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Actualités - OPINION

Premier tango

C’est une rencontre en tout point historique qui aura lieu aujourd’hui à Washington entre le chef du gouvernement d’Israël et le ministre des Affaires étrangères de Syrie, pour tenter de liquider un contentieux vieux de plus d’un demi-siècle. Négociation tortueuse et ardue, certes : fer de lance de l’opposition arabe à l’accord de Camp David, le président Hafez el-Assad ne peut en aucun cas se résoudre à un marché qui serait moins avantageux que ceux décrochés par l’Égypte et la Jordanie, pas plus qu’il n’est disposé à se prêter à des happenings à la Sadate ou à la Hussein ; c’est bien dans le dessein de marquer ce point, davantage sans doute que pour s’épargner les fatigues d’un long voyage, que le Raïs syrien a envoyé un de ses ministres rencontrer le numéro un israélien pour ce premier tango de la paix, longtemps réclamé par Tel-Aviv. Pas de guerre possible sans l’Égypte, pas de paix sans la Syrie : si le vieil axiome reste de mise, quelque chose a bel et bien changé, ces dernières années, dans la nature même du débat syro-israélien : lequel, faisait remarquer il y a quelques jours Bill Clinton, reste tout de même bien moins complexe que l’inextricable écheveau de Palestine. De fait, l’idéologie a cédé le pas au pragmatisme : le pas et même la parole, dans une région arabe longtemps vouée à la suprématie du verbe. À la différence de ce qui se passe en Cisjordanie en effet, Tel-Aviv n’a jamais songé à mobiliser la Bible et sa cohorte de prophètes pour s’approprier le Golan, dont le 18e anniversaire de l’annexion coïncide, par le plus heureux des hasards, avec la reprise du dialogue syro-israélien. Ce sont essentiellement des impératifs stratégiques (les mêmes qui valaient pour l’immense désert du Sinaï) qu’invoque l’État hébreu à propos de ce «balcon» surplombant la Galilée ; or ces deux tampons n’ont pas dissuadé Syriens et Égyptiens de faire la guerre en 1973 et même d’enfoncer, l’espace d’un moment, les lignes de Tsahal. En tout état de cause, il n’est pas de problème de sécurité qui ne puisse trouver de solution, à l’ère des stations de pré-alerte, ces yeux et oreilles électroniques capables de détecter à bonne distance la simple mise en marche d’un diesel de tank ou d’un réacteur d’avion : surtout quand la technologie de pointe se double de solides garanties américaines. Pour délicate qu’elle soit donc, c’est une négociation aux paramètres clairement définis qui prend un nouveau départ dans la capitale américaine. Hors de toute phraséologie désuète, on a désormais, là, deux États constitués, deux gouvernements appelés à gérer en paix, à défaut d’enthousiasme, toutes les questions de terre, d’eau, de sécurité et d’échanges qu’implique fatalement tout voisinage géographique. Pour en venir là, Damas aura bénéficié de deux atouts maîtres, impeccablement exploités : celui d’une émancipation palestinienne passablement bancale, mais qui est venue providentiellement délier les plus militants des Arabes de leurs engagements passés envers la cause sacrée ; et celui d’une résistance libanaise embrigadée pour le Golan, au moins autant que pour le Sud. Rescapé de la tutelle syrienne, Yasser Arafat, à tort ou à raison, a toujours redouté de se faire coiffer au poteau de la paix par le régime de Damas, et le rendez-vous de Washington n’est pas fait pour apaiser ses craintes, malgré les assurances que lui ont prodiguées les Américains ; c’est cette même obsession d’ailleurs qui amena l’OLP à négocier en 1993 les accords d’Oslo, lesquels n’étaient en réalité qu’une solution aux mille tiroirs. En souscrivant au mémorandum de Charm el-Cheikh, en acceptant d’entamer les pourparlers sur le statut final des territoires palestiniens avant même la finalisation du programme d’autonomie, Abou-Ammar s’est laissé prendre au piège de la date-butoir ( février 2000 ) imposée par Ehud Barak pour un accord-cadre sur les principes généraux de la paix. C’est à la fin de l’an prochain que ce dernier devrait déboucher sur un traité de paix israélo-palestinien ; mais comment douter un seul moment qu’il faudra encore des années pour venir à bout de casse-tête aussi épouvantables que le sort de Jérusalem et des colonies juives, le tracé des frontières, le retour des réfugiés et les attributs étatiques de l’entité palestinienne ? Et qui attendra aussi longtemps ? Quant à la carte libanaise, elle aura amplement rempli sa fonction : bien sûr, Barak a écourté la partie – et forcé la main à Damas – en s’assignant une deuxième date-butoir, juillet prochain, pour l’évacuation du Sud libanais ; bien sûr, il se propose d’exiger, d’emblée, un gel de la guérilla, condition d’une reprise plus ou moins rapide des pourparlers avec Beyrouth : l’objectif final étant de soumettre aux Israéliens, pour référendum, un double désengagement : épineux, du Golan, et largement populaire, du Vietnam libanais. Barak, qui ne se prive pas entre-temps de bombarder copieusement le Sud, a même mis en garde, et l’officieux de Damas Techrine a promptement surenchéri, contre «l’effusion de sang» (de sang libanais, pour ne rien changer ?) qui viendrait sanctionner tout échec ; mais le fait est que le train de la paix s’ébranle enfin, même si, avec le temps, la vaillante locomotive libanaise devient, comme on pouvait s’y attendre, le fourgon de queue. Car insensiblement, et au fil des gouvernements de l’après-Taëf, la notion d’interdépendance des deux volets libanais et syrien de la négociation avec Israël s’est transformée en celle de concomitance, puis carrément d’unité : non plus celle des tractations mais, qui plus est, des retraits. Non point, évidemment, que l’on puisse raisonnablement attendre de l’État libanais qu’il joue inconsidérément des coudes. Mais à défaut de coudes, les États, tous les États, ont une langue, et ils se doivent de s’adresser à la communauté internationale comme aux citoyens : à la première pour faire pour le moins acte de présence, pour délivrer quand cela s’impose un autre discours que la sempiternelle proclamation de solidarité avec l’allié syrien ; et aux seconds pour les rasséréner, pour dissiper la suspicieuse anxiété des uns, pour raffermir les confiances vacillantes des autres. En cette phase cruciale, que l’on se décide, oui, à parler à la nation. Et qu’on lui parle d’autre chose que de la prospérité ambiante, du règne absolu de la loi ou des immenses vertus du découpage électoral.
C’est une rencontre en tout point historique qui aura lieu aujourd’hui à Washington entre le chef du gouvernement d’Israël et le ministre des Affaires étrangères de Syrie, pour tenter de liquider un contentieux vieux de plus d’un demi-siècle. Négociation tortueuse et ardue, certes : fer de lance de l’opposition arabe à l’accord de Camp David, le président Hafez...