisions politiques. Une famille qui a participé à l’histoire du Liban La citadelle appartient aujourd’hui à la branche sunnite de la famille Chéhab restée à Hasbaya, et qui se partage les 50 titres de propriété. En effet, chaque famille a hérité d’une ou de deux pièces parmi la centaine que comporte la forteresse. «Mais la citadelle, dont les cours ont jadis accueilli mariages, réceptions et récitals de musique, est aujourd’hui laissée à l’abandon, souffrant de l’usure due au temps ou portant les traces de la guerre», déplore Mme Carla Chéhab, chargée par la famille de tenter de sauver la forteresse. En effet, le monument historique est à présent envahi par les herbes folles, les moisissures, les mousses et les fissures, sans compter l’eau qui, en hiver, inonde les étages inférieurs et abîme la pierre des façades. Et de reprendre, «si les ailes habitables de la citadelle ont été coquettement aménagées par les membres de la famille qui y vivent encore, ceux-ci se sont vu contraints d’effectuer quelques réparations de fortune, de leur propre chef, durant les vingt dernières années, pour sauver les parties menaçant de s’effondrer. Aujourd’hui, la majeure partie de la citadelle est dans un état de délabrement désolant, la DGA n’ayant plus veillé à son entretien depuis l’invasion israélienne». Ce cri d’alarme lancé par Mme Chéhab entend alerter les responsables sur l’urgence de l’action de la Direction générale des antiquités pour sauver cette citadelle historique, berceau d’une famille qui a largement contribué à faire l’histoire du Liban. Selon les documents diplomatiques et consulaires établis par M. Bouré, consul général de France à Beyrouth, en 1848, les Chéhab appartiennent à la grande tribu des Koreichites, originaires du Hedjaz. Installée dans le Hauran jusqu’au milieu du VIe siècle, la tribu participe en 633 à la prise de Damas, sous les ordres du calife Omar. Et c’est en 636 que le titre d’émir lui est octroyé par le calife Abou Bakr el-Siddik. Mais vers l’année 1170, l’émir Munkid, chef de la tribu, décide de quitter le Hauran, suivi de tout le clan, constitué de 15 000 hommes, plutôt que de participer aux querelles tribales et de disputer au sultan d’Alep la possession de la Syrie, comme le voulaient les dynasties des Ayoubites et Salaheddine. Après un long périple, les Beni Chéhab s’installent finalement dans le pays de Taym, qui était déjà depuis 56 ans sous la domination des Francs. De sanglantes batailles ont lieu entre les Croisés et la tribu, batailles qui s’achèvent par la victoire des Chéhab, sous le commandement de l’émir Munkid. En récompense, Damas confère à l’émir victorieux le gouvernement du pays qu’il avait conquis sur les «infidèles». Du Wadi Taym au Mont-Liban Telle est l’origine de l’établissement des Chéhab dans la citadelle et dans le pays de Taym. À l’époque, celui-ci s’étendait du poste frontière actuel de Masnaa jusqu’au lac de Tibériade, et des pieds du mont Hermon aux limites du Chouf. Du XIIe au XVIIe siècle, la famille gouverne la région de Hasbaya et du Taym. À la mort du dernier des Maan, au XVIIe siècle, c’est son neveu Béchir, premier Chéhab de Hasbaya, qui lui succède, en tant que gouverneur du Mont-Liban, alors que ses cousins continuent de gouverner Wadi Taym. C’est aussi la période des conversions progressives au christianisme de membres de la famille, provoquées par la venue au pays de moines du Liban-Nord venus instruire les fils des émirs. Mais les massacres de 1860, dans la montagne entre chrétiens et druzes, laissent des empreintes indélébiles. 900 chrétiens qui s’étaient réfugiés dans la citadelle sont massacrés, avec la complicité du représentant ottoman de la place, alors que les deux tiers des membres de la famille Chéhab sont assassinés. Les survivants se réfugient à Damas. Mais un arrangement politique sous couverture européenne oblige les Ottomans à les dédommager des pertes subies. Ils retournent à Hasbaya en 1872 et certains y habitent jusqu’à présent. Cette unique citadelle-résidence de la région est riche d’un passé glorieux encore ignoré, vu qu’elle n’a fait l’objet d’aucune étude ni même de fouilles. Et, pourtant, elle a été décrite dans des livres par des historiens de renommée internationale. Aujourd’hui, la restauration de ce monument historique ne peut attendre, alors que les constructions sauvages en béton à proximité de la propriété en défigurent le site, malgré la loi le protégeant. Il reste à espérer que la prochaine visite du directeur de la DGA, Frédéric Husseini, sera suivie de mesures appropriées et que l’État réagira rapidement pour empêcher la dégradation irréversible de ce monument dont la famille a tant donné à l’histoire.
Le retrait israélien a permis de redécouvrir des sites historiques qui ont joué un rôle prépondérant dans l’histoire du Liban. Sites comme la citadelle des émirs Chéhab de Hasbaya, toujours habitée par leurs descendants, classée monument historique par la Direction générale des antiquités en 1962, mais complètement abandonnée par l’État depuis l’invasion...