Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

Interview - « La marginalisation des Kataëb, l’une des causes du déséquilibre interne », affirme l’ancien chef de l’État à «L’Orient-Le Jour » Gemayel : Les Libanais profiteront en premier de la paix au P-O

Son retour au Liban, l’été dernier, après plusieurs années d’exil forcé, avait suscité un enthousiasme certain dans les régions Est. Frustrée par la marginalisation systématique, depuis Taëf, des leaders chrétiens représentatifs, la rue chrétienne a osé espérer que le «come-back» du président Amine Gemayel marquait la fin d’une longue traversée du désert pour l’Est politique. Le scrutin au Metn-Nord, le 27 août, et l’élection de M. Pierre Amine Gemayel qui en a résulté ont renforcé ce sentiment, d’autant que la conjoncture aussi bien régionale que locale paraissait confirmer que le vent commençait réellement à tourner. La formation, jeudi après-midi, du nouveau gouvernement présidé par M. Rafic Hariri a toutefois apporté la preuve que les décideurs libanais et syriens ne sont pas encore prêts à enclencher un processus de véritable réconciliation nationale, incluant les représentants légitimes de toutes les composantes socio-communautaires du pays. Le président Gemayel se montre d’ailleurs critique à l’égard de ce quatrième Cabinet Hariri. Dans une interview accordée à L’Orient-Le Jour, il s’est ainsi interrogé sur le fait de savoir si «les critères de compétence, d’équilibre et d’entente nationale ont été respectés dans la formation de ce gouvernement». «Au moment où nous avons le plus besoin de restaurer la confiance dans nos institutions, j’ai ressenti auprès du peuple libanais, toutes tendances confondues, une amère déception», souligne l’ancien chef de l’État. Il reste que le président Gemayel place l’action politique qu’il a relancée dès son retour au Liban sous le signe de la contribution à l’amorce d’une dynamique de réconciliation nationale qui ne s’est toujours pas réalisée dix ans après la fin des combats. C’est précisément de cette perspective d’entente qu’il a été essentiellement question dans l’interview qu’il nous a accordée. Le président Gemayel a également évoqué dans ce cadre les fondements qui devraient dicter tout dialogue interne, parallèlement aux dossiers cruciaux des rapports avec Damas, de la conjoncture proche-orientale et de la situation au Liban-Sud. L’ancien chef de l’État souligne d’emblée que son action en vue de paver la voie à une véritable entente nationale se situe à trois niveaux. «Je cherche tout d’abord à remettre sur pied le parti Kataëb, indique-t-il. Ce parti a été depuis toujours un élément incontournable de notre vie nationale, notamment dans le cadre des efforts de paix et de réconciliation. La marginalisation forcée des Kataëb est l’une des principales causes du déséquilibre politique et du manque de confiance dans les institutions nationales. D’autre part, je m’attelle à reconstituer la cohésion entre les diverses tendances politiques chrétiennes dans la perspective d’un dialogue national serein et constructif. J’ai aussi entamé un rapprochement positif avec Walid Joumblatt avec lequel nous nous sommes accordés sur un document qui pourrait bien servir de base pour une entente nationale. Il me semble que nous sommes sur la bonne voie». Pour le président Gemayel, les fondements ou les dénominateurs communs d’un dialogue interne peuvent se résumer en cinq grandes lignes directrices : unité, souveraineté, démocratie, arabité et modernité. «Il est cependant regrettable qu’en raison des interférences et des pressions extérieures, nous ne puissions pas en ce moment nous entendre sur la véritable signification de ces termes et sur les modalités de leur mise en application», souligne l’ancien chef de l’État. «Les accords de Taëf de 1989, à l’égard desquels j’avais d’ailleurs émis certaines réserves, mais qui sont aujourd’hui à la base de la Constitution et de certaines lois au Liban, préparent le terrain à une amorce de concrétisation de ces cinq mots-symboles, déclare le président Gemayel. Cependant, cet accord, bien qu’il ait apporté la paix civile, n’a pas réussi à générer une véritable entente nationale. Preuve en est que nous avons toujours besoin d’un arbitrage externe pour régler des différends internes élémentaires. Si l’État veut réellement rétablir la confiance, qu’il commence, dans une première étape, par appliquer ses obligations convenues à Taëf». Force est, toutefois, de constater que depuis Taëf, les possibilités de réconciliation nationale passent par un dialogue en profondeur avec Damas. La