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Actualités - OPINION

Une polémique nécessaire

La polémique soulevée par «La lettre ouverte au docteur Bachar el-Assad», que M. Gébrane Tuéni a publiée dans le Nahar du 23 mars, a eu le mérite d’ouvrir le débat sur des questions qui préoccupent l’ensemble des Libanais : le Liban fera-t-il les frais de la paix ? Les Syriens maintiendront-ils leurs troupes au Liban après le retrait des Israéliens ? Les élections qui doivent se dérouler en août 2000 seront-elles une répétition pure et simple de celles faites en 1992 et 1996 ? Avant de répondre à ces questions, un bref retour en arrière s’impose. Avant Taëf, les tentatives de mettre un terme à la guerre s’étaient toutes heurtées à un problème quasi insoluble. Le camp «musulman», représenté par le Mouvement national et le Rassemblement islamique, réclamait, à juste titre d’ailleurs, une répartition équitable du pouvoir entre les communautés. Le camp «chrétien», dirigé par le Front libanais et le président Amine Gemayel, posait, comme préalable à toute négociation sur la révision de la Constitution, le recouvrement par l’État de sa souveraineté sur l’ensemble du territoire libanais. Le problème était le suivant : le camp «chrétien» avait la possibilité de satisfaire les revendications islamiques. Par contre, le contraire n’était pas vrai, le recouvrement de la souveraineté de l’État ne dépendait pas du camp «musulman» mais de la Syrie. L’importance de Taëf se situe dans le fait qu’il a introduit sur la table des négociations, où se trouvaient déjà chrétiens et musulmans, un troisième partenaire, la Syrie, qui considérait jusque-là n’être pas partie prenante au conflit. Les dirigeants syriens estimaient, en effet, que la solution résidait dans un accord entre chrétiens et musulmans, les premiers devant satisfaire les revendications légitimes formulées par les seconds. Quant au retrait syrien du Liban, il ne concernait pas les Arabes et ne pouvait être réclamé que par le gouvernement libanais, et, encore, pas n’importe lequel, les Syriens réclamant la formation d’un gouvernement d’union nationale. Le comité tripartite, formé par le sommet arabe réuni en mai 1989 à Casablanca, va s’employer à lever l’obstacle syrien. La négociation est difficile, les Syriens commencent par refuser toute mention d’un éventuel retrait de leurs troupes mais sont forcés de réviser leur position. L’accord conclu à Taëf stipule le retrait des troupes syriennes de Beyrouth, de la Montagne et du Nord et leur redéploiement, dans un délai de deux ans, dans la région de la Békaa où elles n’ont plus pour mission de faire la police mais uniquement de se déployer militairement face aux troupes israéliennes qui continuent d’occuper une partie du Liban-Sud. Il stipule également que l’avenir des troupes syriennes dans cette région devrait faire l’objet d’une négociation entre les deux gouvernements libanais et syrien, sous l’égide d’un sommet arabe. En échange de leur retrait, les Syriens obtiennent l’établissement de «relations privilégiées» avec le Liban. Deux des trois clauses importantes de l’accord sont immédiatement mises à exécution : le camp «musulman» obtient une participation équilibrée au pouvoir et les Syriens signent avec le Liban un traité d’amitié et de coopération. L’application de la troisième clause concernant le redéploiement des forces syriennes – pourtant annoncé par le ministre libanais des Affaires étrangères de l’époque, M. Farès Boueiz, quelques semaines avant la date prévue de septembre 1992 – est suspendue sans que cela ne fasse l’objet d’aucune explication. Par la suite, et en raison de la reprise de la négociation arabo-israélienne amorcée avec la conférence de Madrid, les Libanais sont convenus tacitement de ne pas réclamer l’application de cette clause avant qu’Israël ne procède au retrait de ses forces du Liban-Sud. Cet accord tacite a représenté un service que les Libanais ont fait aux Syriens pour ne pas affaiblir leur position dans la négociation. Les dirigeants syriens n’en ont pas saisi la portée. Réclamer le retrait des forces syriennes après l’application de la résolution 425 est donc légitime. À une condition toutefois : cette revendication ne doit pas se faire dans une optique «revancharde» mais doit nécessairement se situer dans le cadre de l’application de l’accord de Taëf. Ceux qui estiment que le départ des troupes syriennes ouvre la voie à une négociation de cet accord qui permettrait de reprendre ce qui a été donné, ceux-là n’ont rien tiré des leçons de la guerre. Le départ des troupes syriennes ne doit pas être le prélude à une reprise du conflit civil mais doit être le point de départ d’une paix solide et définitive entre les Libanais. Quant aux ambiguïtés qui caractérisent la position officielle sur cette question, elles ne servent pas l’intérêt national et sont mises à profit par Israël pour faire pression aussi bien sur le Liban et la Syrie comme en témoignent les dernières déclarations du ministre israélien des Affaires étrangères et la pétition présentée au président Clinton par des parlementaires américains. M. Tuéni a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Il l’a dit avec modération et dans une volonté de parvenir à un compromis. Ce compromis est nécessaire. Il est dans l’intérêt de la Syrie d’y parvenir au plus tôt. Plutôt que de tenter l’impossible, à savoir figer la situation libanaise par le biais d’élections contestées, les dirigeants syriens feraient mieux d’ouvrir le dialogue avec les Libanais pour parvenir à une entente réelle et faire l’économie de problèmes qui ne pourraient qu’affaiblir les deux pays.
La polémique soulevée par «La lettre ouverte au docteur Bachar el-Assad», que M. Gébrane Tuéni a publiée dans le Nahar du 23 mars, a eu le mérite d’ouvrir le débat sur des questions qui préoccupent l’ensemble des Libanais : le Liban fera-t-il les frais de la paix ? Les Syriens maintiendront-ils leurs troupes au Liban après le retrait des Israéliens ? Les élections qui...