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Actualités - OPINION

Faste food

S’agissant d’un processus de paix qu’elle avait elle-même initié à Madrid, il n’est finalement pas trop surprenant que la diplomatie américaine ait fini par se rabattre sur le bon vieux système de l’auberge espagnole pour décider Syriens et Israéliens à renouer le dialogue, sans plus trop s’encombrer de conditions. C’est en effet «là où elles s’étaient arrêtées» en février 1996, sans autre précision, que les négociations doivent reprendre dès mercredi prochain à Washington. Le caractère passablement flou de cette formule permet à tout un chacun de sauver la face et même de crier victoire en apportant à la table de négociations les victuailles sémantiques de son choix : cela strictement, on l’aura compris, pour la consommation interne. Car le menu, le vrai, sera essentiellement américain. Victoire donc, d’abord, pour la toute-puissante Amérique, laquelle s’affirme une fois de plus comme le seul médiateur de poids au Proche-Orient. Cette suprématie est d’autant plus jalousement entretenue et défendue, face aux incursions européennes, russes ou autres, que l’ambition suprême du président Bill Clinton en matière de politique étrangère est d’instaurer la paix dans cette partie du monde avant la fin de son mandat, au début de l’an 2001. La «percée historique» de mercredi vient à point nommé, certes, pour faire oublier ces déroutes que furent le projet d’interdiction des essais nucléaires, la conférence de l’OMC à Seattle et l’affaire tchétchène. Il reste que ce même succès proche-oriental implique forcément, pour les États-Unis, un surcroît d’obligations et autres garanties à long terme. Quand, en effet, Israël persiste dans son refus d’envisager publiquement une évacuation intégrale du Golan occupé, comme l’a longtemps exigé Damas, seule la discrète assurance de Bill Clinton qu’il en sera bien ainsi peut tenir lieu de palliatif pour le président syrien Hafez el-Assad : qui peut effectivement s’estimer satisfait, puisqu’il négocie autant – sinon plus – avec l’Amérique qu’avec Israël. Il est d’ailleurs fortement question de confier à du personnel américain les stations de préalerte électronique dans la zone démilitarisée, et il n’est pas impossible qu’un contingent de l’armée US participe à une éventuelle force de paix qui y serait déployée durant une période probatoire. Au double plan politique et économique, en outre, l’assistance des États-Unis sera sans doute précieuse pour permettre au régime syrien d’encaisser en douceur, et dans le cadre d’une continuité dont Bachar el-Assad est l’évident symbole, le choc de cette libéralisation que commandera inéluctablement l’ouverture des frontières. D’autres considérations sont venues s’ajouter à ces rassurantes dispositions de l’Oncle Sam pour tempérer l’attachement tâtillon aux procédures de forme que professait depuis un certain temps Damas. Comme se sont évertués à le souligner les émissaires français ou européens qui se sont succédé dernièrement en Syrie, celle-ci risquait de rater une rare opportunité de paix : de lâcher la proie – un sérieux espoir de récupérer enfin le Golan – pour l’ombre, c’est-à-dire ce fantomatique engagement contracté par Yitzhak Rabin de revenir aux lignes du 4 juin 1967. Même forte de son bon droit, la Syrie commençait même à passer pour un grincheux empêcheur de négocier en rond, face à un Ehud Barak poursuivant imperturbablement la colonisation juive des territoires palestiniens mais réussissant quand même à s’adjuger le beau rôle à force de claironner tous les jours, sur tous les tons, sa détermination à conclure un règlement global avec les Arabes avant la fin de l’an 2000. Particulièrement décisive, cependant, aura été la volonté proclamée du Premier ministre israélien de retirer ses troupes du Liban-Sud en juillet prochain au plus tard. Cette date-butoir, maintes fois reconfirmée, est venue placer la Syrie devant le choix suivant : reprendre le dialogue sur des bases plus souples, sous la houlette de Washington ; ou alors jouer la tension à la frontière libano-israélienne, après le départ de l’occupant israélien, avec tous les risques de dérapage que cela pouvait comporter. Pour promouvoir la première option, Barak – il vient de le révéler à la presse de Tel-Aviv – aura même menacé de poser sur le tapis la question de la présence armée syrienne au Liban, à peine achevée l’évacuation du Liban-Sud… Aussi paradoxal que cela puisse paraître – mais les Libanais sont depuis longtemps habitués aux paradoxes –, c’est en parent pauvre que continue d’être traité le brûlant dossier du Sud, aux prolongements pourtant aussi déterminants. Que l’on ne tienne pas trop rigueur à Madeleine Albright d’avoir jugé inutile un crochet par Beyrouth, se contentant d’adresser aux responsables locaux un message promettant pour bientôt une relance de la tranche proprement libanaise de la négociation : ressassé à l’envi, et pas toujours dans un contexte adéquat, le leitmotiv de l’unité des deux volets en est venu à rendre superflue toute démarche expresse des Puissances, la réponse à leurs initiatives ou même leurs questions se trouvant invariablement à Damas. La décision du Hezbollah de poursuivre la guérilla même après la reprise des pourparlers, le refus d’Israël de toute négociation qui se déroulerait sous la pression militaire n’ont fait qu’accentuer cette marginalisation. On peut parier que cette question se posera dès l’ouverture des discussions syro-israéliennes de la semaine prochaine. À la lumière des réponses se précisera notre suave «bientôt» américain.
S’agissant d’un processus de paix qu’elle avait elle-même initié à Madrid, il n’est finalement pas trop surprenant que la diplomatie américaine ait fini par se rabattre sur le bon vieux système de l’auberge espagnole pour décider Syriens et Israéliens à renouer le dialogue, sans plus trop s’encombrer de conditions. C’est en effet «là où elles s’étaient...