conjoncture présente est-elle plus favorable à un tel dialogue, compte tenu des développements survenus au printemps dernier (le retrait israélien du Liban-Sud et le décès de Hafez el-Assad) ? Le président Gemayel relève sur ce plan que «les Libanais, toutes tendances confondues, sont prêts à un dialogue en profondeur avec la Syrie». «Le dernier communiqué du patriarche et des prélats maronites, souligne-t-il, a insisté sur la nécessité de resserrer les liens avec la Syrie dans le cadre du respect scrupuleux de la souveraineté des deux pays et de la liberté et la dignité des deux peuples. Seul un dialogue franc, libre de toute contrainte directe ou indirecte, peut recréer la confiance et asseoir durablement les relations entre les deux pays sur des bases saines». La paix, une nécessité Tout porte à croire, cependant, qu’un tel dialogue avec Damas reste lui-même tributaire de l’évolution du processus de paix dans la région. Ce n’est peut-être pas une coïncidence si le coup de frein donné à la fin de l’été à l’ouverture en direction du camp chrétien est intervenu dans le sillage du blocage des pourparlers de paix. Mais en dépit de l’impasse apparente perceptible sur ce plan, le président Gemayel se montre confiant dans les perspectives réelles de paix au P-O. «La réalisation de la paix reste une nécessité et un objectif stratégique et prioritaire pour tout le monde, affirme l’ancien chef de l’État. Le Liban n’aspire qu’à cela. Les Syriens ont toujours déclaré que la paix était leur option stratégique. Les Égyptiens et les Jordaniens sont accrochés aux acquis déjà réalisés à Camp David et Wadi Araba. Je pense que les Israéliens, malgré les tergiversations, n’ont d’autre alternative que d’aboutir à un compromis avec tous les Arabes». L’ancien chef de l’État estime que la paix est une nécessité pour l’État hébreu pour diverses considérations : – politiques : Israël a tout intérêt à sortir de son isolement et à réaliser son intégration dans la région. Il s’agit là d’un phénomène psychologique très important pour le peuple israélien; – économiques : l’État hébreu désire sans nul doute profiter de la richesse minière et pétrolière du Golfe et pénétrer les marchés du monde arabe. Shimon Peres a d’ailleurs mis en place et publié un plan de développement à dimension régionale. Des pas timides ont déjà été réalisés dans ce sens, même avec les pays arabes du Golfe et du Magreb qui n’ont pas encore signé un accord de paix avec Israël. Les derniers événements meurtriers ont toutefois gelé ce processus; – militaires : la paix aiderait Israël à alléger son dispositif militaire très lourd et onéreux, de même qu’elle freinerait la mobilisation des conscrits qui pose de plus en plus de problèmes psychologiques et économiques à Israël. Le président Gemayel estime à cet égard que « les Israéliens ne peuvent pas retarder indéfiniment la paix avec leurs voisins arabes». «Quant aux Américains, déclare-t-il, ils paraissent aux abois. Le conflit israélo-arabe fait partie intégrante de la politique intérieure américaine. Ce conflit risque d’enflammer les extrémismes et de déstabiliser une région stratégique par ses ressources et sa position géographique. Les Américains n’aspirent qu’à restaurer la sécurité et la paix dans la région, ce qui les dégagerait de grandes responsabilités politiques, militaires et financières. La tension est très grande, mais les efforts en vue de la juguler sont aussi proportionnels. Les différends ne me paraissent pas insurmontables. À mon avis, la dynamique de paix reste la plus forte et ne peut que prévaloir en fin de compte». Le Liban et le processus de paix Pour le président Gemayel, il paraît évident que le Liban sera le premier à profiter de cette paix régionale en gestation. «La paix arabo-israélienne va naturellement mettre un bémol à la dimension externe du problème libanais, ce qui facilitera le dialogue interne», précise l’ancien chef de l’État. Un dialogue qui devrait s’avérer d’autant plus facile que «les Libanais ont hâte de restaurer le rôle du Liban comme exemple de coexistence harmonieuse et de démocratie». «Le peuple libanais, déclare le président Gemayel, a des ambitions qui vont au-delà de la superficie du pays. Nous avons tous retenu la leçon des conséquences de la guerre et de nos luttes fratricides manipulées le plus souvent par l’étranger. Je crois qu’à ce stade, tout le peuple n’aspire qu’à la paix et à la réédification de nos institutions politiques sur des bases plus modernes, libérales et justes». C’est sur base de cette volonté de paix et de stabilité que le président Gemayel