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Actualités - OPINION

Dialogue entre un prêtre et un moribond

- « Je veux partir. Quitter le Liban. Là-bas, mon salaire sera réduit de moitié, je serai un déraciné, un étranger. Mais je veux partir. J’irai faire la queue tous les matins, dès 6 heures, devant les ambassades. Comme ces centaines de jeunes. » - « Pourquoi ? » - « Parce que la situation économique est une calamité. Moi je veux vivre comme j’en ai envie, gâter mes enfants lorsque j’en aurai. » - « Regarde Rafic Hariri. Il fait son maximum pour que Paris II soit une réussite. Pour que, au moins, ça redémarre. Et puis, le budget 2003 a l’air d’être un peu moins nul que ceux qui l’ont précédé. C’est juste une mauvaise passe. » - « Je veux bien croire au père Noël. Que pour les beaux yeux de Rafic Hariri, Jacques Chirac réussira à convaincre une planète entière d’assister le Liban. Mais tu sais très bien qu’une réforme économique ne sert à rien si elle n’est pas accompagnée d’une réforme politique en bonne et due forme. Mais je veux partir. Je n’en peux plus d’être l’otage d’une des pires crises régionales que le globe connaisse. Celle le moins à même d’être réglée. » - « Tous les pays du monde ont connu des crises, qu’elles soient locales ou régionales, des guerres mondiales aussi. Et ils n’en sont sortis que plus forts. » - « Je veux bien croire au père Noël. À la poignée de main Sharon-Arafat, à la libération du Golan, au retour des réfugiés dans leurs terres. Mais je veux partir. Je n’en peux plus de vivre dans un pays où la démocratie, les libertés publiques, l’indépendance de la justice sont quotidiennement violées » - « Regarde Émile Lahoud. Il y a deux jours, il promettait de faire du Liban un véritable État de droit et des institutions. Il demandait même à tous les jeunes du pays de retrouver confiance en leur nation. » - « Je veux bien croire au père Noël. Qu’Émile Lahoud finisse par vouloir, pouvoir, tenir ses promesses. Mais je veux partir. Je ne peux pas concevoir mon pays, inscrit dans la Constitution comme étant une démocratie parlementaire, et qui se meurt d’un Parlement que l’on utilise comme une marionnette ou d’un Exécutif qui ne s’occupe pas de politique. Un pays juste dirigé par une troïka qui le fait et le défait au rythme de ses accords ou de ses scènes de ménage. Par des hommes politiques dont le seul parcours, pour les neuf dixièmes d’entre eux, est de multiplier les allers-retours Beyrouth-Damas en passant par Anjar. Et qui visiblement n’ont tous pour seul objectif que de museler et d’enterrer une véritable opposition qui, elle – c’est surréel –, passe la moitié de son temps à s’entredéchirer. » - « Oublie-les, ces hommes politiques qui ont fait allégeance à Damas. Même ceux qui essayeront de te convaincre que s’ils passent leur temps à cirer des pompes, c’est justement pour que tu restes, que tu ne quittes pas ton Liban, en attendant de meilleures conjonctures. Donne le temps aux piliers de l’opposition d’oublier leurs petits calculs personnels. Et regarde-la, cette opposition : elle triomphe dans les élections universitaires, partout, même là où on ne l’attendait pas, à l’AUB par exemple. Elle a triomphé ce week-end dans des élections syndicales, chez les avocats. Reste et dis-toi que la solution, désormais, pourrait, devrait être entre les mains de la société civile et des jeunes. Tu en as la preuve. » - « Je veux bien croire au père Noël. Qu’on cesse de tabasser les jeunes lorsqu’ils manifestent. Que cette société civile puisse avoir le courage, la force, la possibilité de faire le travail des politiques. Que le peuple, comme la belle au bois dormant, se réveillera un jour. Mais pourquoi veux-tu que je reste dans un pays sous tutelle, pire, satellisé ? » - « Pour lutter, te battre contre... » - « Ah bon ? Et à supposer que j’y reste, à quoi cela pourrait bien servir si je n’en ai ni l’occasion, ni le droit, ni les moyens ? » - « D’aucuns disent que c’est cela qu’“ils” attendent. Que tu t’en ailles, comme tellement de jeunes chrétiens, et qu’ainsi, vidé de ce qui a toujours fait son essence – l’existence, côte à côte, de ses deux communautés –, le Liban n’aurait plus aucune raison de ne pas être, dans la forme comme dans le fond cette fois, réellement annexé à la Syrie. » - « Sauf qu’il n’y a désormais plus que nous, les jeunes, capables d’appeler un chat, un chat. De dire les choses comme elles sont. S’ils nous enlèvent cette seule soif d’idéal, on n’a plus rien. Et qu’est-ce qui me garantit que moi, le jeune d’aujourd’hui, si je ne pars pas, je ne serais pas l’escroc de demain ? Alors je m’en vais ? Alors je reste ? » - « Je ne sais plus. » Ziyad MAKHOUL
- « Je veux partir. Quitter le Liban. Là-bas, mon salaire sera réduit de moitié, je serai un déraciné, un étranger. Mais je veux partir. J’irai faire la queue tous les matins, dès 6 heures, devant les ambassades. Comme ces centaines de jeunes. » - « Pourquoi ? » - « Parce que la situation économique est une calamité. Moi je veux vivre comme j’en ai envie, gâter mes...