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Actualités - DOCUMENT

DROITS DES CITOYENS - Un texte désuet, une application relâchée Un code pour des routes qui n’ont plus de loi

Avons-nous seulement un code de la route ? On en vient à en douter lorsque, quotidiennement, nous sommes doublés à toute vitesse par un bolide qui nous a ratés d’un cheveu et qu’on n’avait pas vu venir, lorsqu’un véhicule surgit sans crier gare d’une route secondaire, lorsque le sens civique prend la clé des champs sans que la menace d’une sanction lui fasse vraiment obstacle. Le code de la route existe pourtant, bel et bien, mais la question persiste de savoir qui a – et qui devrait – en avoir connaissance. Les aléas de ce texte juridique sont sondés par Me Vicken Patanian qui n’y va pas par quatre chemins pour dénoncer les incohérences et les lacunes de cette législation. Celle-ci joue pourtant un rôle de premier plan dans la vie quotidienne. Voici un plaidoyer pour que le gouvernement considère enfin le dossier du trafic avec tout le sérieux qu’il mérite. Le code de la route date de 1967, mais il n’en est pas moins désuet, estime Me Patanian. Il comporte des parties qui sembleraient, à l’heure actuelle, anachroniques, comme par exemple celles relatives à la circulation des animaux et des véhicules tirés par des animaux (en rencontrez-vous souvent sur votre chemin ?) ! D’autre part, ce code représente un ensemble de réglementations incohérent dans son esprit, comme dans les modalités de son application, poursuit Me Patanian. Il se caractérise, selon lui, par une imprécision qui en rend ardue l’application. Plusieurs exemples illustrent ces constatations. Dans l’article 11, il est précisé que «le conducteur doit maîtriser son véhicule dans tous les cas, et doit être prêt à exécuter n’importe quelle manœuvre». Sans aucune précision supplémentaire, cette phrase n’est plus qu’une évidence qui ne constitue pas vraiment un outil précieux dans la réglementation du trafic. Autre exemple : «Le conducteur doit garder une distance de sécurité entre sa voiture et celle qui se trouve devant lui». Tant que la notion de «distance de sécurité» n’est pas explicitée d’une façon ou d’une autre, cette loi reste difficile à appliquer, si tant est qu’elle le soit, par le conducteur. Dans l’article 27, c’est le problème ardu des carrefours qui est abordé. «Le conducteur qui débouche d’une route où le trafic est ordinaire vers une autre où le trafic est important se doit de donner la priorité aux voitures qui y passent», dit le texte. Cependant, la définition des termes «trafic ordinaire» et «trafic important» qui suit ne les éclaire pas vraiment, et la classification des routes selon l’importance du trafic qu’elles connaissent reste ambiguë. Dans ce même article, il est précisé que «si deux conducteurs débouchent à un carrefour à partir de deux routes différentes, c’est le principe de priorité à droite qui prévaut». Or, qui a la priorité quand les deux véhicules viennent de rues qui se font face ? Le texte n’apporte pas de réponse à de tels problèmes. Les contradictions ne s’arrêtent pas là : avant 1975 en cas de rencontre sur route montagneuse, la priorité allait incontestablement à la voiture qui descendait. C’était d’ailleurs la seule bonne réponse au cas où une question sur ce sujet était posée lors du test de conduite. Or, depuis 1975 et sans transition aucune, l’article 22 du code de la route donne la priorité à la voiture qui monte ! Inutile de préciser que personne n’est au courant de ce changement. Les problèmes de traversée des piétons sur les routes principales constituent un autre cas de figure. Le code reste insuffisant sur ce point précis. Un des principaux efforts en ce sens a consisté en un décret-loi ayant pour objet la traversée de l’autoroute Dbayé – Dora : ce texte a permis aux piétons de traverser cette autoroute à condition de garder une distance de sécurité de 250 mètres avec la voiture qui vient vers eux (!). Les modalités d’application de ce décret-loi par des piétons affolés essayant d’éviter un flot de voitures roulant à vive allure restent à définir… Des tests qui n’en sont plus L’octroi des permis de conduire exige lui aussi une organisation plus stricte. La question de savoir tel type de véhicule est autorisé à quel conducteur n’a pas encore été tranchée. Dans quels cas a-t-on besoin d’un permis toutes marques ? Le code de la route ainsi que l’ensemble des textes se rapportant au sujet ne donnent pas d’indications claires sur cette question. On ne peut, ici, qu’évoquer le problème des conducteurs étrangers de poids lourds, nécessitant donc un permis toutes marques. Bien que la législation libanaise limite l’obtention de ces