déplore la situation qui prévaut au Liban-Sud. «La question qui devrait être posée au gouvernement libanais et à tous les responsables concernés est de savoir si l’économie libanaise peut encore supporter de nouvelles aventures militaires au Liban-Sud. La population du Sud en particulier, et le peuple libanais en général, sont-ils d’accord pour continuer à entretenir un climat d’incertitude au Sud ?, s’interroge l’ancien chef de l’État, reflétant à ce propos un sentiment partagé par une large frange de l’opinion. Qui décide en notre lieu et place de la paix et de la guerre au Sud ? Est-ce bien la peine de continuer aujourd’hui la lutte armée au Sud alors que l’affaire des otages libanais en Israël est devenue une affaire d’échange dépendante d’un processus diplomatique, et alors que le problème de Chebaa dépend de la restitution du Golan à la Syrie ?». Le président Gemayel préconise à ce sujet d’adopter «la stratégie syrienne basée sur la négociation et la diplomatie». «Dans ce contexte, pour quelles raisons doit-on continuer à entretenir la tension au Sud, alors que toutes les autres frontières arabes sont calmes et pacifiques, s’interroge l’ancien chef de l’État. Le Liban peut-il adopter une stratégie qu’aucun autre pays arabe n’applique ou n’appuie ?». Le dossier de l’implantation Dans le sillage de cette stratégie de négociation, le Liban devrait également, selon le président Gemayel, mettre en place une diplomatie dynamique pour lutter contre le projet d’implantation des Palestiniens. Pour l’ancien chef de l’État, il ne suffit pas que le gouvernement libanais proclame son refus d’implanter les réfugiés palestiniens, encore faut-il qu’il prenne les mesures politiques et diplomatiques adéquates pour parvenir à cette fin. Le président Gemayel relève dans ce cadre qu’à Oslo, Abou Mazen et Yossi Beilin ont proposé à leurs camps respectifs, dans l’article VII de l’accord conclu entre les Palestiniens et les Israéliens, un projet de solution à la question des réfugiés. «Le projet d’Abou Mazen et de Yossi Beilin reste, à ce jour, le seul plan en vue concernant ce dossier, déclare le président Gemayel. Ce plan ne parle pratiquement pas du droit de retour. Au contraire, il stipule que les préalables à la nouvelle ère de paix et de coexistence, aussi bien que les réalités créées sur le terrain depuis 1948, ont rendu le droit de retour impraticable. Dans l’alinéa 3 de cet article, les négociateurs parlent de la formation d’un comité, présidé par la Suède, qui serait chargé de trouver le financement permettant la relocation et la réhabilitation des Palestiniens qui résident dans les camps de réfugiés. Plus loin, cet alinéa souligne la nécessité d’explorer avec les États arabes qui ont accordé l’hospitalité aux Palestiniens, ainsi qu’avec ces mêmes réfugiés, la possibilité de les absorber chez eux». À la lumière de ce document, le président Gemayel invite le gouvernement libanais à « prendre conscience de cette réalité et œuvrer avec beaucoup de fermeté, de sagesse et d’imagination de manière à contribuer lui aussi à la recherche de solutions à ce problème avant qu’il ne soit trop tard». Et l’ancien chef de l’État de lancer un véritable cri s’alarme à ce propos : «Faute de proposer nous-mêmes des solutions constructives qui puissent préserver nos intérêts vitaux, je crains qu’un jour nous ne soyons confrontés à ce dilemme : l’implantation ou le chaos. Nous avons encore beaucoup d’atouts entre nos mains. Le tout est d’imaginer une diplomatie active et créatrice qui puisse contribuer, en coordination avec d’autres partenaires, à la recherche de solutions qui ne nous soient pas préjudiciables. La responsabilité sur ce plan nous incombe à nous aussi bien qu’aux Palestiniens, aux Arabes et à la communauté internationale. Il faudrait donc entreprendre nous-mêmes de mobiliser toutes ces instances dans la mesure où nous sommes les premiers concernés». Une telle entreprise de sauvetage nécessite, à l’évidence, une réconciliation nationale globale et une participation de tous à un dialogue interne duquel aucune fraction sociocommunautaire ne saurait être exclue. Encore faut-il qu’un tel consensus ne soit pas sciemment torpillé par le tuteur régional. Michel TOUMA
Son retour au Liban, l’été dernier, après plusieurs années d’exil forcé, avait suscité un enthousiasme certain dans les régions Est. Frustrée par la marginalisation systématique, depuis Taëf, des leaders chrétiens représentatifs, la rue chrétienne a osé espérer que le «come-back» du président Amine Gemayel marquait la fin d’une longue traversée du désert pour...