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Actualités - INTERVIEWS

Entretien - Rencontre avec le chef de la Révolte des affamés Toufayli n'exclut pas la participation de son mouvement aux législatives de l'an 2000

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis la fuite mouvementée du chef de la «Révolte des affamés» cheikh Sobhi Toufayli, il y a 14 mois, de l’école religieuse de Aïn-Bourday près de Baalbeck, après un accrochage sanglant qui opposa ses supporters à l’armée libanaise. Où en est le mouvement revendicatif de l’ancien secrétaire général du Hezbollah ? Cheikh Toufayli peut-il encore mobiliser les foules ? Que compte-il faire maintenant qu’un nouveau régime est en place ? « L’Orient-Le Jour » a rencontré le cheikh rebelle quelque part dans la Békaa et lui a posé toutes ces questions. Une chose est certaine, les raisons du succès de la «Révolte des affamés» lancée en juillet 1997 existent toujours : la pauvreté, le chômage, la crise de l’agriculture, les promesses non tenues. Le rapport de la Direction centrale des statistiques (janvier 1998) sur la situation des familles libanaises est assez éloquent à ce sujet. Avec le nouveau régime, les gens recommencent pourtant à espérer. Et le mouvement revendicatif de cheikh Toufayli, que l’on croyait disparu, a visiblement pris un nouveau souffle. Même si l’ancien secrétaire général du Hezbollah vit dans la plus grande discrétion et n’a jamais été vu en public depuis les incidents de Aïn-Bourday, son mouvement a fait une apparition remarquée lors de la journée «al-Qods», le vendredi de la dernière semaine du ramadan. Des centaines de partisans ont défilé sans armes dans la localité de Nabi-Chit en brandissant des portraits de leur chef. Et il y a quelques semaines, une délégation de la «Révolte des affamés», composée entre autres de membres de conseils municipaux et de moukhtars de la Békaa, a été reçue par le chef du gouvernement, M. Sélim Hoss, pour lui exposer les difficultés auxquelles font face les habitants de Baalbeck-Hermel. Cheikh Toufayli et ses principaux lieutenants réfléchissent aux moyens de relancer leur mouvement revendicatif «pacifique», dont l’objectif est «d’améliorer les conditions de vie de la population de Baalbeck-Hermel». La première impression que l’on se fait de cheikh Toufayli est celle d’un homme coupé des détails de la réalité politique dans le pays. Un an de clandestinité a appris à l’orateur, qui faisait vibrer les foules, à devenir aussi un bon auditeur. Il parle moins et écoute davantage. Mais lorsqu’il évoque la pauvreté qui écrase la population de sa région natale, ses yeux brillent d’un étrange éclat et sa voix prend une intonation grave. «C’est la souffrance des gens qui m’a incité à lancer la révolte des affamés, nous déclare Toufayli en se lissant la barbe. La culture du haschisch aurait dû être remplacée par des cultures de substitution. Mais rien de cela n’a été fait. De plus, les agriculteurs qui n’arrivaient pas à écouler leurs produits étaient écrasés par les dettes. Souvent, les gens venaient me voir pour se plaindre et pour me raconter leurs malheurs. J’en ai d’abord parlé à la direction du Hezbollah pour lui proposer de faire quelque chose. Après des semaines de discussion, j’ai compris que le parti ne voulait rien faire. J’ai donc proposé aux gens de se rassembler dans la mosquée pour discuter de tout cela. J’ai invité les frères du Hezbollah à participer à la réunion. Après deux jours de réflexion, ils m’ont dit qu’ils ne viendraient pas et qu’ils allaient demander à la population de ne pas s’y rendre. Peut-être espéraient-ils que je me retrouverais seul, entouré d’une poignée de partisans ? Mais les gens sont venus par milliers. J’ai alors compris l’ampleur de leur détresse et ce qu’ils attendaient de moi». La rupture avec le Hezbollah Les concertations avec le Hezbollah se sont poursuivies pendant des semaines et un accord portant sur une sorte de partage des rôles était sur le point d’être conclu. «À la dernière minute, le Hezbollah a posé comme condition que cheikh Zouheir Kanj, un de mes principaux alliés, soit écarté, raconte cheikh Toufayli. J’ai évidemment refusé par fidélité à cet homme qui a