permis aux Libanais, la plupart des conducteurs de camions immatriculés dans notre pays sont syriens. Comment peut-on envisager que ces camionneurs étrangers sillonnent les routes sans même être titulaires du permis indispensable à cette tâche ? L’ambiguïté règne aussi sur les tests de conduite. Non seulement ceux-ci sont basés sur une législation anachronique, mais ces passages obligés, transformés au fil du temps en simples formalités, sont présentés sur des voitures spécialement conçues pour ne pas caler, sans oublier que le test consiste à faire trois petits tours dans une cour, au lieu d’attaquer la «route», là où le futur conducteur aura à affronter ses pairs ! Comment, dans ce cas, évaluer sa capacité à tenir la route ? C’est à se demander si les tests de conduite ont encore une autre raison d’être que celle de leur intérêt fiscal, puisque tout le monde paye les droits relatifs au permis et, à l’instar des jeunes participants au programme télévisé L’école des fans, tout le monde gagne ! Et, par conséquent, conduit… On en vient aux signalisations routières, supposées être des guides au sein du capharnaüm qu’est devenu notre réseau routier. Il n’en est rien. Les signalisations sont incohérentes et la plupart du temps absentes, ce qui n’empêche pas une pluie de contraventions (dans certains quartiers de préférence) de tomber sur des conducteurs tantôt avertis, tantôt pas. Certes, le suivi des procès-verbaux reste souvent douteux : soit la poursuite tombe dans les oubliettes, soit elle aboutit, au meilleur des cas (et en cas de contravention non payée), à un jugement par contumace cinq ou six ans après les faits. Les sanctions peuvent atteindre des peines de quelques jours de prison, ou même une arrestation à l’aéroport pour non-exécution d’un jugement par contumace ! Quant aux limites de vitesse (des panneaux ont été nouvellement réinstallés sur un grand nombre de routes), elles sont souvent difficiles, matériellement, à respecter. Comment expliquer que, sur certaines autoroutes, la limite ait été fixée à 50 km/h ? C’est à se demander si, en droit libanais de la circulation, la notion d’autoroute existe ! Il est étonnant qu’au lieu de s’attarder sur ces détails, le gouvernement se trouve obligé d’édicter des arrêtés qui ont pour but d’imposer l’utilisation (non vérifiée par la suite) d’équipements, à la base fondamentaux mais désormais «superflus» au Liban, comme les extincteurs ou la ceinture de sécurité, ou d’adopter une nouvelle réglementation sur les plaques d’immatriculation qui, pour le moins qu’on puisse dire, restent non conformes aux normes internationales. En effet, les lettres y sont inférieures en taille et en nombre aux chiffres d’une part et, d’autre part, lesdites plaques comportent une série d’exceptions qui n’ont pour but que de préserver certains privilèges propres aux détenteurs de numéros originaux. Ceux-ci, contrairement aux autres, peuvent se permettre le caprice d’être exemptés de la mention alphabétique. Le concept même de l’alphanumérotation des plaques ne s’en trouve-t-il pas vidé de son sens ? Toutefois, il est une absurdité (dans l’application du code de la route) qui dépasse toutes les autres. Le principe du contrôle mécanique annuel a été peu à peu transformé graduellement d’un contrôle effectif du bon fonctionnement de la voiture dans un but sécuritaire, en une simple mesure fiscale qui ne vise qu’à renflouer les caisses de l’État. Preuve en est : le gouvernement a ouvert la porte aux paiements bancaires. Bref, des lacunes dans le texte et dans son application, peu d’efforts pour améliorer la situation, que ce soit au niveau des autorités ou des conducteurs eux-mêmes, réfractaires à toute discipline même quand il s’en trouve ! Toutefois, résoudre le problème du code de la route, de son application et de sa modernisation, selon Me Patanian, ne peut se faire à coups de simples constats. Cette tâche nécessite une législation moderne et radicale, une application rigoureuse assortie de moyens coercitifs, mais surtout un changement dans l’esprit du conducteur libanais qui se croit, alors qu’il roule sur des routes normales, en pleine conduite tout-terrain. La maxime «Plus gros est ton véhicule, mieux tu t’imposes sur les routes» devra-t-elle continuer à dicter sa loi (ou, si vous préférez, son code de la route) ? Suzanne BAAKLINI
Avons-nous seulement un code de la route ? On en vient à en douter lorsque, quotidiennement, nous sommes doublés à toute vitesse par un bolide qui nous a ratés d’un cheveu et qu’on n’avait pas vu venir, lorsqu’un véhicule surgit sans crier gare d’une route secondaire, lorsque le sens civique prend la clé des champs sans que la menace d’une sanction lui fasse vraiment...