tant fait pour la Résistance et pour le Hezbollah. J’ai compris que la direction du parti cherchait un prétexte pour torpiller l’accord». Depuis cette date, les chemins du Hezbollah et de cheikh Toufayli se sont séparés. Le chef de la «Révolte des affamés» a alors essayé de prendre le contrôle de certaines institutions du Hezbollah qu’il estimait lui revenir de droit en tant qu’un des fondateurs et que premier secrétaire général du parti. Tout ne s’est pas passé calmement. Vers la mi-janvier de l’année dernière, la direction du Hezbollah l’a radié de ses rangs et, une semaine plus tard, avait lieu la plus grave confrontation entre les deux parties. Cheikh Toufayli fait surtout assumer aux dirigeants de l’ancien régime la responsabilité des affrontements sanglants de Aïn-Bourday au cours desquels un officier de l’armée, son gendre, l’ancien député Khodr Tleiss, et plusieurs militaires ont été tués. Selon lui, l’ancien pouvoir voulait à tout prix étouffer son mouvement revendicatif de peur qu’il ne fasse tache d’huile. «Comme ils le faisaient une fois par mois, mes partisans voulaient tenir leur cours d’enseignement religieux au cercle de Aïn-Bourday, explique cheikh Toufayli. Le même jour (le 30 janvier), le responsable de l’école, cheikh Effé, vient me voir pour me conseiller d’annuler le cours sous prétexte que le bâtiment est plein de combattants du Hezbollah en armes. J’ai donc décidé de me rendre sur place personnellement pour régler le problème. Effectivement, j’ai discuté avec les frères du Hezbollah qui ont accepté d’évacuer les lieux pour nous permettre de tenir notre cours. Alors que je pensais que tout était fini, on m’apprenait que des soldats se trouvaient en grand nombre à l’extérieur du bâtiment». Personne ne sait comment les combats ont éclaté. Vers 22 heures, cheikh Toufayli saute le mur de clôture et fait quelques kilomètres à pied dans la plaine. Des voitures bondées de partisans l’attendent et le conduisent vers une destination inconnue. C’était, ce jour-là, sa dernière apparition en public. Des espoirs Même s’il affirme préférer «juger aux actes et non pas aux paroles», cheikh Toufayli place de grands espoirs dans le nouveau régime. «Je ne connais pas le président Émile Lahoud, mais c’est un homme qui a bonne réputation, dit-il. Lorsque j’écoutais son discours d’investiture, je me suis dit qu’il ne pourrait jamais cohabiter avec Rafic Hariri. Le départ de l’ancien chef du gouvernement a conforté mon impression. On dit que le président Lahoud est très hostile à Israël et qu’il n’est pas du tout sectaire. Sa volonté de lutter contre la corruption paraît sincère et cela rejoint nos revendications. L’affaire (Chahé) Barsoumian est un bon début, mais elle n’est pas suffisante. Espérons que le chef de l’État saura aider la population de Baalbeck-Hermel à sortir de sa misère. Le président Sélim Hoss aussi est un homme intègre et droit». Cheikh Toufayli veut relancer son mouvement revendicatif «sur de nouvelles bases». «La Révolte des affamés est, et a toujours été, un mouvement pacifique et non pas armé, déclare-t-il. La situation des gens ne cesse d’empirer et nous devons faire quelque chose pour les aider. Il y en a qui sont vraiment affamés et qui vivent dans l’indigence». Les chiffres de la Direction centrale des statistiques sont d’ailleurs assez éloquents. Les familles libanaises dépensent la moitié de leurs revenus pour la nourriture. Et 43% des familles affirment que si leurs revenus augmentent, leur priorité ira à l’amélioration de leur panier alimentaire. Dans un peu plus d’un an, des élections législatives doivent avoir lieu au Liban et cheikh Toufayli n’exclut pas une participation de son mouvement à cette échéance. «Il est peut-être temps d’élire un député prêt à mourir de faim et non pas d’indigestion», dit-il avec un sourire amusé.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis la fuite mouvementée du chef de la «Révolte des affamés» cheikh Sobhi Toufayli, il y a 14 mois, de l’école religieuse de Aïn-Bourday près de Baalbeck, après un accrochage sanglant qui opposa ses supporters à l’armée libanaise. Où en est le mouvement revendicatif de l’ancien secrétaire général du Hezbollah ? Cheikh...